jeudi 28 novembre 2024 13:45

Entretien avec Abdellatif Maâzouz, ministre délégué chargé de la Communauté marocaine résidant à l’étranger

C’est ce vendredi, Journée nationale de la Communauté marocaine résidant à l’étranger, que le ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger organise, sous la présidence effective du chef du gouvernement, Abdelilah Benkirane et avec la présence et la contribution de plusieurs ministres, une journée de communication sur le thème «Promotion des services rendus aux Marocains du Monde», au club Bank Al-Maghrib à Rabat.
Cette manifestation servira de cadre de rencontre entre les membres de la communauté marocaine résidant à l’étranger et les responsables des institutions et départements publics concernés. Elle permettra d’étudier les moyens de nature à promouvoir la qualité des services sollicités par les MRE et à faciliter à leur intention les procédures et démarches des différentes administrations, institutions et collectivités locales au Maroc ainsi que celles des missions diplomatiques et consulaires établies à l’étranger. Les ateliers qui seront consacré
Le Matin : Depuis 2003, la journée du 10 août de chaque année est consacrée aux Marocains du monde qui sont fêtés au niveau national et à l’échelon de chaque région du Royaume. Cette année, les nouvelles dispositions de la Constitution concernant les MRE apportent une nouvelle dimension à la journée. Quelles sont ces dispositions ?
Abdellatif Maâzouz : Avec cinq articles (16, 17, 18, 30 et 163), la nouvelle Constitution est porteuse d’acquis substantiels pour l’implication des Marocains résidant à l’étranger dans les institutions élues et les instances consultatives du Royaume. Cette avancée démocratique est le fruit de la mobilisation de toutes les composantes de la société, notamment les MRE qui ont confirmé par leur vote presque unanime, lors du référendum constitutionnel, leur attachement à leur pays d’origine. Ils savent que la réforme constitutionnelle prend en considération leurs attentes et que le programme gouvernemental présente une feuille de route pour l’action publique en leur faveur. L’opérationnalisation de ces dispositions est inscrite sur l’agenda du gouvernement, au même titre que toutes les autres dispositions qui nécessitent des textes législatifs ou réglementaires. Parallèlement, j’estime que la participation politique des MRE aux institutions nationales, qui est devenue la revendication principale d’une partie de notre communauté, ne doit pas faire oublier que la mobilisation des élites marocaines pour les causes nationales a plus d’efficience si elle passe par le biais de lobbies ou de groupes organisés dans les pays de résidence. De toute manière, la participation des MRE aux chantiers de développement politique, économique, culturel et social du Maroc est fortement sollicitée, qu’elle se fasse ici ou là où ils résident.
Quelle signification donnez-vous à cette journée du 10 août, Journée nationale de la communauté marocaine résidant à l’étranger, qui se passe cette année dans ce contexte particulier de crise ?
En choisissant l’amélioration des services aux MRE comme thème de la Journée du 10 août, nous avons voulu démontrer notre volonté de dépasser cette vision alarmiste qu’adoptent certains médias en parlant de nos compatriotes expatriés comme des sinistrés. D’abord parce que je suis de nature optimiste et je pense que les crises ne sont que quelques moments désagréables à passer, qui sont même parfois nécessaires pour évoluer. Mais aussi pour imprimer une démarche plus volontariste à notre action. Nos concitoyens de l’étranger ont toujours fait montre de grandes capacités d’innovation, d’adaptation et d’un grand attachement à leur pays d’origine nonobstant les aléas de la conjoncture. De ce fait, nous estimons qu’ils ont droit à des services de qualité. Ils aspirent à une administration plus proche d’eux, géographiquement et humainement. Ils désirent ne pas trop se compliquer la vie avec des procédures longues et fastidieuses. Ils voudraient être dignement accueillis et orientés, ne plus souffrir de certains agissements constatés ou subis lors de leur séjour estival au Maroc… Je pense que ces attentes sont légitimes. Les négliger peut porter préjudice à la qualité des relations de ces concitoyens avec leur pays d’origine. C’est là le message envoyé à toutes les parties concernées en optant pour le thème des services lors de la 10e édition de la Journée nationale des MRE.
L’opération «Marhaba 2012» a été lancée le 5 juin 2012 avec beaucoup de moyens qui démontrent l’intérêt porté par les pouvoirs publics à sa communauté. Deux mois plus tard, peut-on faire un premier bilan ? Les 2,5 millions de MRE étaient-ils au rendez-vous ?
On ne pourra tirer le bilan définitif de l’opération qu’à son terme, c’est-à-dire au lendemain du 15 septembre prochain. En attendant, les chiffres actuels et les interprétations qu’on peut en faire n’ont qu’une signification toute relative. Ce qu’on peut dire à ce stade, c’est que les premières constatations indiquent un léger recul du nombre d’arrivées de MRE par rapport aux années précédentes. La conjugaison de plusieurs facteurs défavorables peut expliquer ce fléchissement. Leur examen, à l’heure du bilan, déterminera la part des choses et permettra de distinguer le conjoncturel du structurel.
Quels effets de la crise en Europe ?
