Plusieurs Etats ont mis en place des programmes qui permettent aux riches ressortissants étrangers d’accéder à une nouvelle nationalité en échange d’investissements sur place.
Le Portugal octroie depuis fin 2012 des visas aux étrangers prêts à investir au moins un million d’euros dans le pays.
Voyager sans visa dans plus de 160 pays et développer sans entraves des business en Europe. Une idée qui fait rêver plus d’un homme d’affaires chinois, russe ou pakistanais, perpétuellement confronté à des difficultés lorsqu’il s’agit de traverser les frontières. Certains pays de l’Union européenne les ont entendus.
Longtemps apanage des petits Etats caribéens, à l’image de la Dominique, Grenade, Antigua-et-Barbuda ou Saint-Christophe-et-Niévès, plusieurs pays comme le Portugal, Malte, Chypre ou encore la Lettonie proposent une nationalité en échange d’investissements sur leur territoire. Ces démarches permettent d’attirer des migrants fortunés et de capter des capitaux qui font défaut. L’exemple du Portugal est criant, puisque, entre 2012 et 2014, le pays a accordé un peu plus de 2000 permis de séjour pour des investissements de 1,2 milliard d’euros et des recettes fiscales chiffrées à plus de 100 millions.
Une acquisition immobilière permet généralement de prétendre au sésame estampillé UE. Un permis de résidence au Portugal (passeport après six ans sans exigence de domicile) est accessible pour un achat à 0,5 million d’euros. Il en coûtera par contre 2 millions à ceux qui veulent obtenir un passeport en six mois à Chypre, un point qui sélectionne naturellement les amateurs.
Les moins fortunés peuvent toujours se tourner vers les Caraïbes qui proposent, en trois mois de procédures et 200 000 dollars, des nationalités qui ouvrent l’espace Shengen sans visa. Ces programmes représentent un véritable business pour ces petits Etats qui en font une publicité décomplexée. Antigua profite par exemple de sa célèbre et très en vogue semaine de la voile de mai pour en faire la promotion. Un salon d’accueil jouxte le yacht-club et informe les riches propriétaires de voilier sur les avantages sécuritaires, fiscaux et juridiques qu’offre ce pays de moins de 100 000 âmes pour qui veut y investir.
Quel que soit le pays choisi, les prétendants à un second passeport passent en général par des intermédiaires pour réaliser leurs démarches. Philippe Gelin, associé fondateur de Shorex Capital à Londres, est spécialisé dans ce domaine depuis trois ans et fait face à une demande croissante. «Nous traitons une trentaine de dossiers par an et la demande n’a fait qu’augmenter, explique-t-il, même s’il précise ne pas connaître les statistiques précis en la matière.
Il y a de plus en plus de personnes fortunées venant des pays émergents, dont la nationalité pose problème pour les déplacements. Mais il y a également pour ces gens la volonté d’offrir à leur famille un passeport qui permet de vivre dans un pays politiquement stable. Un homme d’affaires chinois voudra encore que ses enfants puissent étudier en Europe, ce qui peut être compliqué avec le passeport d’origine. Contrairement aux idées reçues, la fiscalité n’est que rarement une motivation, puisque celle-ci dépend du pays de domicile. Et l’avantage de ces programmes est justement de ne pas imposer de domiciliation. Ils permettent avant tout d’acquérir des capitaux, et surtout de faire venir des personnes qui ont déjà fait leurs preuves dans les affaires.»
Montrer patte blanche
Ces nouveaux citoyens ne sont toutefois pas vus du meilleur œil partout. Plusieurs pays craignent que certains de ces ressortissants profitent de leur passeport pour effacer un passé trouble ou contourner certaines législations. Philippe Gelin ne voit pour sa part pas de réel risque de ce côté.
«D’une part, les Etats, et particulièrement ceux qui proposent un passeport européen, sont très prudents et exigent une due diligence des fonds investis. Ces garde-fous peuvent d’ailleurs constituer une difficulté pour plusieurs candidats. Les montages financiers de certaines fortunes, même s’ils sont parfaitement légaux, peuvent être très complexes et difficiles à expliquer.» Le fondateur de Shorex Capital estime également que les individus à l’activité discutable disposent d’autres moyens, plus simples et moins onéreux, pour réaliser leurs opérations douteuses. «La manne financière est trop importante pour que quiconque prenne des risques. Tous les pays ont intérêt à être très vigilants.»
Plusieurs scandales survenus récemment incitent d’ailleurs les administrations à redoubler d’attention dans le traitement de leurs demandes. L’affaire du Texan Allen Stanford, ressortissant d’Antigua-et-Barbuda et condamné à 110 ans de prison pour une affaire portant sur le détournement de sept milliards de dollars, avait défrayé la chronique en 2012. La démission du ministre de l’Intérieur portugais Miguel Macedo en 2014, pour cause de corruption en relation à des octrois de nationalités, avait aussi amené le gouvernement à geler son programme durant quelques mois.
Pour Philippe Gelin, Chypre et Malte constituent actuellement les destinations les plus intéressantes pour qui en a les moyens. «L’investissement consenti ne doit pas être supérieur à 10% du patrimoine», complète-t-il. Avec le septième meilleur passeport du monde pour voyager sans visas, selon le classement Henley & Partners, Malte a levé plus d’un milliard d’euros de fonds en dix-huit mois. Chypre a de son côté vu son développement immobilier croître de manière remarquable, une évolution impossible sans ces apports extérieurs.
Les Chinois et les Russes sont les principaux intéressés par ce type de programmes, qui ont de belles années devant eux, vu l’augmentation des grandes fortunes dans les pays émergents.
19 Décembre 2016, VINCENT GILLIOZ
Source : bilan.ch