mardi 26 novembre 2024 00:20

Immigration et Co-développement : Entretien avec Samir Addahar, ambassadeur du Maroc à Bruxelles

La stratégie de mobilisation des compétences se situe dans le droit fil de l'inclusion de toutes les forces vives du pays, de toutes les compétences pour conforter la dynamique actuelle.

«Aucun pays ne peut tout seul combattre le fléau de l'immigration, sans une coopération optimale et solidaire des deux rives de la Méditerranée, a déclaré Mohamed Ameur, ministre délégué chargé de la Communauté marocaine résidant à l'étranger à Tripoli, lors de la réunion du groupe de dialogue «5+5» des pays de la Méditerranée occidentale. Aujourd'hui, cette coopération n'a pas atteint le niveau escompté, alors même que les changements profonds des politiques européennes migratoires des années 70 et 80 ont eu des répercussions négatives sur la région qui fait face à la problématique de l'immigration clandestine, en raison de sa position géographique. Nous sommes tous appelés à asseoir une coopération régionale efficace capable de faire face aux réseaux de la traite des êtres humains, à travers la sanction des parties qui profitent et encouragent l'immigration clandestine, mais la seule politique sécuritaire ne suffit pas, il faudra lancer des projets de développement dans les pays du Sud, en partenariat avec l'Union européenne ». En quelque sorte donner du sens au codéveloppement qui depuis la réunion de Kayes et la conférence de Rabat en 2006 est appelé à s'appuyer sur les diasporas d'origine marocaine présentes en Europe. La veille, le ministre, accompagné de Mohamed M'Barki, directeur de l'Agence de l'Oriental, était précisément à Bruxelles au Forum des compétences belgo-marocaines qui sera suivi le 18 décembre de la rencontre des « Marocaines d'ici et d'ailleurs » organisée par le CCME. La communauté d'origine marocaine résident en Belgique est forte de quelque 600 000 personnes, avec plusieurs générations d'immigrés. Les dernières générations connaissent un changement remarquable en termes de compétences acquises dans les 5 universités francophones et flamandes de Belgique. Celle-ci est «enrichie » par l'exode des cerveaux, chercheurs, informaticiens, experts en agroalimentaire, en biochimie. Ces profils hautement qualifiés sont appelés, aujourd'hui à contribuer au développement de leur pays d'origine, à l'instar des diasporas chinoises, indiennes, libanaises ou turques. Le Maroc, qui a connu cette décennie des transformations profondes portées par des réformes dans tous les domaines et par une dynamique sans précédent de chantiers économiques, a besoin de « son autre main » pour porter les différentes stratégies sectorielles et servir d'ambassadeurs de leur pays notamment dans la question du Sahara. Pour cela, un plan d'action a été élaboré au département de M. Ameur, avec des mécanismes et des dispositifs pour identifier les compétences et les besoins du Maroc et pour mettre en relation l'offre des compétences qui feraient profiter le Maroc de leur savoir et savoir-faire et la demande, les besoins de plus en plus grands en termes d'expertise, de savoirs et de connaissances. Une première université des compétences marocaines d'Allemagne a été organisée en novembre 2009, engrangeant des projets des plus intéressants dans différents domaines comme en témoignera au Forum de Bruxelles le président de DMK, Hachem Haddouti. Fin novembre, une même dynamique a été initiée à Montréal au Canada et en 2011, d'autres réseaux de compétences seront également constitués en France. Au-delà de la mobilisation des compétences, on assiste à un rapprochement de la communauté marocaine avec son pays d'origine, à une «politique décomplexée», comme le souligne l'ambassadeur du Maroc à Bruxelles Samir Addahar, en quelque sorte débarrassée des scories et des blessures d'un passé douloureux.

LE MATIN : Votre intervention au Forum des compétences qui s'est tenu à Bruxelles a fait forte impression dans la mesure où la communauté marocaine installée en Belgique retrouve sa dignité avec la dynamique des chantiers et des réformes dans le pays d'origine. Vous avez dit que vous avez mesuré le chemin parcouru par le Maroc depuis une décennie. Quel est ce chemin ?

Samir Addahar : Depuis l'avènement de Sa Majesté Mohammed VI, le Maroc s'est réconcilié avec son passé et l'apport de l'Instance équité et réconciliation (IER) a été historique et déterminant en ce sens où il a permis à notre pays de s'inscrire dans l'avenir. Ce projet national n'a été rendu possible que grâce à la conjonction du courage de Sa Majesté et de celui du peuple marocain. Ce courage est celui qui permet de mieux avancer, de revenir sur des moments douloureux et délicats de notre histoire récente. C'est un exercice très délicat et unique dans le monde arabe, celui d'un travail inédit de mémoire.

Nous avons eu le même processus de réconciliation avec le champ religieux, avec nos cultures Hassani et Amazigh et nos régions, notamment avec celles qui ont été marginalisés, comme le Nord et l'Oriental, et qui figurent aujourd'hui parmi nos régions les plus dynamiques. La Moudouwana et la réforme du Code de la nationalité ont permis de redonner dignité et respect à la femme. L'éclosion et l'effervescence de la société civile ont mis en avant un véritable acteur avec ses capacités d'action dans le développement économique et social marqué par ce grand chantier qu'est l'INDH, le plan Emergence. Le nouveau concept de l'autorité donne, quant à lui, une place centrale au concept de gouvernance. La stratégie de mobilisation des compétences se situe dans le droit fil de l'inclusion de toutes les forces vives du pays, de toutes les compétences pour conforter la dynamique actuelle.

