dimanche 24 novembre 2024 19:32

El Mouhoub Mouhoud « la France n'a pas de problème d'immigration »

El Mouhoub Mouhoud, professeur d'économie à l'université Paris-Dauphine est spécialiste des questions d'immigration. Il dénonce les idées reçues en s'attachant à la réalité des faits et en analysant leur évolution dans le temps et dans un espace mondialisé. Entretien.

Comment évoluent les migrations dans la mondialisation ?

Il existe une complémentarité très forte entre mondialisation et migrations internationales. Cette complémentarité révèle différents paradoxes que je vais préciser.

Tout d'abord, la libéralisation des échanges et notamment les accords de libre échange Sud Nord n'ont quasiment pas d'impact sur la réduction des flux migratoires. Qu'il s'agisse de l'Alena pour le Mexique ou des accords régionaux euroméditerranéens, on constate que les gains obtenus grâce à ces accords par les pays du Sud n'excèdent pas 2 à 3 % du PIB et que les besoins en emplois n'augmentent pas. De ce fait, l'incitation à l'immigration ne diminue pas.

Premier paradoxe, contrairement aux idées reçues, les taux d'expatriation sont très faibles dans les pays pauvres alors qu'ils sont plus importants dans les pays à revenus intermédiaires comme les pays du Maghreb ou les grands pays émergents. Le constat souvent fait que les pays du Nord reçoivent toute la misère du monde n'est qu'un artifice. L'Europe reçoit plus de migrants des pays intermédiaires que des pays pauvres.

Autre paradoxe, le taux d'expatriation des personnes qualifiées touche proportionnellement davantage les pays pauvres que les pays intermédiaires. Pourquoi ? Parce qu'émigrer coûte très cher et que la perspective d'émigrer pour trouver un emploi et améliorer son niveau de vie suppose un certain niveau d'éducation. Les plus qualifiés ou diplômés sont les plus à même de réduire ces coûts d'émigration prohibitifs. A ceci s'ajoute une politique d'immigration des pays d'accueil de plus en plus restrictive et sélective en faveur des migrants qualifiés. Une double sélection s'opère donc de fait en faveur des plus qualifiés. C'est ainsi qu'au cours des 15 dernières années, la part des migrants diplômés du Sud dans le total des migrations vers les pays de l'OCDE, a augmenté de plus de 50 %.

Il faut rappeler que dans les années 1960-1970, les coûts étaient supportés par les entreprises importatrices de main d'œuvre. Puis l'immigration est devenue familiale. Depuis les années 1980-1990, les coûts sont supportés par les migrants eux-mêmes. Ce sont des individus qui partent, soit pour rejoindre leur famille, soit parce qu'ils sont diplômés et trouvent les moyens en investissant dans l'éducation d'augmenter leur chance de partir et d'aspirer à une vie meilleure.

Plus de la moitié des migrants sont des femmes et elles sont sur représentées parmi les migrants les plus qualifiés. Dans la région du Sud et de l'Est de la Méditerranée, les femmes ont accès à l'éducation, à l'enseignement supérieur mais, comme elles connaissent plus de barrières que les hommes à l'entrée des marchés du travail de leur pays d'origine et comme elles sont éduquées, elles peuvent partir plus facilement, les contraintes sociales et patriarcales se relâchant pour elles. L'Inde et la Chine connaissent un taux de migration des qualifiés de l'ordre de 5 à 6%, ce taux est de 70% à Haïti. Les pays arabes présentent une anomalie statistique, leur taux est deux fois plus élevé qu'il ne devrait l'être, entre 15 et 20%. Pour ces migrants, soit l'on accepte d'être déclassé dans son pays, soit l'on s'expatrie. A cet égard, comme les politiques européennes, françaises en particulier, sont devenues plus agressives vis-à-vis des immigrés, ils partent plutôt ailleurs, vers le Canada par exemple.

Dernier paradoxe, alors que la migration internationale est la composante la plus restreinte de la mondialisation - le rapport entre population migrante et population mondiale est en effet passé de 2,5% en 1960 à seulement 3% aujourd'hui, soit 250 millions de migrants- la migration internationale pèse de plus en plus dans l'insertion des pays du Sud à l'économie mondiale. En comparaison, en pourcentage du PIB mondial, la part du commerce mondial s'élevait à 10% il y a 40 ans, elle est de 30% aujourd'hui.

Si l'on examine les 5 grandes composantes de la mondialisation : investissements directs dans le PIB, échanges commerciaux, échanges financiers, technologie et migrations, on constate que les quatre premières composantes ont été très fortement libéralisées et ont connu un très rapide développement alors que la hausse des coûts a freiné l'augmentation des migrations. Pourtant les migrations produisent des effets très importants sur les pays d'origine.

Quels sont les effets de cette manne financière sur les pays d'origine ?

