Le commissaire à la diversité et à l'égalité des chances, Yazid Sabeg, a récemment annoncé l'abandon du projet de rendre obligatoire l'anonymat des CV (Le Monde du 25 août). Cette décision est en partie motivée par les résultats d'une expérimentation menée par Pôle emploi, qui tend à relativiser l'efficacité d'une telle mesure.
Cette étude montre que les noms et les origines sociales qui leurs sont associées sont utilisés par les employeurs pour interpréter les signaux négatifs contenus dans les CV. De ce fait, lorsque le CV d'un candidat issu de l'immigration est rendu anonyme, ses probabilités de convocation à un entretien d'embauche sont plus faibles, parce qu'il subit de plein fouet les carences de son parcours professionnel.
Ces résultats sont importants et intéressants, mais ils sont loin de faire le tour de la question des discriminations raciales à l'embauche. Toutes les études disponibles (en France, mais aussi dans bien d'autres économies occidentales) montrent que la probabilité d'embauche est inférieure de 30% à 40% pour un candidat dont le nom est à consonance étrangère. Ces études sont réalisées à CV identique, et c'est bien là qu'est toute la différence : lorsque leurs formations, leurs parcours professionnels et donc leurs compétences telles qu'elles apparaissent dans un CV sont comparables, les candidats dont le nom est à consonance étrangère sont fortement désavantagés sur le marché du travail. Ce désavantage-ci ne peut qu'être rééquilibré par l'anonymat des candidatures puisqu'il fait disparaître tout possibilité d'identification du postulant.
La question ouverte et à laquelle l'étude de Pôle emploi ne permet pas (et ne prétend pas) trancher est donc de savoir comment ces effets positifs de l'anonymat se comparent aux effets négatifs liés au manque d'indulgence vis-à-vis de parcours professionnels de facto très différents. Une politique globale de promotion de l'égalité des chances devrait au demeurant viser à éliminer ces différences. Ne subsisterait plus, alors, que la discrimination fondée sur l'origine ethnique contre laquelle la règle d'anonymat est parfaitement adaptée.
Au-delà de cette question particulière, ce débat montre les limites de l'usage de l'expérimentation pour éclairer les décisions publiques lorsque celles-ci s'inscrivent dans un calendrier court. La recherche scientifique se nourrit de la répétition et du renouvellement des expériences. C'est sur cette base qu'elle peut éclairer la décision publique. S'il l'on ne peut que se réjouir de la prise de conscience progressive de cette nécessité, ce dialogue ne sera pas arrivé à maturité tant que la pratique de l'expérimentation restera isolée et mise au service de décisions rapides plutôt que pertinentes.
6/9/2011, Nicolas Jacquemet
Source : Le Monde