vendredi 29 novembre 2024 23:02

Contenir les flux migratoires, un casse-tête politique

La France, comme les Etats-Unis, a décidé de rouvrir le débat sur l'immigration. Un casse-tête au moment où le chômage s'aggrave. Même si l'immigration zéro est une illusion, qui représente un risque pour la croissance.

« La planète entière devient le territoire de déplacements croisés. » Umberto Eco, l'écrivain italien, s'interrogeait, dans « Cinq Questions de morale » (Grasset, mars 2000), sur le fait de savoir si l'on pouvait distinguer entre immigration, un phénomène contrôlable qui ne change pas fondamentalement la culture du pays hôte en restant relativement modeste, et migration, une évolution plus inévitable, lorsque tout un peuple se déplace peu à peu d'un territoire à un autre. C'est le cas notamment avec la présence de plus en plus importante de Latino-Américains aux Etats-Unis, qui a modifié la société américaine et réduit fortement le poids relatif des traditionnels WASP, les Américains « blancs anglo-saxons protestants ». L'Europe est elle aussi devenue un territoire de migration. Au point d'être désormais la deuxième région, après l'Amérique et avant les pays du golfe Arabo-Persique, de destination des flux migratoires.

Au moment où le Parlement français ouvre un débat sur l'immigration économique et où le président Obama appelle à une réforme d'ensemble de l'immigration aux Etats-Unis, la question de la limitation des flux migratoires se pose sous un jour nouveau avec la montée inexorable du chômage ou son maintien à des niveaux élevés. François Hollande, lors de sa campagne électorale, a suggéré que le seuil de l'immigration dite « légale » en France - environ 180.000 par an dont plus du tiers d'étudiants - soit discuté chaque année. Mais la question est un véritable casse-tête politique.

En premier lieu, les statistiques sont des indicateurs trompeurs. A l'échelle mondiale, le nombre de migrants - environ 214 millions de personnes - ne représente qu'une fraction relativement faible des 7 milliards de Terriens (3 %). Mais cette faiblesse est relative. Notamment parce que les statistiques ne prennent pas en compte la population immigrée clandestine. De plus, la moitié environ des migrants dans le monde (110 millions) se retrouve dans les pays de l'OCDE. Mais d'autres critères également entrent en ligne de compte. Dans une étude publiée en 2008, John Martin, de la direction emploi et affaires sociales à l'OCDE, rapportait les flux d'entrée d'immigrants d'âge actif aux effectifs venant s'ajouter à la population en âge de travailler. Et l'économiste parvenait alors sur ce critère à une moyenne de 30 % à 40 % dans la zone OCDE. Dans une note publiée par « Population et sociétés », Gilles Pison, de l'Institut national d'études démographiques (Ined), soulignait de son côté que les Etats-Unis sont certes le pays accueillant le plus d'immigrés : 43 millions en 2010, soit 6 fois plus que l'Arabie saoudite (7,3 millions) ou le Canada. Mais, proportionnellement, ce chiffre ne représentait que 13 % de la population totale américaine contre respectivement 28 % et 21 %. Aujourd'hui, la France, pour sa population née à l'étranger, se situe dans la moyenne des pays industrialisés (11,6 % de la population totale).

Définir une politique migratoire tient ainsi de l'exercice de la corde raide. Tout d'abord, un gouvernement ne peut pas le faire « sans se justifier auprès de son opinion publique », affirme Christophe Bertossi, directeur du centre migrations et citoyenneté à l'Institut français des relations internationales (Ifri). Et il doit le faire en tenant compte de tous les acteurs, non seulement ceux qui se montrent inquiets devant l'arrivée d'immigrés mais aussi ceux - les migrants - qui revendiquent des droits, sans oublier les employeurs, qui expriment les besoins du marché du travail. Ensuite, une « immigration zéro » tient de l'illusion et présente même un risque pour la croissance économique. Car il existe une réelle concurrence entre pays pour les étrangers qualifiés. Nombre d'entreprises ont en outre peu apprécié l'intention d'un David Cameron ou d'un Nicolas Sarkozy, de ne pas permettre l'embauche d'étudiants étrangers hautement qualifiés, surtout lorsque ces derniers ont eu une formation supplémentaire au sein de l'entreprise. Le risque est de voir s'accélérer la fuite des cerveaux vers des pays plus ouverts, comme les Etats-Unis ou le Canada, voire l'Asie. Un pays vieillissant comme l'Allemagne a pu enrayer son déclin démographique grâce à l'immigration avec un solde migratoire positif de 212.000 personnes en 2012.

Mais il y a aussi un autre argument qui joue en faveur des mouvements de population. « The Economist » évoquait récemment l'importance croissante du phénomène des « diasporas ».  « Il y a plus de Chinois vivant hors de Chine que de Français en France. Quelque 22 millions d'Indiens sont dispersés dans le monde. » Ces réseaux de parenté liés par une langue commune facilite, constatait l'hebdomadaire, les échanges interfrontières non seulement culturels mais aussi économiques et commerciaux. Sans oublier qu'une brutale réduction des quotas d'étrangers en situation régulière contient une autre menace : celle de faire passer nombre d'immigrés dans la clandestinité et rendre ainsi les migrations encore plus incontrôlables. D'après une récente étude, les Etats-Unis ont dépensé 220 milliards de dollars en un quart de siècle pour le contrôle de leurs frontières, dont 18 milliards pour la seule année 2012. Mais ce contrôle à lui seul, comme le notait le think tank de Washington Migration Policy Institute, « est insuffisant pour répondre à tous les défis que pose l'immigration, légale et illégale, pour la société ». N'est-ce pas un jugement valable aussi pour la France et plus généralement pour l'Europe ?

29/1/2013, Jacques Hubert-Rodier

Source : Les Echos

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