vendredi 22 novembre 2024 04:43

Frontex : «Il faut juguler les flux migratoires en Afrique avant qu'ils n'atteignent la Libye»

Tandis que les arrivées en Italie par la Libye ont atteint un niveau record l'année passée, Frontex poursuit le déploiement d'agents de liaisons dans les «pays sources» de migrations en Afrique de l'Ouest et dans la corne d'Afrique, explique son directeur, Fabrice Leggeri.

Toutes routes confondues, les arrivées de migrants par la mer ont chuté de deux tiers en 2016, par rapport à la crise de l'année 2015. Mais parallèlement, les arrivées en Italie depuis la Libye ont connu une hausse inédite. Forte d'un budget et de moyens élargis, l'agence Frontex devra prioritairement endiguer ce flux migratoire venu de la corne de l'Afrique et d'Afrique de l'Ouest, via la route de Méditerrannée centrale.

LE FIGARO.- Le nombre total des arrivées de migrants est en baisse, mais les arrivées par la Méditerranée centrale observent une hausse record. Comment expliquer ce bilan?

Fabrice LEGGERI.- En 2016, nous avons enregistré 503.700 passages illégaux de nos frontières extérieures. Sur les deux routes principales qui débouchent sur l'Italie et la Grèce, on a dénombré 364.000 passages. C'est un chiffre élevé, mais en baisse significative de l'ordre des deux tiers par rapport au record de 2015. Ce recul s'explique par deux phénomènes: d'abord la fermeture de la route moyen-orientale qui passait par la Turquie, les îles grecques et l'Europe centrale. L'ancienne république yougoslave de Macédoine a fermé sa frontière terrestre avec la Grèce. Ainsi, moins de 100 personnes passent chaque jour par les Balkans, contre 2500 en février 2016. L'autre facteur explicatif, c'est le succès de l'accord du 18 mars entre la Turquie et l'Union européenne. La frontière est bien contrôlée, et Frontex a pu éloigner 908 personnes vers Ankara sur 2016, en l'échange de l'accueil de 2800 réfugiés syriens. Mais à côté de ces résultats encourageants, la situation s'est aggravée en Méditerranée centrale. 180.000 personnes sont arrivées en Italie par la Libye. Un chiffre record, en hausse de 20%, qui s'explique notamment par le fait que la Libye est toujours en proie au chaos.

En octobre, l'Union européenne a décidé de renforcer le budget, les attributions et les moyens de Frontex, notamment par la création d'une réserve multinationale de 1500 gardes-côte. Deux mois plus tard, où en sommes-nous?

Dans nos activités opérationnelles, nous nous reposons toujours principalement sur l'équipement technique issu des autorités frontalières des États-membres. La nouveauté, c'est que dans un futur proche, nous serons aussi capables de louer des bateaux constitués d'équipages internationaux. Cela ne signifie pas acquérir une nouvelle flotte, mais cela nous rend certainement plus indépendants, et donc plus efficaces quand il s'agit de se déployer. Par ailleurs, nous sommes aussi en train d'acheter du matériel de surveillance aérienne, plus efficace. Ce que nous avons créé depuis l'introduction de la nouvelle régulation, c'est une équipe de 1500 officiers mobilisables rapidement (en plus d'une équipe de près de 5000 officiers que nous utilisons pour les déploiements réguliers dans nos opérations), et une équipe d'experts en retours qui sont à la disposition des Etats membres.

Comment lutter contre le trafic d'êtres humains qui prospère sur les côtes libyennes, tant que le pays n'est pas stabilisé?

Le contrôle très limité de la frontière libyenne permet aux passeurs d'agir en toute impunité. Lutter contre ces réseaux fait partie des missions de Frontex. Sur le terrain, nous rassemblons aussi du renseignement et des preuves qui peuvent alimenter des enquêtes criminelles. Une part importante de nos activités opérationnelles consiste à débriefer les migrants qui partagent des informations précieuses transmises aux autorités nationales. Nous développons aussi des liens de coopération avec les pays sources et les pays de transit. Nous déployons actuellement des agents de liaison dans les pays non-européens. Nous en avons déjà envoyé un en Turquie, et nous sommes en cours de recrutement pour en envoyer un au Niger et en Serbie. Attachés à la délégation de l'Union européenne, ces officiers faciliteront la collecte et l'échange d'informations.

En 2017, la lutte contre l'immigration illégale via la Méditerranée centrale se fera donc en concentrant les efforts moins sur la Libye que sur les États sources de départs...

Il faut effectivement juguler autant que possible les flux qui arrivent du continent africain avant qu'ils n'atteignent la Libye. Des milliers de migrants d'Afrique de l'Ouest transitent via la plaque tournante d'Agadez, au Mali. Une mission de l'Union européenne s'y trouve déjà, et Frontex veut y déployer un agent de liaison. Mais cela ne peut nous dispenser de poursuivre nos efforts sur la Libye. Le récent renforcement de l'agence, en effectifs et en attributions, va nous permettre de mieux couvrir la frontière extérieure de l'Union européenne. Par ailleurs, en collaboration avec la mission de l'UE d'assistance aux frontières libyennes EUBAM, nous venons de finir la formation de 80 gardes-côte libyens qui seront prochainement équipés pour patrouiller sur leurs côtes.

24/01/2017, Edouard de Mareschal

Source : lefigaro.fr

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