mercredi 27 novembre 2024 14:05

France : Face à Le Pen, la presse régionale monte au front

La démarche éditoriale de quatre journaux du Nord contre le FN et la sortie du patron du Medef vont-ils influer sur le scrutin ?

Concomitantes mais pas coordonnées. Les offensives lancées contre le FN, à quelques jours du scrutin, par les journaux du groupe belge Rossel dans la région Nord-Pas-de-Calais - Picardie (la Voix du Nord, le Courrier picard, Nord-Eclair) comme par l’hebdo chrétien la Croix du Nord et, moins surprenant, par le président du Medef, Pierre Gattaz, sont légitimes. La question de leur efficacité est, elle, plus difficile à apprécier, alors que Marine Le Pen, donnée gagnante au second tour, est créditée de 42 % dès le premier (BVA pour la Voix du Nord).

Cela fait peu de doutes, les attaques de Pierre Gattaz, mettant en garde mardi à la une du Parisien contre le programme du FN, n’ont guère de chances d’avoir le moindre impact, tant le président du Medef est une figure honnie des frontistes. Pour sa doxa ultralibérale - même si le poujadisme retrouve des couleurs dans le discours FN -, mais surtout pour son «européisme» et son acceptation de l’immigration comme accélérateur de moins-disant social pour les «patriotes». Pas un faiseur d’opinion dans l’électorat FN.

L’affaire est d’un autre ordre concernant le travail pleinement journalistique revendiqué par la Voix du Nord, poids lourd régional et premier à avoir dégainé lundi avec sa une «Pourquoi une victoire du FN nous inquiète», puis mardi, avec «Marine Le Pen et le FN ne sont pas ce qu’ils disent». Avant que, mercredi, le Courrier picard titre à son tour en une sur «Le vrai visage du FN à la région», au diapason avec Nord-Eclair. «Notre travail de journaliste, c’est de rendre compte d’une réalité, au-delà parfois des apparences, donc de décrypter, d’expliquer, même si ça peut déplaire parfois à ceux dont nous parlons», a expliqué le rédacteur en chef de la Voix du Nord, Jean-Michel Bretonnier. Le journal «renoue avec la mission civique de la presse française», a jugé l’historien Christian Delporte sur le site de 20 Minutes, alors que le titre est né dans la Résistance en 1941.

Dans une lettre ouverte au patron du groupe La Voix du Nord, Marine Le Pen a contre-attaqué : «Quelle idée avez-vous de vous-même pour vous croire autorisé à vous ériger en autorité morale et à lancer des fatwas contre vos concitoyens ?» Son clan (de Ménard à Collard en passant, bien sûr, par Philippot) s’est empressé, lui, d’entonner le refrain de la dénonciation du «système» : patronat et médias au service de la classe politique sortante. Dans une adresse à ses lecteurs, après un nombre sans précédent de réactions à ses publications, la Voix du Nord revendique notamment d’avoir fait le même travail journalistique quand il s’est agi de traiter les affaires Dalongeville ou Kucheida, élus socialistes dont les turpitudes financières restent encore des boulets pour les candidats PS et dont les déboires ont fait le lit du FN.

«Nous ne pouvons nous taire»

Dès lundi, la présidente du FN avait accusé la Voix du Nord, «qui n’est pas un journal libre», de chercher, en la prenant pour cible, à protéger ses subventions de la région. Quitte à confondre les aides à la presse (auxquelles le titre a droit et sur lesquelles, élue, elle n’aurait pas de prise) avec les aides régionales à la production de courts et moyens métrages diffusés ensuite sur une chaîne elle aussi propriété du groupe Rossel. De l’épisode, on retient surtout la réaction de la tête de liste FN, affichant tout à la fois sa volonté de punir la Voix du Nord pour l’avoir critiquée et sa faible maîtrise technique du dossier. Elle a d’ailleurs corrigé le tir dès le lendemain, réfutant toute velléité de «chasse aux sorcières».

A la Croix du Nord, c’est également au nom des valeurs que l’hebdo, une fois n’est pas coutume, est monté au créneau politique avec un éditorial titré : «Non à celui qui exclut l’autre pour ce qu’il est». «En tant que journalistes chrétiens, nous ne pouvons pas nous taire. […] Nous le réaffirmons ici : le FN est incompatible avec le cœur de la foi chrétienne, écrit l’une des journalistes. Le Front national, c’est la candidature du repli sur soi, du refus de l’étranger, de l’ordre, du tout sécuritaire, la fin des pratiques de discrimination positive pour favoriser l’égalité des chances, la proposition du rétablissement de la peine de mort».

2 décembre 2015, Jonathan Bouchet-Petersen

Source : Libération

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