La "jungle" de Calais illustre toutes les difficultés des Etats à contrôler ces flux de migration croissants.
Alors que le Haut-Commissariat aux réfugiés de l'ONU (HCR) estime qu'au moins 3800 migrants sont morts depuis le début de l'année en tentant de traverser la Méditerranée, la "jungle" de Calais illustre toutes les difficultés des Etats à contrôler ces flux de migration croissants. Selon l'ONU, le nombre de réfugiés dans le monde a atteint un nouveau record en 2016, avec 21,3 millions de personnes, soit un million de plus qu'en 2015. Les conflits armés, notamment en Syrie, en Afghanistan, au Burundi et au Sud-Soudan ont directement contribué à cette hausse. Mais la guerre n'explique pas tout. Le HCR s'alarme sur le fait que 58% des réfugiés ont été accueillis par seulement 10 pays: Jordanie, Liban, Turquie, Pakistan, Iran, Tchad, Ethiopie, Kenya, Ouganda et République du Congo. Or "cette situation ne fait qu'alimenter la crise globale, les pays accueillant la majeure partie des migrants étant pauvres et incapables de leur proposer les conditions de vie adéquates, estime le porte-parole du HCR, William Spindler. C'est la raison pour laquelle les réfugiés tentent d'entreprendre des démarches aussi extravagantes et risquées en se rendant illégalement en Europe ou en Australie". Il y a donc un problème de gestion, des causes comme des conséquences, alimentant un mouvement non pas brownien mais logique qui apparaît d'autant plus scandaleux qu'il met en cause la vie d'êtres humains. Ceux qui fuient et arrivent; mais aussi ceux qui accueillent et parfois s'alarment. Diaboliser ces derniers ne sert à rien: l'angoisse de la dépossession n'est pas le moindre des moteurs de l'histoire.
Vers un monde d'éco-réfugiés?
Les crises migratoires auxquelles nous sommes confrontés doivent être situées dans leur contexte. Il tient sans doute moins à la résurgence d'un "choc des civilisations" (Samuel Huntington, 1996), notamment entre un islam radicalisé et le reste du monde, qu'à la convergence de facteurs plus matériels, économiques. Le premier est celui d'une crise de la mondialisation, dont les externalités négatives apparaissent très nettement depuis la crise financière de 2008. Elles sont notamment sociales, et environnementales. Le second facteur tient précisément à l'impact des facteurs environnementaux. Même s'ils s'appuient sur les prévisions les plus catastrophiques, celles du GIEC, les chiffres de l'ONU donnent le vertige: le changement climatique pourrait plonger dans l'extrême pauvreté entre 35 et 122 millions de personnes supplémentaires d'ici à 2030 (rapport de la FAO, 17/10/2016). Et l'hydrologiste Janos Bogardi, de l'université de Bonn, d'enfoncer le clou: s'il estimait début 2008 à 25 millions de personnes le nombre d'"écoréfugiés"dans le monde, il en prévoit désormais 150 millions d'ici à la fin du siècle ! A cette aune, que pèsent les quelque 2 millions de "migrants" arrivés en Europe ces deux dernières années, malgré les conséquences politiques déjà sensibles que l'on connaît? Peu abordée lors de la COP21, la question des réfugiés climatiques reste lourde de menaces. Car, de facto, elle associe migrations économiques et environnementales - comme le laisse d'ailleurs entendre le terme d'"éco-réfugiés". Au risque de confondre ces derniers avec les réfugiés au sens de l'article 1 de la Convention de Genève, qui ne reconnaît et protège qu'une "personne qui craint avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques et qui ne peut, du fait de cette crainte, rester dans son pays".
Guerre et paix entre les nations
La question à venir sera donc de nature politique. Avec deux principaux écueils possibles. Celui d'une extension, en fait puis en droit, du statut de réfugié à toute personne qui quitte sa terre pour "un avenir meilleur", sans pouvoir dès lors prétendre réguler les flux actuels et plus encore ceux à venir. Et celui d'un raidissement des Etats, avec le risque qu'un retour à la volonté de régulation ne se heurte à l'impossibilité de sa mise en œuvre - sauf à recourir à des méthodes peu empreintes d'humanisme. C'est la crainte du psychosociologue allemand Harald Welzer, qui prévoit une très forte hausse de la conflictualité en raison des mouvements de population massifs que devrait entraîner selon lui le réchauffement climatique. Dans Les guerres du climat (Folio, 2012), il estime qu'à moyen terme, "des innovations techniques apporteront quelque répit aux pays assiégés, comme à la frontière des Etats-Unis avec le Mexique. [Mais] l'Amérique et l'Europe devront à l'avenir se protéger plus efficacement contre le flot croissant des réfugiés chassés par l'évolution du climat: famine, problème d'eau, guerres et dévastations provoqueront une pression énorme sur les frontières des îlots de prospérité que sont l'Europe occidentale et l'Amérique du Nord." Davantage que les mouvements de populations et leurs conséquences potentiellement dramatiques, c'est l'accès aux ressources vitales (eau, énergie, nourriture) qui constitue à l'évidence le défi de l'avenir. Parce qu'il a de tous temps structuré les rapports de force à l'échelle d'un territoire. Mais n'est pas précisément en apprenant de l'expérience, même la plus récente que le pire peut être contrarié? Dans la même région du Pacifique Sud, la politique de l'Australie, brièvement résumée par son célèbre slogan "Refugees not Welcome", se révèle complémentaire de celle de la Nouvelle-Zélande voisine, dont le Pacific access category(PAC) a permis d'accueillir près de 3000 ressortissants des Tuvalu, de Fidji, des îles Kiribati et de Tonga menacés par la montée des eaux. Fermeté et humanité semblent ainsi constituer le meilleur rempart contre le chaos que certains s'ingénient à espérer.
06/11/2016, Jean-François Fiorina
Source : .huffingtonpost.fr