vendredi 22 novembre 2024 03:21

Jacques Attali : «Bien gérée, l'immigration est positive»

Il y a aujourd'hui soixante-cinq millions de réfugiés dans le monde. On n'a rien vu venir ?

Si je peux revenir sur mon propre travail, j'avais écrit «L'Homme nomade» : voici revenu le temps de l'homme nomade, après une courte parenthèse avec un homme sédentarisé. Tous les hommes sont nomades, et il y a trois sortes de nomades. Le premier est un nomade de luxe, qui arpente la planète pour son plaisir, pour s'amuser, pour consommer, ou éventuellement pour son travail. Le deuxième nomade est le nomade de misère, qui, lui, subit la pression économique ou écologique et doit quitter son lieu de naissance. Enfin, il y a le nomade virtuel, celui qui rêve d'être un nomade de luxe mais qui a peur de devenir un nomade de la misère. Il assiste au spectacle de l'un et de l'autre car le spectacle du nomade de luxe est aussi visible que celui du nomade de la misère.

Il y a des gens qui se déplacent pour des raisons économiques, écologiques ou politiques, mais il est souvent difficile de séparer ces trois raisons. Nous-mêmes, ne considérons-nous pas que la première des libertés est la liberté de se déplacer ? D'ailleurs, on peut définir une dictature par le nombre de personnes qui décident de la fuir : c'était le cas des exilés de Cuba, c'était le cas des boat people du Vietnam… Que les gens partent pour des questions politique ou écologique, on se retrouve toujours avec des émigrés en situation illégale. Les règles internationales donnent le statut de réfugié politique à quelqu'un qui peut prouver qu'il est menacé politiquement : la frontière est souvent floue. On assiste à un creusement des écarts entre les pays stables et les pays instables, entre les pays qui ont des perspectives et ceux qui n'en ont pas… Pourquoi voulez-vous qu'un jeune de 18 ans reste dans son pays s'il n'y a absolument aucune perspective ? Soit il reste et peut alors tomber dans la violence, soit il part, avec cette fois la perspective d'envoyer un peu d'argent à sa famille.

Comment les choses vont-elles évoluer ?

On considère effectivement qu'il y a 65 millions de réfugiés, et on sait qu'il y a environ 350 millions de personnes qui n'habitent plus dans leur pays d'origine. Avec les désordres politiques qui vont augmenter et les désordres écologiques qui sont à craindre, on a avancé le chiffre de 300 millions de réfugiés, mais ce sera plus sûrement un milliard. Le risque, c'est que ce nombre augmente. Car il y a un grand mouvement et ce n'est pas seulement un mouvement du Sud vers le Nord, mais il y a aussi des déplacements du Nord vers le Sud, avec des personnes qui recherchent d'autres perspectives, des déplacements Sud-Sud et des déplacements Nord-Nord, des mouvements considérables dans tous les sens.

Alors pourra-t-on mettre des barrières partout ?

Chaque pays d'Europe porte le nom d'un envahisseur. La France, c'est le nom des Francs. L'Allemagne, des Alamans. La Grande-Bretagne, des Bretons… Même l'Amérique porte le nom d'un conquérant, Amerigo Vespucci. Notre histoire est faite de cela. Ces mouvements peuvent être désastreux, lorsque ceux qui arrivent ne veulent pas s'assimiler et veulent détruire le modèle de la société dans laquelle ils arrivent. Ce sont des choses qui sont arrivées dans l'Histoire. En revanche, si ceux qui arrivent admirent la civilisation où ils débarquent et veulent s'y installer, alors il faut se poser la question de savoir quel effort on peut faire pour les intégrer. Ainsi, les Allemands ont fait un effort significatif en voulant intégrer un million de réfugiés. Un effort relatif quand même lorsqu'on compare avec le Liban, où la population a augmenté de 25 % avec les réfugiés syriens : c'est comme si la France avait admis 17 millions de réfugiés !

L'immigration peut-elle être positive ?

Toutes les études montrent que si l'immigration est bien gérée, elle est extrêmement positive pour ceux qui reçoivent : elle augmente la consommation, la croissance et l'emploi. Il faut créer les conditions pour recevoir les immigrés.

Comment éviter un scénario catastrophe ?

La France a un rôle à jouer notamment avec les pays du Sahel avec lesquels elle a des relations historiques. Ces pays doivent accomplir leur transition démographique, car les femmes y ont souvent encore 7 ou 8 enfants, ils vont atteindre les 200 millions d'habitants. Ils doivent appliquer les accords sur le climat. Nous, nous devons les accompagner dans leur propre développement. Il ne faut pas croire que les fortes températures soient un obstacle au développement. Le Mexique, le Brésil, la Malaisie connaissent des conditions climatiques difficiles, et cela n'empêche pas ces pays de se développer sur le plan économique. Enfin, nous devons favoriser la transition démocratique de ces pays, sinon, le Sahel deviendra un réservoir de fondamentalistes.

Êtes-vous optimiste ou pessimiste ?

On ne peut pas se contenter d'être optimiste ou pessimiste. L'optimiste et le pessimiste sont des spectateurs, or il faut jouer le match. Nous, nous sommes des joueurs.

16/01/2017, Dominique Delpiroux

Source : ladepeche.fr

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