mercredi 27 novembre 2024 17:55

Guéant: "Je veux que l'identité de la France soit respectée"

Politique d'immigration, lutte contre l'insécurité, rumeurs visant Martine Aubry, rôle auprès de Nicolas Sarkozy,... Claude Guéant s'arrête sur tous les sujets dans un long entretien accordé à L'Express.

Sa voix est encore voilée, après le pontage coronarien qu'il a subi le 12 juillet, et qui lui a valu quatorze jours d'hospitalisation. Mais, à l'approche de la campagne présidentielle, le ministre de l'Intérieur a bien l'intention de se faire entendre. Immigration, communautarisme, insécurité: cherche-t-il à séduire les électeurs du FN? Egalement soupçonné par Martine Aubry d'être à l'origine de rumeurs sur son compte, Claude Guéant contre-attaque. Et évoque son rôle -hier à l'Elysée, aujourd'hui au gouvernement toujours au plus près de Nicolas Sarkozy.

Nicolas Sarkozy s'était félicité d'avoir "tué le job" de ministre de l'Intérieur. Avez-vous l'impression de l'avoir ressuscité?

Je fais le maximum. C'est évidemment difficile d'être son successeur, mais, ayant travaillé avec lui ici, je sais où trouver l'inspiration!

Le jour de votre nomination, le 27 février 2011, Nicolas Sarkozy déclare à la télévision, à propos du printemps arabe: "Nous savons ce que pourraient être les conséquences de telles tragédies sur des flux migratoires devenus incontrôlables et sur le terrorisme." Quelle a été la réalité de ces flux migratoires?

Nous avons été confrontés, très vite, à une arrivée importante de Tunisiens. Ces flux n'étaient pas justifiés par des motifs politiques, puisque la révolution qui était en oeuvre amenait plus de liberté. Près de la moitié des 8000 personnes qui ont été interpellées a été reconduite hors de nos frontières. Il n'y a plus aujourd'hui d'arrivée significative.

Vous avez fixé un objectif record de 30 000 reconduites à la frontière en 2011. La politique du chiffre peut-elle s'appliquer aussi à l'immigration?

Il ne s'agit pas d'une politique du chiffre. Il s'agit simplement d'appliquer la loi de la République. Dans toute organisation, il faut se fixer des règles de fonctionnement et des objectifs. Sinon, on est complètement soumis à l'aléa.

De combien voulez-vous réduire l'immigration légale?

L'immigration légale se monte à environ 200 000 personnes chaque année. J'ai fixé l'objectif de la réduire de 20 000 en un an.

Il s'agit d'un tournant dans la politique menée par la France...

Précisément au nom d'une vision politique de ce que doit être la France. Elle ne peut se résumer à une addition de communautés. Si nous voulons privilégier une France vivant dans l'harmonie, une France fidèle aux valeurs auxquelles nous sommes tous attachés, une France qui intègre, il faut que nous ayons la capacité d'accueillir les étrangers désireux de s'installer sur notre sol. J'observe d'ailleurs que beaucoup de pays européens, de la Grande-Bretagne à l'Espagne, réfléchissent à des évolutions allant dans ce sens.

Y aurait-il, selon vous, trop d'étrangers en France?

Le gouvernement n'a jamais prôné l'immigration zéro. Je dis simplement que, pour que l'intégration soit une réussite, il faut avoir la capacité d'accueillir, c'est-à-dire de former, de donner du travail, de faire partager nos valeurs. J'insiste sur un autre point: la maîtrise de la langue française. Je veux que les connaissances exigées se situent au niveau de celles d'un élève en fin de scolarité obligatoire. Je viens de signer une circulaire destinée aux préfets pour les guider dans l'instruction des demandes de naturalisation: les conditions de l'assimilation -c'est le mot utilisé par le Code civil- doivent être étroitement vérifiées. Un étranger qui souhaite s'installer durablement en France doit épouser notre communauté de destin et donc en accepter les principes les plus élémentaires, comme l'égalité hommes-femmes et la laïcité.

Les atteintes aux personnes sont en augmentation. C'est même le principal échec de Nicolas Sarkozy. Comment comptez-vous endiguer le phénomène?