Il y a encore des débats sur le rythme des réformes, la hiérarchisation des priorités, c'est naturel et légitime, comme il y a encore des lenteurs, des crispations, des crises et, comme l'a souligné M. M'Barki, le changement des mentalités est plus long, mais il est en train de se faire. Il y a aujourd'hui une profonde conviction à la base, celle que le Maroc a les moyens de réussir son développement et son émergence au sein des nations démocratiques et modernes.

Une démarche qui a, dites-vous, un fil conducteur. Quel est-il ?

Ce fil conducteur, c'est d'abord cette vision qui se nourrit d'une ambition, d'une profonde conviction et de principes, dans la manière d'entreprendre qui anime la gouvernance politique, économique et sociale. Le travail continu et l'effort caractérisent l'action publique constamment adaptée aux nouveaux enjeux. Le processus des réformes engagées permettra une amélioration de l'action publique. Nous mesurons ainsi le chemin parcouru, et si nous savons que le chemin a parcourir est encore long, nous savons aussi que les choses sont irréversibles.

Il faut néanmoins continuer nos efforts en décryptant dans la durée l'amplitude et la nature des chantiers ouverts depuis plus d'une décennie.

Un mot dans votre intervention a retenu l'attention des quelque 1.500 experts et cadres présents au Forum des compétences belgo-marocaines, c'est celui d'une « politique décomplexée ». Pouvez-vous expliquer le sens que vous donnez au terme « décomplexée » ?

Sa Majesté le Roi a ouvert une formidable dynamique de changement, à la fois dans les infrastructures, dans le développement humain et dans les mentalités. Il est engagé physiquement, ne cessant de sillonner le Maroc pour aller à la rencontre de son peuple et des projets qu'il a initiés et qu'il suit personnellement avec le gouvernement.

L'ambition est de faire du Maroc un pays où la normalité politique, démocratique, deviendra la règle et c'est le message entendu par notre communauté qui constate de visu les changements lors de ses visites au pays. Un pays où le processus décisionnel et l'action gouvernementale sont en amélioration constante, fondés sur des principes universels et au service du citoyen dans un pays qui a réussi à redessiner l'architecture de son économie, la rendant plus compétitive, mais qui est aussi à la recherche de plus de solidarité.

Cette solidarité passe par des chantiers comme l'INDH qui porte une nouvelle philosophie de la gouvernance sociale et qui se traduit par des actions, des projets cohérents portés par une véritable ingénierie sociale. Les résistances et déficits sociaux sont importants, mais la cohérence dans la vision d'ensemble permet de tracer un cap clair qui se traduit en actes politiques majeurs, en réalisations économiques importantes et en processus de réformes dans tous les secteurs. C'est là qu'intervient la stratégie de mobilisation des compétences du ministère Chargé de la communauté marocaine résidant à l'étranger. Nombreuses sont en effet les compétences marocaines qui veulent aujourd'hui soutenir les chantiers de développement lancés par Sa Majesté et la mise en œuvre d'une stratégie, comme l'ont souligné

M. Ameur et M. M'Barki, portant sur des besoins clairement identifiés, des programmes de développement sectoriels bien définis, des plans de développement régionaux, comme celui du Nord et de l‘Oriental et une demande forte sur des compétences peu présentes au Maroc.

Vous dites que le Maroc, partenaire privilégié de l'Union européenne, est en train de converger vers l'essentiel. Qu'entendez-vous par là ?

Il faudra que nous prenions la juste mesure de ce momentum. Nous sommes aujourd'hui un des meilleurs élèves de la classe au sud de la Méditerranée et nous le sommes en raison des choix qui sont les nôtres et non parce qu'il fallait répondre à telle ou telle contrainte.

Le Maroc est devenu ce qu'il est à travers un processus de mutations endogène, en préservant sa personnalité, son identité, son histoire et ses intérêts. Lorsque nous regardons vers l'Europe, nous constatons actuellement des régressions, des frilosités qui n'auraient pas lieu d'être si le regard porté par les Européens sur le Maroc était plus attentif et plus au fait de nos réalités économiques, culturelles et humaines.

Une meilleure connaissance mutuelle et plus de respect sont, à mon avis, préférables au confort de la démagogie. Nous savons en général beaucoup plus sur les Européens que eux savent sur nous, nous connaissons leur histoire, leur géographie, leurs artistes, leurs poètes, leurs philosophes. J'espère qu'ils feront la démarche pour connaître à leur tour nos poètes, nos écrivains et nos penseurs. Et c'est justement notre élite, nos compétences installées en Europe qui peuvent constituer cette passerelle entre les deux cultures pour éviter les malentendus, les peurs, les rejets, les régressions et tout ce qui est aujourd'hui source de malentendus et de mésentente.

Des malentendus très regrettables qui sont source de manque d'informations, mais aussi d'instrumentalisation de certains médias qui, récemment, lors des événements de Laâyoune ont dénaturé le message ?

Les réunions que nous avons tenues avec la communauté marocaine de Belgique, le Forum consacré à la mobilisation des compétences ont été « traversés » par la question nationale longuement évoquée par MM. Ameur et M'Barki qui ont rappelé que la fermeture des frontières et l'affaire artificielle du Sahara étaient une manière d'empêcher le Maroc de se développer, c'est le fameux caillou qui empêche notre pays d'avancer. Aujourd'hui, on est tous conscients, comme l'a souligné le ministre, que le Maroc a fait des concessions en proposant l'autonomie des provinces du sud dans le cadre d'un projet de régionalisation avancée. L'appel lancé par le ministre aux acteurs associatifs étudiants intellectuels et à l'ensemble des Marocains établis en Belgique à contrecarrer la propagande qui vise l'unité du Maroc a été entendu.

En témoigne l'émotion suscitée par le documentaire sur les événements de Laâyoune et l'hommage rendu aux membres des forces de l'ordre décédés, qui ont bouleversé l'auditoire.

Source : Le Matin

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