jeudi 26 décembre 2024 12:52

Entretien avec Mohamed Ameur

Il est indispensable de transformer la question de la mobilité des jeunes en gain futur de compétences

Arrêt sur l'Office méditerranéen pour la jeunesse, le pourquoi et le comment.

LE MATIN : «Nous allons commencer par la construction d'un réseau méditerranéen d'excellence, au bénéfice de tous les pays, par une mobilité qualifiante qui écarte la fuite des cerveaux», a déclaré M. Besson. Les objectifs de cet office vous conviennent et quelles propositions faites-vous de votre côté ?

MOHAMED AMEUR : Disons que c'est l'amorce d'un processus qui, nous l'espérons, nous permettra d'aller plus loin que le simple fait d'enregistrer les déplacements transfrontaliers des jeunes. Les considérations qui justifient notre adhésion à ce projet, mettent également en lumière l'avenir de nos jeunes, celui de leur intégration sociale, économique, culturelle dans l'espace de vie et de travail dans lequel ils auront librement choisi de vivre, quelle que soit leur origine. Elles posent aussi la question de leur rôle et place dans la construction et la dynamisation de l'espace méditerranéen commun que nous appelons de nos vœux. Concevoir la mobilité des jeunes talents ne doit pas occulter les contraintes d'intégration économique et sociale de toute une frange de cette population, dans tous les pays, directement confrontée aux crises économiques et à la difficulté aujourd'hui pour elles de se projeter de façon constructive dans l'avenir.

J'ai fait aux participants de la rencontre de Tanger quelques propositions pour porter l'action de l'office au-delà des limites qu'il se fixe au départ. La première est que nous souhaiterions rattacher la problématique de la mobilité des jeunes dans l'espace méditerranéen à celle de la mobilité des compétences au profit du développement de leur pays d'origine. Il est en effet indispensable de transformer la question de la mobilité des jeunes en gain futur de compétences pour les pays d'origine. La ponction de cerveaux qui se pratique actuellement peut alors être perçue non pas comme une perte irréversible et définitive pour ces pays mais donne lieu à la constitution d'une réserve d'experts établis à l'étranger sur lesquels ils peuvent compter à tout moment.

Aujourd'hui, les communautés expatriées comptent des profils hautement qualifiés dans différents secteurs de pointe qui contribuent de façon active à la promotion des pays d'accueil de par leurs compétences professionnelles mais aussi par leur intégration réussie au niveau social, économique, culturel, voire politique.

Nombre de ces compétences souhaiteraient appuyer de façon bénévole, ou sous la forme d'investissement, le développement de leurs pays d'origine. Ces derniers sont aujourd'hui engagés dans de nombreux chantiers de développement où ces compétences ont tout à fait leur place, de façon ponctuelle ou plus pérenne.

Concernant le drainage des cerveaux, celui-ci dites-vous ne doit pas être perçu comme une perte irréversible et définitive pour les pays du sud, mais comme un vivier d'experts établis à l'étranger et sur lesquels ils peuvent compter à tout moment. Concrètement, comment parvenir à cette fin ?

J'ai proposé qu'en complément au projet de l'Office, un programme de mobilisation des compétences et expertises développées dans les pays d'accueil soit mis en œuvre, au profit des pays d'origine. Il s'agira en sorte de construire un espace méditerranéen des talents, juniors et séniors confondus, dans différents domaines, notamment par la création de réseaux transnationaux des compétences qualifiées. Ce programme contribuerait à organiser l'échange d'expériences et d'expertises entre les pays partenaires sur des thématiques précises d'intérêt commun.

Pour être opérationnel, ce programme méditerranéen de mobilisation de compétences doit être doté de moyens humains et financiers, d'un calendrier de travail et d'un comité de pilotage stratégique pour suivre et évaluer son développement.
Le programme de mobilisation des compétences doit associer, dans le cadre d'une coopération multilatérale, les pays du bassin de la Méditerranée pour faciliter sa mise en œuvre et favoriser un rapport gagnant-gagnant pour les pays d'origine comme pour les pays d'accueil. Je donne en exemple l'action que nous menons au Maroc.

Nous avons engagé une stratégie et un plan d'action visant l'implication des compétences marocaines expatriées. Cette stratégie s'appuie sur la structuration de réseaux géographiques et thématiques des compétences, l'identification des domaines de développement auxquels elles souhaitent contribuer et l'intégration de cette contribution dans une coopération tripartite impliquant les acteurs locaux, les experts marocains ou binationaux à l'étranger et les pays d'accueil.

