vendredi 27 décembre 2024 02:29

Henri Guaino : « Une assimilation réussie, c’est la clé du métissage »

Pour Henri Guaino (Conseiller spécial du président de la république), le débat sur l'identité nationale ne peut se résumer à l'immigration ou à la question religieuse, mais ne pas les évoquer serait « absurde »


La Croix : La tribune du président de la République publiée dans le journal Le Monde ne risque-t-elle pas de centrer sur la place de l'islam le débat concernant l'identité nationale ? Pourquoi évoquer les minarets, alors que le problème ne se pose pas en France ?

 

Henri Guaino : Avant le référendum suisse, qui aurait parlé d'un problème des minarets en Suisse ? Il faut prendre le résultat de ce référendum comme le révélateur d'un malaise peut-être pas visible mais profond. Dans le grand brassage de la mondialisation, les repères se brouillent et les vieilles civilisations doivent relever non seulement des défis économiques, sociaux, mais aussi intellectuels, moraux, spirituels.

Le problème des minarets, c'est un épiphénomène, mais révélateur de ce qu'éprouvent un nombre de plus en plus grand de paisibles citoyens, nullement extrémistes, mais qui ont peur de voir dénaturer ce qui leur tient peut-être le plus à cœur : une manière d'être, de penser, de croire, et tout simplement de vivre. Ils en éprouvent une souffrance qui ne se lit pas dans les statistiques, mais qui est bien réelle et qu'il serait très dangereux d'ignorer.

L'irruption dans nos sociétés d'autres formes de civilisation, de religiosité, de sociabilité n'est pas la seule cause de ces bouleversements. Mais elle en est une aussi et qui nous renvoie à nous-mêmes, à la confiance que nous avons dans nos propres valeurs, dans nos idéaux. On est toujours plus accueillant quand on est assuré de ce que l'on est, quand on n'a pas peur. C'est la peur qui engendre la crispation, la fermeture.

Au départ, ce débat était censé aller bien au-delà de la question de l'immigration ou de celle, distincte, de l'islam...

En appelant chacun à tenir compte de l'angoisse et de la souffrance de l'autre et à faire des efforts pour atténuer cette angoisse et cette souffrance, le président de la République est dans son rôle. En rappelant que pour vivre ensemble, pour construire une destinée commune, il faut accepter de partager une histoire, une culture, des valeurs communes, et que l'identité nationale, c'est l'antidote du communautarisme, du développement séparé et en fin de compte antagoniste des communautés, Nicolas Sarkozy n'a pas rétréci le débat, il l'a élargi, élevé et il a cherché à l'apaiser.

Encore faut-il faire l'effort, pour le comprendre, de le lire avec un esprit ouvert, sans a priori, sans malveillance. Je suis toujours frappé de la place qu'a prise le procès d'intention dans le débat public depuis quelques années. Le débat sur l'identité nationale n'a de sens que si l'on parle aussi de l'économie, de la révolution numérique, de l'école, de la culture, de la langue, du modèle social, du pacte civique, de l'Europe, de la mondialisation...

Mais, à l'inverse, dire que l'immigration ou la question religieuse n'ont rien à voir avec la crise identitaire qui mine toute l'Europe serait absurde. Comment l'islam peut-il s'adapter à la laïcité, à la séparation du spirituel et du temporel ou à l'égalité de l'homme et de la femme ? Comment allons-nous résoudre le problème qui nous est posé par des jeunes nés en France qui, pour la première fois dans notre histoire, définissent leur identité par opposition à l'identité française ?

Comment allons-nous surmonter la tension de plus en plus forte qui se fait jour entre les tentations communautaristes et notre modèle de République « une et indivisible » ? Comment allons-nous préserver une solidarité nationale quand le rapport à la nation devient si compliqué, si ambigu ?

Toutes ces questions font partie du débat. Elles sont essentielles pour la manière dont nous allons vivre ensemble. Nous devons y répondre ensemble.

Entre la « laïcité positive » défendue par Nicolas Sarkozy au Latran et cette injonction à pratiquer sa religion dans la « discrétion », quelle est la cohérence ?

L'expression « laïcité positive » n'a pas été comprise et son sens a été déformé. Mais sur le fond, le président de la République a toujours considéré que la laïcité, c'est le respect de toutes les croyances et non le rejet de toutes les religions. Du point de vue de la tradition républicaine, il a raison, en particulier si l'on se réfère à Jules Ferry, dont il a lu, durant le Congrès de Versailles, un extrait de la très belle lettre aux instituteurs sur l'enseignement de la morale.

Si l'on refuse le communautarisme, le développement séparé, si l'on veut vivre ensemble, il faut accepter le mélange, le métissage. Pour que cela soit possible, il faut exclure toute attitude de défi, de provocation, d'ostentation. Il ne faut pas se laisser aller à la concurrence des mémoires et des croyances.

La discrétion, ce n'est rien d'autre que le respect que chacun doit à celui avec lequel il veut vivre. La discrétion, c'est ce qui permet à l'assimilation de s'opérer tout naturellement. Et une assimilation réussie, c'est la clé du métissage.

Pourquoi employez-vous le mot « assimilation » et non pas « intégration » ?

L'assimilation est le programme de la République. Au cœur de l'imaginaire républicain, il y a l'image du creuset. Le but, c'est qu'il n'y ait plus de différence entre les citoyens, quelles que soient leurs origines. L'assimilation, ce n'est pas la juxtaposition de communautés enfermées dans leur histoire et refusant de partager quoi que ce soit avec les autres.

La République ne demande à personne d'oublier d'où il vient. Mais elle demande à chacun de partager une histoire, une culture, des valeurs, une destinée... C'est un très bel idéal, nullement sinistre comme je l'ai entendu dire par un parlementaire à l'Assemblée nationale lors du débat sur l'identité.

Pour moi, l'exemple accompli de l'assimilation culturelle, c'est Senghor, pleinement de culture française et pleinement africain. Il écrit des poèmes africains en français. Y a-t-il plus belle réussite de métissage ? Plus bel idéal à proposer à une jeunesse désemparée de ne plus savoir qui elle est ?

Est-ce que l'islam poserait un problème particulier du fait d'une pratique jugée plus ostentatoire ?

L'ostentation n'est inscrite dans les gènes d'aucune religion. Il y a toujours plusieurs façons de pratiquer son culte sans renier sa foi. Mais l'islam, ce n'est pas qu'une religion, c'est aussi une grande civilisation. La mêler à la civilisation occidentale héritière de la chrétienté et des Lumières ne peut être que le fruit d'un effort de tous pour se comprendre et se respecter.

Doit-on pour cela renoncer à construire des minarets ?

Il n'y a pas de problème avec les minarets, dès lors qu'ils procèdent d'un effort d'insertion dans le paysage urbain et dans l'imaginaire collectif

Faut-il en revanche interdire la burqa ?

Il ne faut rien accepter qui soit contraire à nos valeurs les plus fondamentales. Mais il faut aussi veiller à ne blesser personne. Il faut construire de nouveaux consensus. Laissons la mission parlementaire achever ses travaux. On verra ensuite jusqu'où doit aller l'interdiction.

Sur quel terrain faut-il légiférer, celui de la laïcité (comme pour le voile à l'école) ou celui des droits de l'homme ?

Ce n'est pas un problème religieux, mais un problème de société, de dignité, de République, de valeurs.

N'y a-t-il pas un risque de stigmatiser l'islam et d'encourager une certaine forme de radicalité ?

Notre objectif doit être d'aider à naître un islam de France, un islam prenant en partage, sans rien renier de lui-même, l'héritage des Lumières et de la République.

Source : La Croix

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