La crise financière et économique qui sévit en Europe a eu pour premières victimes nos MRE. Vous vous êtes rendu en Espagne et en Italie où les tensions sociales touchent en premier lieu les émigrés. Nombre de séminaires ont été organisés ici au Maroc pour sensibiliser les pouvoirs publics à cette réalité. Quelle analyse faites-vous de cette actualité ?
L’ampleur de l’impact de la crise sur nos concitoyens est plus visible en Espagne qu’en Italie. Cela se traduit par un nombre sans précédent de chômeurs parmi eux. La crise a eu des répercussions sur la stabilité de l’emploi, sur le niveau et le mode de vie des gens, sur la perception même de leur avenir en Espagne. J’ai attiré l’attention des autorités rencontrées dans ce pays sur la nécessité de ne pas aggraver la situation déjà assez délicate par des mesures administratives nuisant en premier lieu aux migrants. J’ai rappelé aux responsables espagnols que la communauté marocaine est un atout dans la perception des relations de bon voisinage, des intérêts économiques et des enjeux géostratégiques qui lient les destins de nos deux pays : l’Espagne étant notre partenaire européen le plus proche et le Maroc la porte d’entrée vers les marchés arabe et africain d’une économie espagnole en besoin d’ouverture pour se relancer. En Italie, j’ai été agréablement surpris d’apprendre que la communauté marocaine est la mieux intégrée et qu’elle compte, sur ses 600 000 membres, près de 60 000 chefs d’entreprise de tailles diverses!
Combien de MRE ont-ils choisi de rentrer définitivement au pays?
Nous ne disposons pas de moyens fiables pour savoir si les gens rentrent définitivement ou s’ils viennent uniquement pour les vacances. Les outils dont nous disposons n’indiquent pas pour l’instant de retour définitif. Nous travaillons avec le Haut Commissariat au plan pour essayer de mettre en place un mécanisme d’observation à cet effet.
Mais d’après ce que j’ai constaté lors de mes déplacements à l’étranger, en Espagne comme en Italie, c’est que nos MRE ne pensent pas beaucoup au retour définitif et finissent par trouver du travail même si c’est dans des conditions plus difficiles, voire informelles. En outre, la crise n’est pas localisée, elle affecte plusieurs pays et le Maroc n’en est pas tout à fait épargné, nos concitoyens le savent. Si certains d’entre eux optent pour le «wait and see», d’autres par contre ont préféré aller tenter leur chance ailleurs et ont commencé à migrer du sud vers le nord de l’Europe ou vers d’autres destinations plus prometteuses. Certains ont également trouvé des opportunités de redéploiement au Maroc, notamment dans des secteurs en croissance, portés par des plans de développement stratégiques déployés par le Royaume depuis quelques années (Maroc Vert, Émergence, etc.)
Quel impact cela aura-t-il en termes de transfert d’argent au Maroc qui a représenté 54 milliards de DH en 2010 ?
Espérons que nous égalerons ou dépasserons le chiffre record de 58,5 milliards de 2011, mais au vu des circonstances cela me parait difficilement réalisable. Comme au fort de la crise de 2008-2009, le suivi mensuel des transferts indique un essoufflement qui est compréhensible du fait que les économies des pays de résidence passent par des moments difficiles, excepté celles des pays du Golfe, de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne et de l’Amérique du Nord.
Où va l’argent des MRE ?
Dans quels secteurs cet argent est-il investi ?
D’après l’enquête du HCP sur l’investissement économique des MRE, sortie en 2005, mais qui garde toujours une valeur indicative, l’immobilier arrive en tête avec près de 87% des investissements. Il faut dire que l’immobilier a été et restera le placement financier de choix des Marocains de l’étranger tant il leur apporte l’assurance d’avoir un pied-à-terre au pays, disposition commode pour faciliter leur retour saisonnier ou définitif. Le commerce vient en deuxième position, mais loin derrière, avec seulement 5,2 %. L’investissement productif ne représente qu’une part minime de ces transferts et se partage entre l’agriculture (4,1%) et l’industrie (0,9%). Il est bon aussi de savoir que les investissements des MRE au Maroc représentent 62% de leurs placements contre 38% dans leurs pays de résidence. Nos MRE sont aussi de grands investisseurs en portefeuille, bien que les chiffres de l’office de change ne le montrent pas. Leurs investissements en actions ont triplé entre 2006 et 2010 selon une étude publiée par l’IGF en avril 2012. Ils sont ainsi passés de 505 en 2006 à 6 764 investisseurs en portefeuille en 2009. Ils fournissaient également plus de 20% des dépôts bancaires et près du tiers des investissements en OPCVM selon la même étude, bien que ces parts aient récemment connu un léger recul suite à la crise économique.
Beaucoup de cet argent a été investi en projets. Il reste que l’échec du fonds MDM Invest démontre que l’administration n’était pas prête pour optimiser ce projet. Quelles conclusions en tirez-vous ?
