En difficulté depuis le référendum de 2014 sur l’immigration européenne, la Suisse peine à trouver un compromis donnant raison aussi bien aux électeurs qu’à Bruxelles, inflexible sur le respect du principe de libre circulation.
Et bien que les députés aient renoncé à imposer des quotas pour les travailleurs européens, la diplomatie helvétique semble encore avoir du pain sur la planche particulièrement pour convaincre les pays voisins de sa nouvelle approche fondée sur "la préférence indigène".
Le projet de loi retenu en décembre par l’assemblée fédérale, largement atténué par rapport au texte initial prévoyant "la limitation de l’immigration européenne", a été perçu par l’exécutif européen comme "un signe d’ouverture" sur la question de la libre circulation. Les députés ont refusé d’instaurer des quotas migratoires parce qu’ils craignaient des rétorsions des "Vingt-Huit", dans la mesure où ces mêmes quotas sont contraires à l’accord sur la libre-circulation avec l’UE.
Cependant, des divergences subsistent toujours au sujet de la priorité accordée à la main d’œuvre locale, d’autant plus que des membres de l’Union comme la France et l’Allemagne exigent "le respect total" des termes de l’accord signé il y a plus de 10 ans. La question qui se pose aujourd’hui est de savoir si tout va désormais pour le mieux dans la relation Suisse-UE après l’approbation, le mois dernier, d’une loi d’application du vote anti-immigration, laborieusement négociée dans l’Hémicycle.
Pour Mario Gattiker, secrétaire d’Etat suisse aux migrations, le texte adopté représente "un premier pas vers la normalisation" et les discussions avec le bloc européen "devront vraisemblablement évoluer vers le mieux".
Mais le repos du guerrier paraît de courte durée : les responsables suisses savent pertinemment que l’UE ne doit plus être reléguée à une bénigne insouciance, au regard surtout de la fermeté dont fait montre Bruxelles envers le Royaume-Uni après le vote en faveur du Brexit.
En tout cas, "trois ans auront été nécessaires pour un début de dénouement basé sur une formule qui ne contredit pas le principe de libre circulation et qui, simultanément, sauvegarde la relation bilatérale", estime l’expert suisse des relations européennes, Jean Russotto, notant que "la gestation a été incompréhensiblement longue".
Si la nouvelle loi en matière d’immigration n’est qu’un premier pas dans le long processus visant un compromis avec l’UE, elle a d’ores et déjà ouvert la voie au feu vert de Bruxelles pour des négociations dans le vif du sujet.
"L’année 2017 pourrait constituer une étape charnière dans l’approfondissement des relations entre l’Union européenne et la Suisse", a affirmé le chef de l’exécutif européen, Jean-Claude Juncker, qui n’a pas caché son optimisme quant à "de prochaines percées sur un futur accord institutionnel plus vaste".
De source diplomatique à Berne, on affirme qu’une reprise des discussions en suspens "sera fort probable dès cette année, mais il est difficile de dire si elles devraient aboutir". Ces négociations se heurtent toutefois à de sérieux désaccords sur nombre de dossiers, en particulier le rôle de la Cour de justice de l’UE et l’éventualité d’une clause dite "guillotine", selon laquelle la résiliation d’un accord met fin à l’application des autres traités.
Il s’agit là de vraies lignes rouges que Berne ne serait pas prête à abandonner, sous l’effet de la pression de la droite populiste et d’un pan entier de l’opinion publique.
De l’avis des observateurs, la Suisse s’est trouvée jusqu’ici prise en tenaille entre des pays aux intérêts clairement divergents. L’Italie et la France se montrent en effet très attentives aux intérêts de leurs travailleurs frontaliers, alors que l’Allemagne ne souhaite pas donner des signes qui puissent être exploités par Londres à quelques semaines du déclenchement de la procédure du Brexit.
Les pays de l’Europe de l’Est membres de l’UE sont, de leur côté, attachés au symbole que représente pour eux la libre circulation des travailleurs.
Au cœur de la société suisse, les étrangers représentent près de 25 pc de la population de ce petit pays alpin de huit millions d’habitants. Mais ces dernières années, les immigrés sont rendus responsables, du moins dans le discours de l’extrême droite, de la hausse des loyers, de l’encombrement des transports ou de la recrudescence de la délinquance.
Le parti de droite radicale UDC n’hésite pas à remettre en cause tout le cadre partenarial avec l’Union européenne, fondé sur la libre-circulation des personnes, une démarche vécue par les milieux des affaires comme un coup dur à l’économie helvétique.
En chiffres, les étrangers contribuent à la création d’environ 40 pc des nouvelles entreprises lesquelles génèrent au total plus de 30.000 emplois pour la seule année 2013, d’après l’institut d’analyse Orell Fussli.
Depuis l’introduction progressive de la libre-circulation des personnes entre Berne et Bruxelles, jusqu’à 80.000 étrangers sont venus chaque année travailler dans le pays helvétique, parmi eux 75 pc en provenance des pays de l’UE.
23/01/2017, Abdellah CHAHBOUN
Source : MAP