Je récuse de façon catégorique cette idée d'échec. Il ne s'agit pas de nier la réalité: les atteintes aux personnes ont augmenté de 20 % depuis 2002. Mais, sous la gauche, c'était 12% par an! La délinquance générale a baissé de 17%, ce qui fait qu'il y a eu l'an dernier 500 000 victimes de moins qu'en 2001. Le nombre d'homicides a très nettement diminué depuis 2002, tout comme les agressions sexuelles. J'observe avec satisfaction que, depuis deux mois, le nombre d'atteintes aux personnes baisse, notamment parce que nous avons réussi à mettre en place une parade efficace pour lutter contre les vols de téléphones mobiles: un portable peut être désactivé dès lors qu'une plainte est déposée par son propriétaire. Son vol ne présente plus d'intérêt.

La France réussirait-elle à faire face à des émeutes similaires à celles qu'a connues la Grande-Bretagne, alors que le nombre de policiers et de gendarmes diminue?

C'est toujours difficile de faire face à de telles situations. Mais nous avons une capacité de réaction supérieure, pour des raisons structurelles. Nous disposons de forces mobiles et notre organisation est nationale. En l'espace de quarante-huit heures, nous pourrions rassembler au moins 20 000 hommes. Quant aux effectifs, la police nationale et la gendarmerie appliquent la règle du non-remplacement de 1 fonctionnaire sur 2 partant à la retraite. Je m'y plie en essayant de valoriser les moyens dont je dispose. La priorité reste de rétablir les finances publiques de notre pays. L'actualité est là pour nous le rappeler.

Le taux d'élucidation des affaires est en nette baisse depuis l'entrée en vigueur des nouvelles dispositions sur la garde à vue. Faut-il revoir le dispositif?

Depuis deux mois, nous constatons en effet une baisse, limitée mais bien réelle, du taux d'élucidation. Une évaluation est en cours. Tous les officiers de police judiciaire se plaignent du surcroît de formalisme. Je suis à leur écoute. Les relations avec les avocats se révèlent compliquées et -pourquoi le nier?- parfois conflictuelles. Avec le garde des Sceaux, nous ferons des propositions pour améliorer un certain nombre de dispositions législatives, clarifiant notamment le rôle de l'avocat. Le renforcement légitime des droits de la défense ne doit pas conduire à une moindre protection des victimes.

Le 11 septembre 2001, s'ouvrait une ère nouvelle du terrorisme. En mai dernier, Ben Laden était tué. La France est-elle plus en sécurité?

Non. Malgré le symbole puissant que représente la mort de Ben Laden, la menace terroriste reste à un niveau élevé, aussi bien pour nos compatriotes à l'étranger qu'en France. Nous sommes plus vigilants que jamais, notamment face aux filières de formation au djihad à destination du Pakistan et de l'Afghanistan. Depuis 2001, 914 interpellations ont été réalisées dans le domaine de la lutte contre l'islam radical et 224 personnes ont été incarcérées.

Le conflit en Afghanistan attire de plus en plus de jeunes djihadistes, y compris européens. Combien de Français combattent dans les rangs des insurgés?

Quelques dizaines.

Depuis 2007, le recours à des émissaires pour dénouer des crises internationales a pu laisser penser que le gouvernement menait une diplomatie parallèle. Quels services l'homme d'affaires Ziad Takieddine a-t-il rendus à la France?

Avant la libération des infirmières bulgares détenues en Libye, il m'a fait passer des messages sur l'ambiance à Tripoli. Mais il n'a joué aucun rôle dans le dénouement de cette affaire, qui s'est réglée entre votre serviteur, Cécilia Sarkozy et le gouvernement libyen.

Le ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale a disparu, mais vous multipliez les polémiques sur le sujet. S'agit-il de ramener vers l'UMP ces électeurs oscillant entre droite et extrême droite?

J'essaie de faire mon travail avec une certaine vision de mon pays. Je veux que l'identité de la France et les choix de vie des Français soient respectés. Il est important de ne pas se cacher les réalités. Il existe une bien-pensance générale: on ne peut plus poser certaines questions sans être accusé de racisme. Un sondage effectué dans plusieurs pays européens indique que l'immigration n'est pas perçue comme allant de soi, qu'elle n'est pas considérée comme forcément bénéfique. On a le droit de dire cela sans être raciste! Les élites ne se soucient pas suffisamment des préoccupations de nos compatriotes au quotidien.

