C'est sans précédent pour une toute nouvelle administration américaine: dix jours après l'investiture de Donald Trump et trois jours après son décret anti-immigration, des diplomates américains "contestataires" s'insurgent contre ce texte qui soulève un tollé aux Etats-Unis et dans le monde.
En activant le "canal dissident", un moyen de communication interne au ministère américain des Affaires étrangères, des cadres du département d'Etat ont protesté officiellement contre l'ordonnance que le président des Etats-Unis a signée vendredi et qui suspend l'entrée de ressortissants étrangers musulmans et de réfugiés du monde entier.
Bien que le département d'Etat soit en théorie passé sous le pavillon de l'administration Trump, nombre de ses diplomates ont transmis "un message par le canal dissident à propos du décret intitulé +Protéger la nation contre l'entrée de terroristes étrangers aux Etats-Unis+", a confié Mark Toner, porte-parole intérimaire du ministère.
Mais la colère de ces diplomates dans un mémorandum "dissident" n'a pas plu à la Maison Blanche qui leur a aussitôt lancé un ultimatum: "Soit ils acceptent le programme, soit ils s'en vont", a tonné Sean Spicer, porte-parole de la présidence.
Au contraire, son homologue à la diplomatie américaine, Mark Toner, a défendu "un vecteur officiel de longue date permettant aux employés du département d'Etat d'exprimer des opinions et des perspectives alternatives sur les questions de politique" étrangère.
Il n'a rien dit du contenu du mémo "dissident", révélé par le blog spécialisé Lawfare, ni sur le nombre de diplomates qui le soutiennent ou qui l'ont signé. Lawfare parle de "centaines" de fonctionnaires prêts à parapher le texte.
Il dénonce le décret présidentiel qui suspend pour trois mois l'arrivée aux Etats-Unis de ressortissants de sept pays musulmans (Iran, Irak, Libye, Somalie, Soudan, Syrie, Yémen) et qui gèle pendant quatre mois le programme fédéral d'admission de réfugiés. Pour l'accueil de réfugiés syriens, l'arrêt du programme est définitif, jusqu'à nouvel ordre.
Les diplomates contestataires dénoncent "une politique qui ferme la porte à plus de 200 millions de voyageurs légitimes dans l'espoir d'empêcher une petite fraction d'utiliser le système des visas pour entrer aux Etats-Unis et s'en prendre aux Américains". Cela "ne répondra pas à l'objectif d'un pays plus en sécurité", estiment les "dissidents", trois jours seulement après que leur président Donald Trump a pris son décret déclenchant des condamnations aux Etats-Unis et à l'étranger.
Dans une Amérique qui s'est bâtie grâce à des vagues successives d'immigrations, les diplomates accusent même le décret Trump d'"aller à l'encontre des valeurs fondamentales américaines de non discrimination, de fair-play et d'accueil chaleureux des visiteurs étrangers et des migrants".
Ce "canal" de communication "contestataire" avait été créé au département d'Etat en 1971 durant la Guerre du Vietnam, afin de répondre à la pression de diplomates critiques de la politique étrangère américaine d'alors.
Il avait été rouvert pour la dernière fois en juin 2016 lorsqu'une cinquantaine de diplomates avaient réclamé que les Etats-Unis frappent militairement le régime syrien, une critique sévère contre leur président de l'époque, Barack Obama, lequel refusait toute intervention d'envergure en Syrie.
Mais une contestation officielle émanant du département d'Etat dix jours après l'investiture d'un nouveau président et avant même que son secrétaire d'Etat soit en fonction est du jamais vu.
Le porte-parole Mark Toner a vanté "un processus important auquel le secrétaire d'Etat intérimaire (Thomas Shannon) et le département d'Etat dans son ensemble attachent une grande valeur". Une manière pour les employés du ministère -- qui sont 70.000 toutes catégories confondues et répartis dans le premier réseau diplomatique et consulaire de la planète -- de pouvoir "exprimer auprès de leur hiérarchie leurs opinions avec franchise et de manière confidentielle", a-t-il insisté.
Nombre de diplomates de carrière qui occupaient des postes "politiques" sous le gouvernement Obama sont partis ces derniers jours.
Mais beaucoup d'entre eux restent intégrés aux Affaires étrangères et des cadres intermédiaires sont toujours à leurs postes. Parmi eux, le porte-parole Mark Toner servait sous l'ex-secrétaire d'Etat John Kerry et il assure l'intérim jusqu'à l'arrivée du chef de la diplomatie nommé par Donald Trump, mais non confirmé dans ses fonctions, l'ancien patron d'ExxonMobil Rex Tillerson.
30 jan 2017
Source : AFP