vendredi 27 décembre 2024 10:04

Anti-immigration, anti-UE, anti-élites... Cette Angleterre qui prospère

POPULISMES ET EXTRÊME DROITE EN EUROPE. Outre-Manche, la formation populiste de l'UKIP, qui se défend d'être raciste, a le vent en poupe. Au point d'arriver en tête le 22 mai?

D’habitude, les meetings qui se tiennent au Centre Emmanuel, près de Westminster, sont plus oecuméniques. Ce jour-là, les insultes pleuvent à l’entrée du bâtiment. "No Pasaran !", peut-on lire sur les pancartes des manifestants. "Pourriture raciste !", scande la petite foule, qui a répondu à l’appel de l’équivalent britannique du Front de gauche. Les forces de l’ordre veillent au grain, mais l'ambiance, à deux semaines du scrutin des européennes, qui, outre-Manche, a lieu le jeudi 22 mai, est électrique.

Sous le dôme de verre grandiose du Centre Emmanuel, un millier de sympathisants et de candidats du très médiatique parti euro-sceptique UKIP (United Kingdom Independence Party) attendent le leader Nigel Farage. L’homme, "charismatique", "proche de Monsieur Tout-le-monde", disent ses supporters, a su dans cette campagne séduire les foules en incarnant "le discours du bon sens".  Pour ce meeting londonien, pas moins de six caméras de télévision sont dans la salle et plusieurs journalistes de la presse étrangère sont venus ausculter l’irrésistible ascension, au Royaume de sa Majesté, d’un parti populiste anti-immigration, anti-Europe, anti-élites.

Pour 27% des Anglais, l'UKIP est raciste

Même s’il y a des points communs avec le parti de Marine Le Pen, Nigel Farage a souvent dit qu’il ne s’allierait pas avec elle au Parlement européen. S’il admire le travail de renouvellement qu’elle a accomplit au sein du FN, l’antisémitisme historique que le parti traîne toujours, dit-il, c'est très peu pour lui. D’extrême droite, l'UKIP affirme haut et fort ne pas l’être, même s’il recrute sur le limon fertile de la xénophobie et si, de temps à autre, ses militants dérapent. Comme quand l'un d'entre eux décrit l’islam "comme une organisation criminelle camouflée en religion", ou qu'un autre encourage un célèbre comédien noir (Lenny Henry) "à aller vivre dans un pays noir". Les affiches de campagne ont elles aussi fait polémique. Sous un index angoissant, ce slogan : "26 millions de personnes en Europe cherchent un travail". Sous-entendu: le vôtre. Elles n’ont fait que confirmer l’image d’un parti xénophobe. Et un récent sondage a enfoncé le clou : 27% des personnes interrogées tiennent l'UKIP pour un parti raciste. 

Cameron sous la pression de l'UKIP

La grande affaire du meeting de ce soir est donc de marteler haut et fort que le parti n’est pas raciste. Nigel Farage entend répondre à ceux qui décrivent l'UKIP comme un "BNP en blazers". Le British National Party, la formation ouvertement d'extrême-droite britannique, ne fait plus recette, en partie sans doute parce que l’UKIP a siphonné son électorat.  Alors, sur la scène, on assiste à un défilé très "United-Colors-of-UKIP". Candidats et soutiens de toutes les couleurs, de toutes les origines, de toutes les religions, défilent pour dire qu’ils se reconnaissent dans le parti de Farage. Au micro, Steven Woolfe, le chargé des questions économiques, mouche un (des nombreux) perturbateur(s) qui taxe le parti de "bidon" d’une réplique pleine d’émotion : "moi, j’ai été traité de 'nègre' à l’école et ça, Monsieur, ce n’est pas bidon". "En tant que femme noire, juive de 60 ans, je sais ce que c’est le racisme", renchérira plus tard à la tribune Paula McQueen, candidate à Tower Hamlets, dans l’Est de Londres.
A peine pris au sérieux il y a dix ans, décrit en 2006 par Cameron comme une bande de "dingos" et de "racistes refoulés", l'UKIP est désormais une force qui compte, qui inquiète les partis établis au point d’influencer leur discours. C'est sous la pression de la formation populiste que David Cameron a remis sur le tapis sa promesse de référendum, maintenant annoncé pour 2017, sur une sortie éventuelle de l’UE.

