Nom de code : opération « l'heure du thé ». Depuis le mois de mars, des musulmans norvégiens invitent des non musulmans à leur domicile pour boire le thé. Le but est de faire connaissance, lutter contre les préjugés. Depuis les attentats de juillet, les « Tea Time » cristallisent tous les désirs de concorde et de rédemption des Norvégiens.
L'immigration non occidentale est un phénomène relativement nouveau en Norvège qu'André Grjebine, chercheur en sciences politiques au Ceri, a récemment très bien décrypté à la lumière des attentats perpétrés par Anders Behring Breivik le 22 juillet.
L'islam autant mentionné que le premier ministre dans les médias
La directrice du Centre norvégien pour la lutte contre le racisme, Kari Helene Partapuoli, à l'origine de l'opération Tea Time, explique à Rue89 dans quel climat elle a été imaginée :
« Les trois dernières années ont été marquées par un débat public très rude à l'encontre des musulmans. Les Norvégiens les connaissent seulement à travers les médias, qui ne présentent que des problèmes.
En 2009, un rapport a montré que l'islam et les musulmans ont été autant mentionnés dans les médias que le premier ministre Jens Stoltenberg, et que 71% des reportages où articles à leur sujet étaient négatifs. »
Parmi ces affaires qui ont fait du bruit et se passant principalement à Oslo, on peut retenir :
le burkini (maillot de bain islamique) autorisé dans les piscines de la ville, des classes de gym et cours de piscines non mixtes dans les écoles ;
un couple d'homos qui s'est fait attaquer par un musulman dans un quartier de la ville ;
la distribution de hijab à des petites filles dans une école ;
les dernières statistiques de la police d'Oslo qui révélent que 100% des hommes ayant commis un viol dans les rues de la capitale ne sont pas d'origine occidentale.
Les musulmans pire que le réchauffement climatique
Kari Helene Partapuoli rappelle aussi que qu'une autre enquête, réalisée en 2009, révélait que les conflits avec le monde musulman arrivaient en tête des plus grandes peurs des Norvégiens, devant le réchauffement climatique et la crise financière.
Mais depuis le 22 juillet, elle n'arrive même plus à rencenser le nombre de journalistes qui se sont invités à prendre une tasse de thé :
« On avait même pensé à arrêter ce projet, tourner un documentaire. Même si ça marchait très bien, on manquait de capacité. Maintenant, le gouvernement est prêt à nous verser une subvention pour cinq mois supplémentaires. On reçoit au moins 40 e-mails par jour de personnes qui veulent participer. »
Plus question de s'en jeter plein la figure
La Norvège semble aujourd'hui être plus ouverte et aimante. Le 12 septembre prochain auront lieu les élections municipales et l'équivalent des régionales. Les partis ont sorti, selon la tradition, leurs stands ouverts au public dans le centre des grandes villes et les débats sont lancés, mais pas question de hausser le ton.
Le Parti du Progrès, dont le terroriste Anders Behring Breivik a été membre, a été invité à revoir sa rhétorique d'extrême droite à l'encontre des immigrés, et la présidente du Parti socialiste de gauche, Kristin Halvorsen, a lancé une campagne sur Facebook dans laquelle les gens promettent de dénoncer tout abus de langage à caractère xénophobe sur le Net, en particulier dans les commentaires des articles de journaux en ligne.
Elisabeth Sjølie, connue sur le Net pour son point de vue critique de l'islam, est très active sur Facebook. Elle a publié un livre controversé sur SOS Racisme en Norvège, accusé d'avoir abusé de subventions de l'Etat et de s'être lié à un groupuscule communiste prônant l'usage de la violence :
« Une chasse aux sorcières est lancée depuis le 22 juillet. On essaie de trouver qui est raciste, qui est plus raciste qu'avant et qui ne l'a jamais été, qui a toujours eu raison. J'ai pu enregistrer sur le Net une grosse activité visant à quasi criminaliser tout tentative de critique de l'islam et de l'immigration.
Une société où tout le monde est d'accord n'est pas une société saine. La liberté d'expression n'a alors plus de sens. Selon moi, c'est une défaite pour la démocratie »
Elle propose un contre-Tea time :
« Et si les critiques de l'islam invitaient les critiques des critiques de l'islam à boire le thé, pour montrer qu'on peut mettre la table ensemble, partager le goût du football, et leur faire comprendre que nous sommes des gens normaux qui ne sommes pas dangereux, parce qu'ils n'ont peut-être jamais eu l'occasion d'en rencontrer pour de vrai ? »
Le joyeux nihilisme des Norvégiens
On ne préviendra jamais l'extrémisme avec une tasse de thé. Mais on ne le préviendra pas non plus en voulant le consensus à tout prix. La Norvège a en effet tendance à s'enfermer dans un « nihilisme joyeux ». Il s'agit d'un trait de la mentalité norvégienne décrit par le philosophe Jon Hellesnes dans son recueil « Illusjon », paru en 2004.
Né dans la Norvège moderne et richissime, ce nihiliste « light » évite tous les thèmes graves et sérieux, il accepte la médiocrité, aliéné par le capitalisme et un matérialisme aigu. Le libre marché aveugle, sans morale ni valeurs, ne rencontre aucune résistance, car le « nihiliste joyeux » vit pour son confort, la commodité, le politiquement correct. On suit le mouvement, on évite les débats, mais dans une démocratie, ceux-ci sont indispensables.
29/8/2011, Diane Berbain
Source : Rue 89