lundi 25 novembre 2024 03:14

Cinémamed à Bruxelles : entretien avec Kadija Leclere et Mourade Zeguendi

"C’est quoi l’immigration ? Un devoir de mémoire."

"Pour moi, il ne faut rien fêter, faut juste avancer s’insurge Mourade Zeguendi, l’acteur belge (il est né à Saint-Josse) du phénomène des Barons et membre du jury du Cinémamed. C’est une mascarade dans le sens où il ne faut pas dire ’on est là depuis 50 ans et on va fêter ça !’. Il faut faire le bilan de tout ce qu’il s’est passé pendant ces 50 ans là. Et réfléchir à comment avancer ensemble, c’est-à-dire tous ensemble, pas seulement les marocains. Le fait de manger comme des gazelles, mettre une djellaba et dire ça fait 50 ans qu’on est là, c’est une mascarade !" Et Kadija Leclere, réalisatrice belgo-marocaine (Le Sac de Farine) et marraine des 50 ans de la fête de l’immigration marocaine de renchérir. "Mais c’est important qu’on soit là et d’élargir à l’immigration. C’est quoi l’immigration ? Un devoir de mémoire. Qu’est-ce qui a été positif ou pas dans les deux sens. Ce que les immigrés ont reçus de cet exil et inversement. Là ça devient constructif".

Du Med in Belgium !

Tous deux conscients de faire partie d’une génération (la deuxième ou la troisième d’immigrants) capable de faire leur autocritique, les artistes -âgés de 42 et 33 ans- ont acceptés notre confrontation, avant le début du festival méditerranéen (ouverture ce jeudi 5 décembre au soir) et avant leur table ronde qui s’annonce mouvementée ce samedi (17h) "Cinéastes et comédiens issus de l’immigration, de l’ombre à la lumière". Ou comment se faire une place sur nos écrans quand on est un comédien issu de l’immigration. Que cela veut-il dire être issu de l’immigration ? Les enfants de la diaspora sont tous différents des uns des autres alors comment avancer en gardant ou pas ses origines, etc. Par cette fête de l’immigration, ils estiment que c’est "e bon moment d’en parler. On est ni algérien, ni marocain ou quelconque autre nationalité, nous sommes belges. Il y a simplement un problème d’identité. Car on reste aussi fiers d’être d’origine marocaine. Mais on se sent des internationaux, des citoyens du monde".

Comment se faire une place dans le cinéma d’aujourd’hui sans tomber dans les clichés ?

Kadija Leclere. Quand quelqu’un écrit une histoire, il va écrire à propos de ce qu’il connaît. Qu’il soit chinois, arabe ou belge. Son vécu, à quoi il peut s’identifier. Ce sont des histoires, point. C’est la double culture, notre univers. L’art est un formidable vecteur.

Mourade Zeguendi. Les frères Dardenne parlent de la Belgique. Scorsese parlait à ses début de la mafia italienne (Le Parrain) aux USA. C’est normal, ils ont du faire ce cheminement là pour pouvoir s’émanciper aujourd’hui en tant qu’artiste. C’est un devoir de mémoire, pas une revendication. Les barons, c’était pareil.

Comme acteur, les clichés ont aussi la vie dure…

M.Z. je ne vais pas me plaindre car je joue partout au théâtre. Au KVS, au théâtre national et même en Flandre ! Que ce soit en français ou flamand et toute sorte de rôles. Au cinéma, malheureusement, on me donne des rôles de voyous à cause de ma gueule d’arabe. De voyou arabe, c’est encore pire ! Après, c’est à moi d’accepter ou non et d’essayer de composer le truc afin de prouver que je suis un bon acteur ou pas. Mais c’est vrai que c’est parfois frustrant. Sur 40 films, deux m’ont marqué. Offline et les Barons. Dans ce dernier, on pensait que j’étais comme ça dans la vie or c’est un vrai rôle de composition. Le père de famille dans Offline, c’est moi, j’ai une fille de 10 ans. Et c’est pou ce film que j’ai reçu un prix, beau paradoxe… On me voit donc comme une case dans le cinéma. Comme un voyou parce que j’ai un physique, une couleur, une manière de parler qui s’y prête. Mais c’est vrai que c’est chiant. J’aimerais qu’un jour on me fasse jouer un avocat, postier ou gynéco. Mais des gens comme Kadija ou Nabil Ben Yadir, le réalisateur de Barons, participent au changement. Ca commence à bouger, lentement mais surement.

