C'est une satisfaction pour les associations : Christiane Taubira a décidé, mardi 17 décembre, de reporter l'ouverture, prévue le 1er janvier 2014, d'une salle d'audience du tribunal de Bobigny dans la zone d'attente de l'aéroport de Roissy. La première audience du tribunal de Meaux pour les étrangers, près du centre de rétention du Mesnil-Amelot, en Seine-et-Marne, et à proximité des pistes, avait provoqué à la mi-octobre un vif émoi.
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La situation des étrangers dans les centres de rétention et les zones d'attente n'est pas la même. Les étrangers sans titre de séjour interpellés en France sont placés par les préfets dans des centres de rétention administrative (CRA) ; un juge des libertés et de la détention doit, au bout de vingt-cinq jours, se prononcer sur leur maintien en rétention pour vingt jours supplémentaires. Il existe trois annexes de tribunaux près des CRA, à Coquelles (Pas-de-Calais), au Canet à Marseille, et, donc, au Mesnil-Amelot.
En revanche, dans la zone d'attente pour personnes maintenues en instance (ZAPI) de l'aéroport de Roissy, l'étranger n'a juridiquement pas mis le pied sur le sol français : il est cueilli à la descente d'avion, faute de passeport ou de certificat d'hébergement, et retenu quatre jours. Un juge des libertés peut prolonger son maintien jusqu'à vingt jours, voire vingt-six pour les demandeurs d'asile. D'où l'idée de créer une annexe du tribunal près de la ZAPI pour éviter d'aller jusqu'à Bobigny, à 17 km de là.
DES LOCAUX « AU CONFORT FORT SOMMAIRE »
Et cela fait du monde : Roissy détient, relève le rapport, « le record en Europe pour ce qui concerne le nombre de décisions de refus d'entrée sur le territoire », avec 6 246 refus en 2012, 6 997 personnes placées en zone d'attente, 4 982 présentées à un juge.
Les auteurs, Bernard Bacou, ancien président de la cour d'appel d'Aix, et Jacqueline de Guillenchmidt, ancienne membre du Conseil constitutionnel, ne contestent pas la nécessité de faire venir les juges jusqu'à l'aéroport, même si les magistrats sont réservés, les avocats hostiles et les militants choqués. « Actuellement reste intolérable, pour le respect des droits de l'homme, le transfert massif des étrangers de la ZAPI vers le siège du tribunal », en raison de la distance ou de l'attente dans des locaux « au confort fort sommaire ».
En revanche, penser qu'éviter les transfèrements permettra des économies « est tout à fait illusoire », il s'agit en fait « d'un simple transfert de charges entre le ministère de l'intérieur et celui de la justice avec un résultat probablement très négatif pour le budget global de l'Etat ».
Reste une difficulté : la Cour de cassation, en 2008, puis le Conseil constitutionnel, en 2011, ont jugé que les salles d'audience devaient être placées « à proximité immédiate » des centres de rétention, mais pas à l'intérieur. Le juge doit pouvoir « statuer publiquement », or l'accès aux centres de rétention, comme aux zones d'attente, est interdit au public.
« UNE VICTOIRE EN DEMI-TEINTE »
A Roissy, l'annexe du tribunal est certes indépendante, mais séparée de la ZAPI par une simple porte. Les rapporteurs demandent qu'elle soit murée pour que l'étranger n'ait pas l'impression d'être toujours entre les mains de la police mais bien devant un juge : « Seule une sortie effective de la zone d'attente par l'extérieur » permettrait « de satisfaire la nécessité de l'apparence d'impartialité » du tribunal. Il suffit en somme de faire un détour par l'extérieur.
Enfin, « l'accueil, le contrôle de l'entrée et la surveillance de l'audience » ne peuvent être confiés à la police aux frontières (PAF), puisque c'est elle qui a placé les étrangers en zone d'attente et qu'elle est partie à l'audience ; or, « le juge ne saurait siéger au domicile de l'une des parties ». Il suffirait de remplacer à l'audience la PAF par des CRS pour lever la difficulté.
Christiane Taubira, avant de prendre une décision, va devoir mener une négociation serrée avec le ministère de l'intérieur. « C'est une victoire en demi-teinte, constate Me Stéphane Maugendre, le président du Groupe de soutien aux travailleurs immigrés (Gisti). Le rapport ne s'attache qu'à l'apparence de l'impartialité, et pas au problème de fond. La justice, pour être sereine, doit être rendue sous l'oeil du citoyen. Et personne n'ira jusqu'à la zone de fret de Roissy pour suivre une audience. »
18.12.2013, Franck Johannès
Source : LE MONDE