Ils rêvent de quitter leur Afrique natale pour couler des jours meilleurs dans un pays neuf. Et font parfois appel à des agences spécialisées pour les aider à constituer un dossier. Problème : certaines excellent à les escroquer.
Pour des milliers d’Africains, c’est devenu une destination phare. Le Canada, son faible taux de chômage et ses bons résultats en matière d’intégration attirent de nombreux aspirants au départ. Un chiffre illustre cette réalité : en dix ans, la communauté africaine a presque doublé, passant de 300 000 personnes en 2001 à 570 000 en 2011 (sur 33 millions d’habitants). Conséquence : à Dakar, à Alger ou à Lagos, la concurrence est rude entre les nouveaux candidats à l’exil, tous très motivés.
Pour mettre toutes les chances de leur côté, certains font même appel à des « agences en immigration ». Dossier mieux ficelé, connaissance pointue de la législation en vigueur… Ils comptent sur ces spécialistes pour augmenter leurs chances de voir leur demande acceptée. Las, depuis une quinzaine d’années, le secteur est envahi par des structures peu regardantes qui n’hésitent pas à garantir logement, emploi et visa à quiconque s’attacherait leurs services. Des promesses aussi irréalistes que le marché est lucratif : ces sociétés facturent jusqu’à 2 000 euros le dossier. Sans garantie de résultat.
Confiance mise à mal
Smaïl, 27 ans, a été victime de l’une de ces arnaques. L’année dernière, ce fils de bonne famille, originaire d’Alger et infirmier diplômé, décide de tenter l’aventure au Québec. Conscient de la difficulté à constituer lui-même son dossier, il fait appel à une société spécialisée, dont il tait le nom « par peur des représailles ». « À la première rencontre, je n’ai rien remarqué d’anormal. L’homme qui m’a accueilli m’a expliqué qu’avec mon profil j’avais toutes les chances de voir ma requête agréée. J’ai dû ensuite lui fournir plusieurs documents administratifs. Il avait tout d’un pro », explique Smaïl.
En l’espace de deux mois, il rencontre son interlocuteur à trois reprises et débourse à chaque fois un peu plus. « Il m’a d’abord demandé 200 euros d’acompte, puis 500 euros pour couvrir les frais juridiques, et encore 500 euros pour les dessous-de-table à notre dernier rendez-vous. » Deux semaines plus tard, Smaïl s’inquiète de l’absence de nouvelles. L’homme est désormais injoignable sur son portable et par e-mail. Et quand Smaïl se rend à ses bureaux, il trouve porte close.
Arnaques à perte de vue
« Des histoires comme ça, on en entend tous les jours ! Les responsables de nos bureaux africains nous rapportent que les candidats à l’immigration se rendent chez des concurrents qui leur garantissent un résultat sous quinze jours pour moitié moins cher », s’insurge Patrick Herbelin. Confortablement installé dans son bureau de Montréal, ce Français arrivé au Canada en 2001 dirige Legit-Québec, une société d’aide à l’immigration à but non lucratif qui a ouvert des antennes au Cameroun et en Côte d’Ivoire.
Une structure crédible qui doit composer avec la concurrence de ces agences fantômes. Depuis des années, Patrick Herbelin a vu ce business se développer : « Souvent, les personnes qui se lancent dans ce domaine sont des immigrés qui y voient une activité facile. Un agent n’a besoin que d’un téléphone, d’un papier et d’un stylo. Et il peut gagner gros. Forcément, ça fait tourner les têtes… »
Un fléau pris au sérieux
Conscient du problème, le gouvernement canadien a, en février 2011, créé un registre officiel des consultants en immigration et diffuse régulièrement sur son site des messages mettant en garde contre les pièges les plus grossiers. Car les brouteurs et autres professionnels de l’arnaque, souvent nigérians, se sont également emparés de ce nouvel eldorado. Ils saturent les boîtes mail africaines d’offres d’emploi mirobolantes au Canada ou de visas de travail offerts dans l’espoir de voler des données bancaires. Un service entier de la Gendarmerie royale se consacre aux questions migratoires.
En 2016, la province de Québec a démasqué trois consultants illégaux qui s’étaient constitué un portefeuille de 600 dossiers et travaillaient pour le compte des sociétés ICQ Algérie, Future Group et Chemin étudiant. « Les arnaqueurs agissent la plupart du temps depuis l’étranger », explique-t-on au ministère de l’Immigration, qui précise qu’ils tombent malgré tout sous le coup de la loi québécoise.
Un marché prometteur pour les charlatans
Difficile, pourtant, de contrôler l’activité de dizaines d’entreprises installées sur le continent africain. L’histoire de Ghislain, un Camerounais de 33 ans, prouve que le marché reste très prometteur pour les charlatans. Le jeune homme a eu affaire à une structure bien implantée à Douala. Une société également présente dans deux autres villes du pays, et qui se targue de résultats « exceptionnels » au Canada. « On voit leur publicité partout à Douala. À la télé, dans les rues… Ils sont trop riches ! » s’exclame Ghislain, qui a fait appel à leurs services.
« Lors de mon premier entretien, ils m’ont prévenu qu’ils pouvaient ne pas réussir à faire passer mon dossier. C’est là où ils sont forts : on ne peut pas dire que ce soit une totale arnaque », siffle le jeune homme. L’« entretien » en question dure cinq minutes, facturées 10 000 F CFA, soit plus de 15 euros. « Ils ne m’ont même pas demandé mes diplômes, je ne savais pas si j’avais un bon profil. On n’a jamais parlé des conditions d’admission au Canada. Le seul sujet, c’était l’argent, l’argent, l’argent », résume Ghislain. Flairant le danger, il se rend tout de même à un second rendez-vous, où il débourse 120 euros supplémentaires. Sans obtenir de détails sur l’état d’avancement de son dossier.
Samuel, 20 ans, chauffeur de taxi à Douala, s’est lui aussi trouvé pris dans cet engrenage. Pour lui comme pour beaucoup d’autres, émigrer représente un tel espoir qu’il leur est difficile de renoncer. Pourtant, les tarifs l’ont vite arrêté. « Chaque rendez-vous me coûtait plus cher que le précédent. Quand j’ai compris que cela pouvait durer plus d’un an, j’ai abandonné. J’ai compris que ce serait trop cher pour moi ! » raconte-t-il. Efficaces ou bidon, ces agences facturent leurs prestations entre 1 000 et 2 000 euros.
Une somme élevée. Mais, comme le dit Ghislain, « les passeurs libyens prennent tout aussi cher pour acheminer les candidats à l’exil en Europe, et ici, au moins, on ne risque pas sa vie sur un bateau en pleine Méditerranée ».
17 janvier 2017, Barthélémy Gaillard
Source : jeuneafrique.com