Nicolas Sarkozy a réussi, en 2007, à faire baisser le FN. Le voilà de nouveau fort. N'est-ce pas la preuve d'un vrai échec?

Le FN séduit des gens déçus par les partis républicains, y compris de droite. A nous de nous montrer à l'écoute et de retrouver la confiance de ceux qui se tournent vers le Front national.

Marine Le Pen fait-elle évoluer le FN?

Le FN n'a pas fondamentalement changé. Mme Le Pen a voulu se montrer comme la championne de toutes les vertus républicaines, mais on déchante assez vite lorsque l'on voit qu'elle a été obligée de faire évacuer tous les skinheads de la fête de Jeanne d'Arc ou que l'on entend les propos de Jean-Marie Le Pen sur la tuerie en Norvège. Mme Le Pen a donné l'impression de vouloir faire évoluer le FN, mais cette évolution est factice. Et la crédibilité de ses propositions est plus que contestable. Sur l'immigration, elle n'apporte aucune idée nouvelle. En économie, elle devient carrément socialiste, elle veut nationaliser des banques ou l'électricité. Et son programme conduirait la France à la ruine.

Vous aviez exprimé des doutes sur le déroulement démocratique de la primaire du PS. Etes-vous maintenant rassuré?

Contrairement à ce qu'il affirme, le PS n'avait fait part d'aucune précaution au ministère de l'Intérieur sur le déroulement de la primaire. Nous aurons, de fait, une liste d'opinions politiques: ceux qui auront souscrit à une déclaration d'adhésion aux valeurs de la gauche et les autres. Cela reste gênant au regard du droit et de nos principes. Je rappelle que les opinions politiques sont sacrées et secrètes. Les socialistes ont maintenant pris des précautions, je demande à voir. Le risque demeure, par exemple dans les petites communes, où les scrutateurs sauront qui a voté et qui n'a pas voté.

Martine Aubry met en cause des fonctionnaires de la Place Beauvau dans la propagation de rumeurs la concernant. Que lui répondez-vous?

Ce genre d'accusations est particulièrement grave. Je n'ai pas de leçon à recevoir de Mme Aubry en ce qui concerne ma déontologie et ma fidélité à nos principes républicains. On a vu surgir beaucoup de rumeurs. Regardez celle propagée par Luc Ferry sur de supposés attentats sexuels d'un ancien ministre sur des mineurs au Maroc. La condamnation a été unanime: quand on sait de manière certaine quelque chose, on le déclare à la justice, sinon on se tait. Je dirai la même chose: si Mme Aubry a des soupçons de quelque chose de sérieux, qu'elle porte plainte. Sinon, qu'elle cesse de porter des accusations qui sont, à ma connaissance, complètement infondées.

Jean-Louis Borloo s'est aussi inquiété d'une campagne présidentielle placée sous le signe des "boules puantes". Comment le rassurer?

Le combat de Nicolas Sarkozy portera sur les idées, et sur rien d'autre. Lui-même a suffisamment souffert de ce type de pratiques pour ne pas y adhérer.

Faut-il convoquer le Congrès pour adopter la règle d'or budgétaire?

La décision appartient au président. Ce dont les acteurs économiques et financiers ont besoin, c'est d'un signe immédiat. François Hollande renvoie cela à la campagne de 2012, mais la loi-cadre permettra, en son temps, de débattre des moyens. Il faut tout de suite que la France unie dise qu'elle est d'accord sur un principe. Ces acteurs sauront ainsi que, quel que soit le résultat des élections, les déficits seront combattus. Je suis confiant dans le maintien de la note française. Il n'empêche que ce serait un grand service rendu à notre pays d'obtenir cette modification de la Constitution.

Depuis votre départ de l'Elysée, certains ministres ou conseillers de Nicolas Sarkozy vous reprochent, pour protéger le président, de l'avoir trop isolé. Avez-vous été trop zélé?

L'organisation des rapports avec le président était celle qu'il me demandait. En quatre ans, j'ai bloqué deux notes -pour protéger, non pas le président, mais leur auteur !

Quelle différence voyez-vous entre le Sarkozy de 2011 et celui de 2007?

L'exercice du pouvoir l'a rendu plus grave.

24/8/2011

Source : L’Express.fr

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