Le cinéma peut changer les mentalités ?

K.L. Le cinéma et la télévision. C’est l’arme la plus puissante du moment. C’est là qu’il faut qu’on commence à changer les choses. On doit voir des gens de couleur, montrer et parler de la diversité. Parlons de nos clichés, utilisons-les pour mieux les dépasser aussi. Osons montrons des femmes en foulard, etc. Que nous aussi on montre qu’on veut bien en parler et avec légèreté car il n’y a pas que des problèmes non plus.

M.Z. Il faut arrêter de montrer des cases car c’est de cette façon qu’on augmente le mythe de la terreur. On est des gens normaux. On chie tous assis ! (rires)

K.L. Mais la bonne chose, c’est qu’il y a eu un appel à projets de séries à la RTBF donc ça avance, une noire et une voilée sont dans les 10 derniers.

Que pensez-vous de la polémique autour du port du voile ?

M.Z. C’est stupide, personnellement. Le mettre ou pas, chacun fait ce qu’il veut. Mais de là à commencer à interdire, diaboliser et faire peur. Ma mère en porte un. Et si quelqu’un a peur de ma mère, franchement, faut être débile (sourires).

K.L. A un moment donné, il faut lâcher prise par rapport à tout cela et accepter. Et surtout arrêter de mettre de la lumière là où il ne faut pas.

Pour vous, que signifie une intégration/immigration réussie ?

K.L. Pour moi, c’est respecter l’autre. Chacun fait ce qu’il veut mais pas imposer les choses. Par exemple, moi je fête au temps Noël que celle du mouton. On vit ensemble, aucun problème. On dit que c’est de la barbarie la fête du mouton mais à Noël, on mage bien une dinde !

M.Z. Obama, il a bien gracié une dinde aux USA, comme chaque année. Alors que la peine de mort est encore en vigueur dans certains états. Dites-moi où est la barbarie ? les gens qui immigraient vers la Belgique avant, c’était pour travailler. Aujourd’hui c’est pour fuir le pouvoir dur en place. Ce sont des vagues d’immigrations en plus, ça part puis ça revient aussi. On ne parle jamais de ceux qui reviennent aux pays ou les européens qui viennent chez nous. Suffit de voir la crise en Espagne, ce sont maintenant des barques qui arrivent clandestinement sur les plages marocaines, pas l’inverse !

Voilà un sujet de film. Quel est la particularité de votre cinéma justement ?

K.L. J’espère qu’on apporte de vrais sujets. Pas que des histoires d’amour, etc. C’est ça aussi le cinéma, il peut changer le monde, j’en suis convaincue. Le cinéma peut changer des lois. Suffit de regarder le film Indigènes. Et mon prochain film, j’espère qu’il changera la donne sur l’adoption. On peut défendre des causes grâce au septième art.

Le danger serait de ghettoïser votre propre culture ?

M.Z. C’est pour cela que selon moi, il n’y a pas de cinéma arabe. Il y a du cinéma. Point. On croit qu’on est des méditerranéens or on est des gens d’ici, des belges. Mais bon, ce n’est pas grave, c’est un amalgame que j’accepte car il est plutôt positif au final. Ca nous donne un plus. Le cinéma méditerranéen, ce ne sont pas Les Barons ou Sac de farine. Ce sont des films européens fait par des gens d’origines étrangères mais leurs influences sont d’ici. Le cinéma méditerranéen est plutôt un cinéma coloré, épicé, engagé. On est des artistes belges, d’origine méditerranéenne. C’est comme en cuisine, on prend des ingrédients de tout pour faire notre cinéma à nous.

K.L. Pour les italiens qui vivent en Belgique, la question ne se pose plus. Ils sont belges. La différence c’est la religion. Musulmane fait tâche comparé à la religion catholique. Et Ben Laden n’a pas aidé à tout cela.

Pourrait-on comparer ces problèmes d’immigration/intégration aux problèmes communautaires entre Wallons et Flamands ?

K.L. Complètement. Mais c’est parce que c’est la crise. S’il n’y en avait pas, tout irait bien. Les gens ont peur pour leurs acquis. Hitler a fait fortune sur une période comme la nôtre. Une période poudrière.