"Rejoignez l'armée de l'UKIP"

Reste que pour l’instant, le parti de Nigel Farage n’a pas un seul député aux Communes. Alors qu'il avait obtenu 16,5% en 2009 lors du dernier scrutin européens, il n'a pas concrétiser au niveau national l'année suivante (3% aux législatives de 2010). Mais le parti pourrait bien cette fois confirmer son score aux législatives de 2015 (11% d’après les estimations).  

"Rejoignez l’armée du peuple qu’est l'UKIP !', tonne le tribun Farage, qui a su attirer à lui les déçus du parti conservateur, déroutés notamment par la rénovation impulsée par Cameron, mais aussi certains électeurs traditionnels du parti travailliste, qui s’estiment laissés-pour-compte. Pour les militants présents ce soir-là, Cameron, Osborne, le chancelier de l’échiquier, et leur clique, tout droit sortie d’écoles prestigieuses comme Eton n’ont "jamais connu un jour ouvré de leur vie" et sont totalement déconnectés des réalités du pays. Assis dans les hautes travées de l’amphi, arborant fièrement le violet, couleur du parti pour lequel ils votent depuis 2003, un couple de septuagénaires, explique avoir longtemps voté Tory. "Nous sommes dans un pays où la liberté de parole est reine, mais nous, d’après les excités qui sont dehors, nous devrions nous taire, Pas de free speech pour l'UKIP, c’est ça?", s’énervent Sally et Peter Cross,  "passionnés par [leur] pays". "Je ne veux pas que les décisions soient prises sans avoir mon mot à dire", explique Peter. En cause, la technocratie bruxelloise, anti-démocratique, selon le couple, qui asphyxie les peuples européens. "Nous n’avons jamais signé pour ça! L’Europe, c’était un simple accord commercial au départ". Et d’invoquer les ancêtres morts au combat pour que la liberté triomphe en Europe, dont un oncle enterré dans les Flandres.

"Je n'ai pas quitté le parti Tory, c'est le parti qui m'a quitté"

Les deux guerres mondiales, le patriotisme figurent haut dans la psyché de l’électeur de l'UKIP, tout comme l’obsession d’une immigration hors de contrôle, qui pèse sur les services publics. Si écoles, hôpitaux sont au bord de l’implosion, c’est simple, c’est sous l’afflux de toute cette population étrangère. "Mon souci, c’est la population indigène déjà sur place, nous explique Nick Lincoln, quadragénaire en lice comme conseiller municipal à Watford, dans la banlieue ouest de Londres, peu m’importe si cette population est verte à pois". Il rappelle la longue histoire démocratique de la Grande-Bretagne. Avant de prononcer cette phrase qui revient souvent ici: "Je n’ai pas quitté le parti Tory, le parti Tory m’a quitté".

Depuis la fin mars, les sondages n’ont cessé de progresser en faveur de l'UKIP, donné aujourd’hui à la première place, avec jusqu’à 38%, devant le Labour à 27% et les Conservateurs, rétrogradés à la troisième place, avec 18%. Grands perdants, les très pro-Européens Libéraux Démocrates, annoncés à 8%. D'ailleurs, quand Nigel Farage, sur le podium, remercie chaleureusement Nick Clegg, le leader des Lib Dems, les rires fusent. Le leader de l'UKIP raconte qu'acceptant de débattre avec lui deux soirs à la télévision, Nick Clegg lui a donné un sacré coup de pouce, notamment auprès des électeurs indécis. Un raz-de-marée? Verdict dans les urnes jeudi 22.

le 15-05-2014 Marie-Hélène Martin - Le nouvel Observateur

Source : Le Nouvel Observateur

 

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