vendredi 22 novembre 2024 10:03

Une haine subliminale

Une affiche électorale d’extrême-droite apposée sur un panneau électoral genevois concerne la campagne sur une initiative « Pour sortir du nucléaire » soumise au vote le 27 novembre prochain. Mais elle ne nous parle pas de politique énergétique. Elle appelle surtout à « tirer la prise de l’immigration ».

 Qui sont les auteurs de cette affiche ?

En Suisse, l’Union démocratique du centre (UDC) est un parti d’extrême-droite xénophobe qui est à l’origine de la plupart des récentes initiatives attentatoires aux droits humains qui ont donné lieu à un vote au cours des dernières années, certaines ayant même été couronnées de succès. Ainsi, sous le titre trompeur d’un refus d’une prétendue « immigration de masse » en Suisse, à la suite d’une campagne mensongère niant le fait qu’il s’agissait en réalité de mettre en question les engagements de la Suisse vis-à-vis de l’Union européenne en matière de libre circulation des personnes, et ainsi l’ensemble des accords bilatéraux Suisse-Union européenne, la dernière initiative victorieuse de l’UDC a provoqué une crise politique majeure dont l’issue reste incertaine. Une nouvelle initiative de l’UDC a encore été lancée et déposée cette année pour faire prévaloir le droit suisse sur tout autre droit, mettant cette fois en cause les engagements de la Suisse en matière de droit humains fondamentaux, en lien notamment avec la Convention européenne des droits de l’homme. De nombreuses oppositions se sont déjà exprimées contre ce nouveau projet particulièrement préoccupant, mais son échec n’est pas assuré.

Ce parti, l’UDC, qui privilégie la démagogie, la haine identitaire, le repli sur soi et le mensonge sur toute valeur relative aux droits humains de tous et de chacun connaît malheureusement un succès électoral considérable. Ce parti d’extrême-droite qui s’apprête à remettre en cause les valeurs humanistes affirmées et protégées par le Conseil de l’Europe après le désastre de la Seconde Guerre mondiale est même représenté par deux conseillers fédéraux au sein du gouvernement suisse. Ce qui ne peut que susciter bien des interrogations.

Comment ce parti peut-il avoir un tel succès et tromper à ce point la population ? C’est sans doute l’effet, notamment, de la banalisation constante de la nature réelle de son action politique au sein de la société helvétique, une banalisation qui est bien présente dans les médias et le monde politique traditionnel, mais surtout savamment assurée et entretenue par un double jeu permanent assumé la bouche en cœur par les personnalités les plus en vue de l’UDC.

 « Tirer la prise », s’agissant d’êtres humains, cela veut dire quoi ?

Revenons donc à l’affiche électorale susmentionnée qui illustre parfaitement cette situation : « Sortir du nucléaire ? Tirez la prise de l’immigration, pas celle de l’électricité ! » proclame-t-elle. S’agissant d’un vote sur l’abandon par la Suisse de sa production nucléaire, l’allusion à l’immigration se trouve évidemment hors du sujet. Mais elle répond pleinement à l’obsession xénophobe de l’UDC. Comment comprendre alors le sens de la formule « tirer la prise » appliquée à des êtres humains ? Lorsque je l’ai lue pour la première fois dans la rue, c’est une image très sombre qui m’est venue. Tirer la prise, s'agissant d'êtres humains, c’est débrancher un appareillage, et cela ne peut que faire penser à des situations de fin de vie. Sauf qu'il s'agit ici d'êtres humains qui ont fui des situations de détresse et qui ne demandent qu'à vivre.

Et encore une fois, c'est sûrement la bouche en cœur que les responsables de cette affiche viendront nous dire que cela n’a rien à voir. 

Cette affiche contient en réalité un message subliminal qui est d'une immense violence symbolique. Un message d’autant plus malvenu qu'il apparaît dans un contexte de crise migratoire intense, avec une mort de masse qui se produit jour après jour en Méditerranée, sans parler des autres tragédies en amont qui produisent ces exils forcés de réfugiés. Et plus encore dans un pays qui ne connaît pas d'afflux migratoire sérieux et qui fait preuve d'un certain zèle pour appliquer des renvois en fonction d’accords (de Dublin) absurdes et inhumains…, au point de provoquer une véritable crise de l'accueil.

En regardant cette affiche de l’UDC, en réfléchissant à la violence de son message subliminal, et de son message de haine directement adressé à toutes les personnes concernées par l’histoire d’une migration ou d’un exil, j’en viens à me dire que si nous ne faisons rien, si nous ne les arrêtons pas, dans quelques décennies, cette affiche sera peut-être utilisée dans des classes d’histoire pour illustrer quel climat de haine et de violence symbolique aura à nouveau rendu possible, en amont, une autre terrible tragédie humaine. 

Mais bien sûr, en refusant de banaliser l'action des incendiaires, en travaillant sur le passé et en y trouvant du sens, et des alertes, pour le présent, il est encore temps de ne pas laisser advenir ce sinistre présage!

7 NOV. 2016, Charles Heimberg

Source : mediapart.fr

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