Longtemps rétif, le gouvernement turc de Recep Tayyip Erdogan a signé avec l’Union européenne, lundi 16 décembre, un accord de « réadmission » de migrants clandestins.
En contrepartie, les Européens se sont engagés à négocier une levée des visas imposés aux Turcs d’ici à trois ans et demi, mais sans échéancier précis.
Avec cet article
Que prévoit l’accord de réadmission ?
La politique du donnant-donnant a finalement fonctionné. En signant aux côtés de la commissaire européenne à la sécurité intérieure, Cecilia Malmström, un accord qualifié « d’historique » de 45 pages sur la « réadmission » de migrants clandestins – bouclé depuis juin 2012 –, le ministre de l’intérieur turc Muammer Güler a joué le jeu des Européens. « Autrement dit, décrypte une source diplomatique européenne, si l’on intercepte un migrant en situation irrégulière turc, ou non-turc mais passé par la Turquie pour rentrer dans l’Union européenne, alors la Turquie devra le reprendre. »
Cet accord n’est pas censé affecter le droit des migrants à demander l’asile et leur non-refoulement dans des pays où ils risqueraient leur vie. Mais il permet aux Européens d’accentuer leurs pressions sur la Turquie – déjà débordée par l’arrivée de réfugiés syriens – afin qu’elle renforce la lutte contre les passeurs, sachant que la frontière gréco-turque est devenue l’une des voies principales de l’immigration clandestine en Europe (37 531 clandestins interceptés en 2012 venaient de Turquie, et 7 032 personnes dans la première moitié de 2013).
Pourquoi la Turquie refusait-elle de signer jusqu’ici ?
Depuis 2010 au moins le gouvernement turc lie sa signature sur la réadmission à une libéralisation des visas, estimant que les citoyens turcs, dont le pays est associé à l’Europe depuis 1963 et membre de l’Union douanière depuis 1995, ont un droit légitime à circuler dans les 26 pays de l’Espace Schengen européen sans frontières.
En juin 2012, tout le monde a cru à une signature imminente de la Turquie après que les pays de l’UE ont accepté d’entamer un dialogue sur la libéralisation des visas. Mais, déçu et échaudé par de laborieuses négociations sur la candidature de son pays à l’Union, le gouvernement Erdogan s’est contenté de le parapher provisoirement.
Pourquoi la Turquie a-t-elle finalement signé ?
En général ces accords de réadmission – déjà signés avec 12 pays dont la Moldavie, l’Albanie, la Russie, la Serbie, le Cap Vert, l’Arménie ou encore récemment l’Azerbaïdjan – vont de pair avec des « facilitations de visas ». Mais le cas turc a longtemps suscité des réserves, en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas, et, surtout, à Chypre dont la partie grecque de l’île n’a pas de relations avec Ankara.
Cette fois-ci, même si une libéralisation effective des visas à l’horizon 2017 dépendra de négociations basées sur une proposition que fera la Commission européenne en temps voulu et de l’approbation finale des Vingt-huit et du Parlement européen, Ankara estime avoir gagné au change. Bruxelles lui a présenté une feuille de route avec quatre grands thèmes à négocier : la sécurité des documents de voyage, le contrôle de l’immigration et des frontières, l’ordre public et la sécurité, les droits fondamentaux.
« Aucun résultat négatif ne résultera de la libéralisation des visas, au contraire, les hommes d’affaires, les artistes, les sportifs, les membres de l’organisation de la société civile se rendront plus librement dans l’UE, et ce sera très bénéfique pour l’UE », s’est réjoui le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, fortement mis en cause en juin dernier par les classes moyennes souvent favorables à un rapprochement avec l’Europe. À Bruxelles, on argue que l’ouverture du « chapitre 22 » sur la politique régionale dans les négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE, confirmée début novembre, a réchauffé l’ambiance après 40 mois de gel.
17/12/13, Nathalie Vandystadt
Source : La Croix