En fait, ce sont les investisseurs MRE qui ne se bousculent pas au portillon. Le MDM Invest gagnerait à être mieux connu. C’est pour cela que nous menons une concertation avec le secteur bancaire. Le but est d’activer les investissements des Marocains de l’étranger et d’intéresser le MRE à épargner pour l’emmener ensuite à investir, en mettant en exergue un produit nouveau, le bon d’investissement, mais aussi en s’appuyant sur les produits existants tout en les adaptant aux exigences du MRE. Un package de services promotionnels commun à toutes les banques partenaires est en cours d’étude et pourrait être prochainement mis sur le marché. Par ailleurs, des négociations sont lancées pour redynamiser le MDM Invest et améliorer son attractivité et son rendement, par l’assouplissement de ses conditions. Et, surtout, en le médiatisant plus et mieux. Le dispositif doit aussi être complété par un service d’orientation et d’accompagnement des porteurs de projets. Des mesures dans ce sens sont proposées et nous espérons les annoncer assez prochainement.
A-t-on suffisamment impliqué les diasporas dans les stratégies de développement du Maroc ?
Le Maroc dispose, en la personne de ses compétences émigrées, d’un potentiel humain inestimable. Ce capital sans cesse renouvelé et enrichi est générateur de plus-values multiples, aux effets induits innombrables, tant au niveau de l’économique que du social, du mode de vie et de la culture, aussi bien à travers les transferts de l’expertise et de la technologie que de la dissémination des bonnes pratiques et de la bonne gouvernance. Si le Maroc est classé au 3e rang mondial avec ses 18,5% en termes de taux d’émigration des compétences qualifiées, il est certain qu’une politique efficace de mobilisation des compétences peut ralentir cette évasion et, pourquoi pas, l’inverser. Notre approche dans ce sens vise la valorisation du savoir-faire de ces compétences et de leurs expériences professionnelles ainsi que l’optimisation de leur rôle dans la dynamique de développement du Maroc. Le programme que nous menons actuellement pour mobiliser nos compétences expatriées consiste à faire appel aux personnes possédant de l’expertise, de l’expérience, du savoir-faire… et qui sont prêtes à les mettre à contribution en faveur du développement du Maroc, de manière ponctuelle ou pérenne.
Quel bilan peut-on faire de la mobilisation des compétences ?
Honnêtement, je ne peux juger notre politique de mobilisation des compétences tant que nous ne disposons pas d’éléments permettant son évaluation objectivement. Nous faisons beaucoup d’efforts tant sur le plan de l’encouragement de la mise en réseaux géographiques et thématiques que sur celui de la mise en place d’une plate-forme informatique permettant la dématérialisation du processus de mobilisation et la démultiplication de ses bénéficiaires. Plusieurs rencontres prospectives ont été organisées au Maroc comme à l’étranger et des projets de partenariat mettant en rapport les compétences marocaines et leurs associés aux pays de résidence avec les institutions marocaines intéressées sont en cours de réalisation. Beaucoup de choses sont à l’œuvre actuellement, d’une manière un peu désordonnée, il faut le reconnaître, mais nous espérons que l’étude sur la vision stratégique de l’avenir de l’émigration marocaine que nous avons commanditée nous aidera à mieux concevoir et mener à bien une véritable politique de mobilisation des compétences.
Rencontre de communication avec les nouveaux consuls généraux du Royaume
Le ministre chargé des Marocains résidant à l’étranger, Abdellatif Maâzouz, a présidé, mercredi à Rabat, une rencontre de communication avec les 24 consuls généraux nouvellement nommés. Il s’agit de la première rencontre du genre, dans le but de promouvoir les relations entre le ministère et les consuls généraux du Royaume qui représentent le prolongement de l’administration nationale à l’étranger. La réunion a connu la présentation d’exposés et d’études sur les plans et les visions du ministère dans les domaines social, culturel, juridique et économique.
Dans une déclaration à la presse, M. Maâzouz a indiqué que cette rencontre visait à communiquer aux nouveaux consuls généraux «les problèmes, les besoins et les opportunités des MRE et les voies de résolution de leurs problématiques». Il a affirmé vouloir «expliquer aux nouveaux consuls la nouvelle méthode de travail du ministère qui est basée sur la communication, la promotion du tissu associatif des MRE et les considérer comme faisant partie de la solution et non du problème». Le secrétaire général du ministère, Mohamed El Bernoussi, a indiqué, pour sa part, que les consulats généraux du Royaume représentaient les outils efficaces du ministère dans sa relation avec la communauté marocaine établie à l’étranger, formant l’espoir que ces diplomates puissent assimiler les prérogatives du ministère et simplifier les procédures administratives, dans le cadre d’une logique consistant à servir les intérêts des MRE.
La nouvelle consule générale du Royaume à Dijon, Mme Mimouna Radi, a, pour sa part, évoqué la difficulté de la tâche qui nécessite une forte volonté, un grand sens de l’écoute et un travail de proximité. Cette rencontre de communication a été organisée à la veille de la célébration de la Journée nationale de la communauté marocaine résidant à l’étranger, organisée le 10 août sous le signe «l’amélioration des services au profit des MRE».
10 Août 2012, Entretien réalisé par Farida Moha
Source :  LE MATIN

Google+ Google+