M.Z. On cherche un bouc-émissaire.

On a jamais autant parlé de racisme qu’aujourd’hui aussi.

M.Z. On ne peut plus rien dire. A force d’interdire tout et n’importe quoi et de sacraliser toute chose, les gens deviennent de plus en plus raciste, c’est simple. Dans un cour de récréation, tu as un enfant qui arrive et qui n’a qu’une seule dent. Si tu dis à tout le monde : ‘ne rigole pas sur sa dent’, c’est à ce moment là qu’ils vont regarder et rigoler et causer des problèmes. C’est comme cela que j’explique les choses à ma fille et c’est pareil dans la vie de tous les jours. Ne rigole pas sur le foulard, le juif, le noir, etc. Du coup, on est tenté. C’est stupide. En disant cela, tu marques déjà une différence entre les personnes. Pourquoi ? On est tous pareil !

K.L. Il faut relibérer la parole, c’est notre rôle d’artiste aussi. C’est pourquoi j’ai accepté d’être marraine des 50 ans de l’immigration. Pour en donner une image positive et surtout apolitique. En essayant d’être constructive. On me donne la parole, je la prends.

Quels sont les changements concrets ?

M.Z. J’ai par exemple joué une pièce théâtre à Gand où Filip Dewinter est venu nous voir. Il a demandé à me voir et m’a écouté alors qu’à nos yeux, le big boss du Vlaams Belang c’est la pire crapule du monde. Mais, petit à petit, on arrive à faire comprendre qu’on est là.

K.L. Répondre par un coup de point, ça ne sert a rien. On va nous traiter de sauvage et perpétuer cette image.

M.Z. Autre exemple. Les présentatrices du JT, Hakima Darhmouch et Hadja Lahbib, ce sont des victoires pour moi. A leur échelle, ces gens là sont pour moi des Rosa Parks, Mohammed Ali ou Martin Luther King ? Ce sont des héros. Avec un engagement et un souci de faire avancer les choses. Je respecte ça.

D’où vient cette agressivité de certains arabes de Belgique alors ?

M.Z. Tout simplement d’une frustration. Pas une question d’accueil, ils sont d’ici. Mais ces bandes existent, c’est vrai, on ne peut pas le cacher. Mais quand tu grandis dans un quartier avec une famille avec plein d’enfants et que tes parents n’arrivent pas à joindre les deux bouts, que t’es dans un quartier où tu a spas mal de toxicos et de policiers, qu’on te dit que t’as pas de boulot à cause de ton nom, qu’à l’école on te dit que tu vas pas y arriver, etc. Alors que ton père a bosser comme un arraché dans les mines ou ailleurs pour nous faire vivre… tout cela crée un malaise. Evidemment, ce n’est pas bien ce que font ces gens là mais je ne leur jette pas la pierre pour autant. Et puis dans toutes les villes au monde, cette délinquance existe.

K.L. Depuis petite, on doit toujours prouver que tu n’es pas étrangère. Aujourd’hui on parle même de cellule dormante. Il est même difficile d’acheter des appartements de nos jours. A cause de notre nom. Du coup, on se retrouve en ghettos car on va là où on nous accepte. Sinon on serait partout. Et au départ, ce sont les politiques qui nous ont mis là. Toujours prouver pour montrer patte blanche, c’est fatiguant.

M.Z. Et ce qui me fait rire aujourd’hui, c’est que les policiers qui me cherchaient misère quand j’étais gosse, veulent prendre des photos avec moi aujourd’hui. On en revient au pouvoir de la télévision et du cinéma. Même si le racisme latent existe toujours. Fau simplement rester philosophe. A chaque empire il fallait un méchant. Aujourd’hui c’est notre tour et on ne sait pas jusque quand ça va durer. Mais ça va passer. Il faut s’ouvrir et le CinémaMed est là pour y aider. 

Cinémamed, le 13e Festival de Cinéma Méditerranéen de Bruxelles se tiendra de ce 5 au 12 décembre 2013 au Botanique. Infos et réservations : 02/800.80.04. et www.cinemamed.be ou via www.ticketnet.be

05 décembre 2013, Pierre-Yves Paque

Source : dhnet.be

 

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