mercredi 27 novembre 2024 14:08

A Calais, détournement de procédure et atteinte aux droits fondamentaux

La contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Adeline Hazan, fustige la politique de placements massifs en centres de rétention de migrants de la «jungle» de Calais.

Après Jacques Toubon contre Bernard Cazeneuve, voici Adeline Hazan contre le même Cazeneuve. Comme le Défenseur des droits, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) remet fermement en cause la politique du ministre de l’Intérieur pour «désengorger» la «Jungle» de Calais dans un document de huit pages publié ce mercredi. L’ancienne maire (PS) de Reims estime que la stratégie de placements massifs en centre de rétention enclenchée fin octobre représente une «utilisation détournée de la procédure», qui «entraîne des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes». Elle recommande au ministre d’y «mettre fin».

Entre le 21 octobre et le 10 novembre, 779 personnes ont été «déplacées» de la Jungle vers des centres de rétention (des prisons pour sans-papiers) sur tout le territoire français. Adeline Hazan pointe une série de violations de principes élémentaires. Plusieurs migrants ont ainsi été séparés de leur famille, «principalement de leurs frères ou cousins mineurs laissés libres». Elle évoque une notification des droits réalisée de manière «grandement insuffisante», des procédures «non-individualisées» voire «stéréotypées».

A l’hôtel de police de Coquelles (à côté de Calais), où des vérifications ont été menées fin octobre, le CGLPL a pu constater que jusqu’à treize personnes s’entassaient dans une cellule de 11 m². L’accès aux toilettes «en présence de co-cellulaires» représente une «situation attentatoire au respect de la dignité humaine». La suite des opérations – en l’occurrence l’envoi vers les centres de rétention –, n’est pas plus reluisante.

«Usage détourné de la procédure»

Selon Adeline Hazan, le «nombre de placements est fixé à l’avance», selon un «roulement prédéfini» ayant pour objectif de «désengorger» Calais. C’est un «usage détourné de la procédure de placement en rétention administrative», affirme la contrôleure. Qui établit un bilan chiffré de la politique du ministère de l’Intérieur : entre le 21 octobre et le 10 novembre, sur les 779 personnes déplacées, 578 ont été libérées, soit 74 % du total. Seules 15 d’entre elles ont été réadmises dans un pays de l’Union européenne (2 %). Plus de la moitié des personnes libérées l’ont été sur décision de la préfecture, celle-là même qui avait décidé de leur placement en rétention…

Par ailleurs, Adeline Hazan signale que «les pays d’origine de la majorité des personnes déplacées sont particulièrement sensibles : Syrie, Afghanistan, Irak, Erythrée et Soudan. Or, compte tenu des risques encourus pour leur intégrité physique en cas de retour, nombre de ces personnes ne peuvent, en pratique, y être reconduites.» Autrement dit, la politique du ministère de l’Intérieur traduit bien un strict objectif comptable, en l’occurrence de faire baisser la population dans la Jungle, où vivaient quelque 6 000 personnes en octobre. Quitte à enfreindre le droit.

Ce rapport entre en contradiction frontale avec les propos tenus par Bernard Cazeneuve à Libération, dans une interview publiée le 11 novembre. Le ministre de l’Intérieur affirmait alors qu’il n’y avait «pas de singularité calaisienne dans la politique de lutte contre l’immigration irrégulière conduite par l’Etat».

2 décembre 2015 , Sylvain Mouillard

Source : Libération

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