mercredi 27 novembre 2024 15:44

Absurde tentative de censure de rappeurs déjà bien encadrés

Un député UMP de Saône-et-Loire, Michel Raison, a profité de la torpeur estivale pour interpeller le ministre de la culture, Frédéric Mitterrand, sur la nécessaire censure d'"un rap fait par des jeunes issus de l'immigration" et interroge le gouvernement sur les moyens de contrôle que ce dernier souhaite mettre en place, notamment sur Internet.

Un député UMP de Saône-et-Loire, Michel Raison, a profité de la torpeur estivale pour interpeller le ministre de la culture, Frédéric Mitterrand, sur la nécessaire censure d'"un rap fait par des jeunes issus de l'immigration" et interroge le gouvernement sur les moyens de contrôle que ce dernier souhaite mettre en place, notamment sur Internet.

Cette interpellation révèle un profond mépris pour ces fameux "rappeurs issus de l'immigration", pour ne pas dire tout simplement "jeunes noirs et arabes qui chantent sur Internet". La meilleure réponse aurait pu être l'ignorance pour ne pas alimenter le buzz de l'été. La teneur de ses propos nous oblige néanmoins à réagir sur le fond et à proposer une autre lecture de cette intervention.

En premier lieu, et que cela soit dit une fois pour toutes, "le cadre d'exercice du métier de rappeur" est clairement considéré par la jurisprudence française. Autant en matière de sanctions que de protection, la justice est active sur le terrain du rap !

En matière de sanctions, le ministère de l'intérieur porte plainte régulièrement contre des "Artistes anonymes" postant des vidéos Internet violentes à l'égard de la police et obtient leur retrait, voire des condamnations, y compris à de la prison ferme dans le cas des provocations les plus graves.

En matière de protection de la liberté d'expression, la victoire en Cour de cassation du groupe La Rumeur, après huit ans de procédure face à l'ancien ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, n'a fait, paradoxalement et malgré son caractère exceptionnel, que renforcer le cadre régissant l'expression artistique.

Le terrain judiciaire déblayé, il nous paraît important de soulever, ici, plusieurs questions et d'interpeller, à notre tour, ce député qui se permet d'opérer une discrimination claire en direction de personnes "issues de l'immigration", au mépris du principe d'égalité qui doit primer dans cette Assemblée. Le tout au détriment de l'objectif qui aurait pu être d'aborder la question des vidéos à caractère violent circulant sur Internet.

Est-il crédible de parler dans la même Assemblée de "vivre ensemble " et accepter de tels propos ?

Nous considérons aujourd'hui que ce qui s'est exprimé et l'inexistence de réaction officielle illustrent un malaise plus important et largement plus dangereux.

Comme nous l'avons à plusieurs reprises dénoncé, ces interventions publiques ne sont que régurgitations de combats menés par des groupes identitaires au niveau local et sur l'Internet, qui, sous prétexte de lutter contre un "racisme anti-Blancs", prennent régulièrement la parole. Cette expression raciste est une nouvelle fois légitimée et portée par l'intervention de Michel Raison.

Dans le contexte d'hystérie identitaire que nous connaissons en France et partout en Europe, avec ses conséquences parfois dramatiques, nous pensons qu'il faut être vigilant face à ces tentatives de détournement du débat public et ne pas traiter ce sujet par-dessus la jambe, puisqu'il ne s'agirait finalement que "d'histoires de rap".

Au-delà de la condamnation de ces propos et de la vigilance nécessaire, nous y voyons également une intervention révélatrice de notre époque et de la sociologie décalée de notre Assemblée nationale.

En effet, en moins de trente ans, une nouvelle génération d'artistes a surgi des ghettos du monde entier et a porté une parole nouvelle par le rap.

Parfois avec médiocrité, voire avec des excès. Mais le plus souvent avec brio, dans la lignée des combats de ses pères inspirateurs, comme le regretté chanteur, écrivain et pianiste américain Gil Scott-Heron (1949-2011).

A l'échelle de la culture mondiale, le rap est un vecteur d'expression et d'émancipation des jeunes dans le monde entier, qui, de Rio à Abidjan, de Tunis à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), de Los Angeles à Shanghaï se reconnaissent dans un même mouvement culturel.

Cette expression aura également bouleversé l'industrie musicale en permettant à de jeunes artistes, à l'image de Jay Z, de se hisser à sa tête en restant maître de leur destin économique.

Le rap a toujours porté des revendications sociales, qui ont obligatoirement dérangé dans la manière brute et assumée de montrer et dénoncer le réel.

Il y a quelques semaines, la jeunesse tunisienne en révolte scandait et se rassemblait derrière un artiste, El General, qui avait osé affronter le régime à visage découvert. Parallèlement, le blog des insurgés tunisiens reprenait les paroles du Cinquième Soleil d'une rappeuse française, Keny Arkana.

Nous parlons, ici, d'une culture populaire du temps présent, qui, sans devoirêtre écoutée ou appréciée de tous, doit être comprise et respectée, particulièrement par ceux qui exercent un pouvoir public.

Rappelons-nous qu'en France en 2006, un autre député, François Grosdidier - emportant avec lui plus de 150 parlementaires ! - assimilait rap et terrorisme et niait ainsi le talent et la vision des principaux artistes de rap français, qui, depuis la fin des années 1980, dénonçaient avec force la situation des jeunes des quartiers populaires.

Au lieu de cette parole libérée et incontrôlée, nous aurions attendu, en réponse à la mobilisation des jeunesses européennes, un hommage de la représentation nationale à toute une génération qui essaie de s'en sortir dans un contexte de plus en plus dur et aux artistes, qui, souvent au-delà des clichés qu'on leur impose - ou qu'ils s'imposent à eux-mêmes ! -, continuent leur combat.

Quant à nous, nous venons de clôturer, le 4 juillet, Paris Hip Hop, la quinzaine du hip-hop en Ile-de-France. Nous avons assisté, avec près de 100 000 personnes, à des dizaines d'événements regroupant des centaines d'artistes partout, à Paris et en banlieue. Aucun débordement, des familles réunies, une énergie débordante, un discours positif : voilà notre bilan de cette quinzaine culturelle.

Alors à tous ceux qui s'inquiètent qu'il existe en France de jeunes crétins profitant de l'indispensable liberté d'Internet pour "mal s'exprimer", nous leur proposons de travailler collectivement pour faire en sorte qu'ils ne deviennent pas trop vite de vieux cons.

Voilà un beau projet pour l'Assemblée nationale en cet été 2011 !

6/8/2011, Bruno Laforestrie

Source : Le Monde

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