Les transferts de fonds des migrants vers leur pays s'élèvent à 350 milliards de dollars. Ils représentent 12 % du PIB du Mali, 7 % du PIB du Maroc (contre 10 % en 2007), 15 % du PIB aux Philippines, 25% au Salvador. Les effets de ces transferts sont considérables. Ils constituent la deuxième source d'entrée de capitaux dans les pays du Sud, ils permettent de réduire la pauvreté, ils favorisent le développement de l'éducation, ils contribuent à réduire le travail des enfants, même si au niveau macroéconomique ils ont des effets ambigus : ils découragent aussi l'effort de production et contribuent au manque de personnel qualifié dans les pays pauvres. La diaspora des migrants a une influence décisive pour renouveler les méthodes, favoriser les créations de commerces mais aussi développer les normes de la démocratie ...

Quelles incidences la crise en Europe a t-elle sur les immigrés ?

La crise a eu un effet de choc sur l'immigration. Si depuis 20 ans, la France, l'Allemagne et la Grande Bretagne gardent sur leur sol un « stock » de 2/3 des immigrants de l'Europe, en dynamique, c'est l'Europe du Sud, Espagne, Grèce, Italie, qui a connu les plus fortes vagues d'immigration et ce sont ces mêmes pays, les plus touchés par la crise, qui ont développé les politiques les plus agressives envers les immigrés. Les expulsions et les retours se sont accélérés et les transferts de fonds vers les pays d'origine se sont rapidement amoindris.

La crise a généré un accroissement des migrations intra européennes, notamment de l'Europe du Sud vers l'Allemagne par exemple qui, du fait de sa démographie, est importatrice de main d'œuvre. Mais la crise provoque des crispations des opinions et des politiques restrictives des Etats européens alors que les besoins en main d'œuvre immigrée restent les mêmes, qu'il s'agisse par exemple de migrants qualifiés dans les domaines de l'informatique ou de la santé... ou de non qualifiés pour les services aux personnes. En France, 20% des régions connaissent un chômage de masse tandis que d'autres régions connaissent des difficultés de recrutement, des offres d'emplois supérieures aux demandes. L'adéquation offre demande ne se fait pas, les besoins subsistent. Les politiques d'immigration pratiquées ces dernières années ne sont pas efficaces économiquement et elles ne sont pas équitables.

L'intégration des migrants est-elle plus difficile aujourd'hui ?

Lorsqu'on examine les vagues migratoires successives qu'a connues la France, en particulier en provenance d'Afrique du Nord, on constate que les immigrés s'intègrent très bien, quel que soit le critère, insertion au travail, logement, mobilité sociale etc.... Près d'un mariage d'immigrant sur deux est un vrai mariage mixte, preuve d'intégration réussie.

Le problème de l'immigration en France peut être comparé à celui des délocalisations, c'est le produit d'un regard biaisé. Depuis les années 80-90 et le développement de la crise économique, certaines populations peu nombreuses et non représentatives de l'ensemble de la population immigrée ont subi la superposition d'une inégalité sociale, d'une inégalité territoriale et d'une inégalité ethnique. La faiblesse de l'intégration dans ces territoires suburbains est avérée, au regard de l'ensemble, elle est cependant marginale. C'est pourtant là que les problèmes sont les plus importants et les plus visibles, or, ces poches de misère marginales ont un impact considérable sur l'opinion publique.

Il faut rappeler des réalités. La France est l'un des pays de l'OCDE qui reçoit le moins d'immigrés, entre 160 000 et 180 000 par an, soit 0,2% de sa population, pour 0,7 % en moyenne dans les pays de l'OCDE.

En terme d'immigration nette, ce ne sont plus que 100 000 personnes qui s'installent en France chaque année. La France n'a pas de problème d'immigration, elle a une crise de ses politiques économiques, d'aménagement du territoire, de marché du travail avec une concentration des difficultés sur les populations les plus vulnérables.

En France comme aux USA, les travaux sérieux et solides démontrent que la criminalité n'est pas plus élevée chez les immigrés que chez les natifs, au contraire. A âge égal, catégorie socio professionnelle égale, etc... les immigrés sont moins délinquants que les natifs, ce sont des éléments moteurs qui se sont expatriés sur une logique d'autosélection et de dynamique.

Il ne s'agit pas pour moi de défendre l'immigration, cela ne veut rien dire. Il ne faut pas se tromper de diagnostic. Arrêter les flux d'immigration n'aura pas d'impact ni sur l'élimination des poches résiduelles de misère dans les banlieues, ni sur le taux de chômage. Il faut dire les choses clairement pour cesser de se tromper de diagnostic et donc de politiques. Bref, pour mettre en œuvre une politique efficace et équitable de l'immigration. Un peu de pédagogie sur l'immigration et les immigrés ne ferait pas de mal.

27 Mai 2013, Laurène Fauconnier

Source : Métis

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