Vous avez beaucoup travaillé sur la mobilisation des compétences marocaines de l'étranger, en Allemagne, en Belgique, au Canada aux Pays-Bas avec l'idée clef de définir des partenariats où l'offre des compétences s'ajuste à la demande du Maroc.. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

En effet, la première initiative sur cette voie a été la structuration du réseau germano-marocain et l'identification de projets viables qu'il pourrait soumettre, dans le cadre du partenariat bilatéral, aux acteurs du développement économique et social du Maroc. Ainsi, en novembre dernier à Fès, plus de 30 projets présentés dans ce cadre ont été adoptés et sont aujourd'hui en cours de finalisation ou d'exécution. Cette démarche nous l'avons reprise actuellement pour mobiliser nos compétences en France, en Belgique, aux Pays-Bas et au Canada et nous comptons la généraliser à tous les pays accueillant une diaspora marocaine potentiellement apte à s'y inscrire. Mais au-delà de la dimension intellectuelle ou économique de l'apport de ces Marocains du monde au développement de leur pays d'origine, notre programme cherche à valoriser les intégrations réussies dans les pays d'accueil et à montrer que ces concitoyens constituent un véritable vivier de talents qui n'est malheureusement pas toujours apprécié à sa juste valeur dans ces pays. Vous savez, le regard ostracisant que certaines sociétés jettent de plus en plus aux générations issues de la migration décourage ces talents et les force parfois à s'exprimer, à contrecœur, sous d'autres cieux.

Il faut donc que le projet défendu par l'Office tienne compte de cet aspect aussi de la migration. J'ai également soumis l'idée que l'Office intègre une composante offrant aux pays émetteurs les moyens de développer, à l'intention de leurs communautés expatriées, des politiques visant à faciliter et à encourager le processus de leur intégration, notamment celle des jeunes générations, dans les sociétés d'accueil. Ces politiques doivent être basées sur le juste équilibre entre deux exigences : pouvoir s'intégrer sans avoir à renier ses racines. Là aussi, j'ai fait part des expériences que nous menons, qui nous permettent de présenter, surtout aux jeunes issus de la migration, un produit culturel à même de répondre aux questions identitaires qu'ils pourraient se poser. Notre devoir est de leur proposer des réponses adaptées par l'intermédiaire d'institutions, de programmes éducatifs et de personnels dûment habilités, en collaboration avec les autorités compétentes des pays d'accueil. Nous faisons de notre mieux pour soutenir l'action de proximité des associations des Marocains du monde qui agissent dans le cadre de ces objectifs.
La priorité dans l'aide que nous accordons à ces associations va au renforcement de l'enseignement de la langue et de la culture marocaine. Cette action va se renforcer davantage quand deviendront opérationnels les nombreux centres culturels que nous instituons dans plusieurs villes à travers le monde. Ces centres nous seront très utiles pour faire de la culture un vecteur d'intégration. En présentant aux jeunes la possibilité de rester en contact avec leurs origines, nous leur donnons l'assurance nécessaire pour pouvoir affronter leur avenir. L'acquisition de cette double culture est pour nous un gage supplémentaire de réussite dans la promotion et la diffusion du respect des valeurs cardinales d'ouverture et de tolérance, si nécessaires au vivre-ensemble que nous recherchons.

L'actualité nous montre des événements extrêmement douloureux où de jeunes émigrés en situation irrégulière sont arrachés de leurs foyers. En avez-vous parlé avec votre homologue ?

Oui, car l'accompagnement de ceux qui, pour une raison ou une autre, se trouvent contraints d'interrompre leur séjour et de rentrer dans leur pays d'origine, est d'une nécessité absolue pour compléter le dispositif de notre projet d'Office. L'interruption de séjour se fait parfois de manière brusque et brutale, ne laissant ni aux jeunes ni au pays qui doit accueillir leur retour, le temps nécessaire d'organiser des conditions de vie dignes et sécurisantes pour leur avenir. A ces jeunes, il faut offrir la chance de bénéficier soit d'une formation qualifiante, soit d'une subvention pour réaliser un projet d'entreprise, soit de toute autre forme d'aide à la réinsertion qui les mettrait à l'abri des risques liés à la précarité de leur situation et, surtout, de la tentation de revenir par des voies irrégulières, et souvent périlleuses, aux pays qui les ont rejetés. Cette idée a été soumise aux participants. J'espère qu'elle aura laissé un écho favorable.

Source : Le Matin

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