La Ville de Paris aimerait voir le cycle des évacuations suivies de réinstallations prendre fin. Le dispositif prévu sera-t-il suffisant ?
Au petit matin, vendredi 4 novembre, les autorités ont évacué le campement de Stalingrad à Paris. Avec des tentes, des bâches, des cartons, plus de 3.800 migrants s'étaient installés là, dans des conditions particulièrement précaires. "On a des places pour héberger tout le monde", a assuré Emmanuelle Cosse, la ministre du Logement présente sur place. Une opération "de mise à l'abri humanitaire" d'envergure, une de plus.
Directeur général de France Terre d'Asile, Pierre Henry salue une évacuation qui s'est déroulée dans de "bonnes conditions", une "opération humanitaire qui était nécessaire, autant pour les migrants que pour les résidents du quartier" du nord de la capitale.
Mais ce démantèlement est le 30e depuis juin 2015, comme le confirment l'association et la préfecture. Et après chaque évacuation, des migrants reviennent, le camp grossit, la situation redevient explosive. La précédente remonte au 16 septembre, quelque 2.100 personnes avaient alors été conduites vers un hébergement. Moins de deux mois plus tard, ils étaient plus de 3.800, Soudanais, Erythréens, Syriens, Afghans. Alors, l'opération de ce vendredi pourrait-elle être la dernière de cette importance ?
Mettre fin à ce cycle
Habitués à ce triste va-et-vient, les riverains se disent pour le moment sceptiques. Pierre Henry fait lui aussi part de ses doutes :
"On pourrait espérer que ce soit la dernière mais je crains que cela ne se répète tant la situation est complexe à gérer."
La Ville de Paris aimerait voir ce cycle prendre fin. Le 28 octobre, Anne Hidalgo a interpellé le gouvernement dans un courrier adressé à Bernard Cazeneuve et Emmanuelle Cosse. La maire de Paris dénonce la prise en charge actuelle, une "méthode consistant à attendre le point de rupture pour héberger" qui "n'a que trop duré".
La mairie de Paris veut à tout prix éviter une action par à-coups. "On attend trop souvent le grossissement des campements de fortune pour agir. Nous souhaitons une prise en charge des migrants dès leur arrivée", expliquait Anne Hidalgo lors de la présentation du centre d'accueil humanitaire initié par la ville.
Vers une prise en charge rapide
D'abord prévue mi-octobre, l'ouverture de ce camp installé porte de La Chapelle, dans le 18e arrondissement, a pris du retard. Entre-temps, Anne Hidalgo avait posé comme préalable l'évacuation du campement sauvage de Stalingrad, rappelant au gouvernement que le centre humanitaire n'a "pas vocation à accueillir les migrants déjà présents à Stalingrad : ce n'est pas sa fonction, il n'en a, par ailleurs, pas la capacité".
L'objectif du centre de La Chapelle est de prendre en charge les migrants dès leur arrivée à Paris, avec une mise à l'abri de quelques jours, avant une orientation vers un centre géré par l'Etat.
Le calcul de la Ville est simple : depuis juin 2015, 15.000 personnes ont été mises à l'abri, ce qui représente 25 personnes par jour. "Il est plus facile d'intervenir pour 25 personnes que d'attendre qu'un campement grimpe jusqu'à 2.000 personnes", assure Anne Hidalgo. De fait, seule une réelle fluidité permettra le succès du dispositif.
Répartition sur le territoire
La réussite du dispositif prévu à Paris repose sur le lien avec les CAO (Centres d'accueil et d'orientation) ouverts par l'Etat sur l'ensemble du territoire national. Depuis le mois de septembre, 9.000 nouvelles places ont été ouvertes. Elles ont déjà servi pour la mise à l'abri des personnes évacuées de la "jungle" de Calais.
Les échos en provenance des nouveaux CAO sont globalement positifs, à quelques exceptions près. Le réseau d'informations mis en place par les associations Utopia 56et l'Auberge des migrants a ainsi été prévenu que, dans l'Eure, un centre n'est en fait qu'un hangar rempli de lits de camps.
Certains des migrants évacués de Stalingrad ont été conduits vers des gymnases de la région parisienne. Emmanuelle Cosse s'est engagée à ce qu'ils puissent partir dès lundi vers des CAO.
Avec la volonté affichée de mettre en place une meilleure répartition des réfugiés sur l'ensemble du territoire national, la politique du gouvernement en matière d'accueil des réfugiés évolue nettement.
"Cette politique fonctionne puisque 80% des personnes accueillies demandent l'asile", affirme Emmanuelle Cosse.
Pour les personnes qui ne souhaitent pas demander l'asile en France, le ministère de l'Intérieur prévoit "des dispositifs d'aide au retour volontaire et d'éloignement". La crainte d'une arrestation pour être conduits dans un centre de rétention, avant expulsion, plane pour ceux qui ne sont pas prêts à faire une demande en France.
Et après ?
France Terre d'Asile reconnaît l'effort du gouvernement avec la création des nouvelles places de CAO mais considère que le dispositif n'est toujours pas suffisant.
Face à l'augmentation de la demande d'asile, l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) multiplie les missions d'instruction pour libérer les places plus rapidement et s'organise afin que les réponses puissent être données en trois mois maximum.
"Pour parvenir à une répartition harmonieuse, Paris ne peut pas concentrer toutes les arrivées de migrants", note Pierre Henry qui déplore l'absence de centres de transit sur le modèle parisien dans d'autres villes :
"Pour éviter que se répètent les situations de stagnation sur les trottoirs parisiens, il en faudrait au moins un dans chaque capitale régionale."
Un souhait partagé par Emmanuelle Cosse qui, lors de la présentation des deux centres d'accueil de Paris et Ivry, avait dit espérer "qu'Anne Hidalgo et Philippe Bouyssou fassent des émules".
Certaines régions ont déjà fait savoir qu'elles refusaient de prendre part à cette répartition. Laurent Wauquiez dans la région Auvergne-Rhône-Alpes et Christian Estrosi en Provence-Alpes-Côte d'Azur ont déjà agité le chiffon rouge lors de l'annonce de la création des nouveaux CAO, brandissant la menace de voir se "multiplier des Calais partout en France".
Des réactions "outrancières et manipulatrices" pour les régions Nouvelle-Aquitaine, Centre Val-de-Loire, Bretagne, Occitanie et Bourgogne Franche-Comté dont les présidents PS avaient alors publié un communiqué pour soutenir "une politique de dignité et d’efficacité en répartissant les réfugiés sur le territoire".
Louis Morice
04 novembre 2016, Louis Morice
Source : nouvelobs.com