dimanche 24 novembre 2024 20:35

Immigration : faut-il fermer les frontières de l'Europe ?

L'EUROPE EN CARTES. Nicolas Sarkozy réclame un "Schengen II" pour lutter contre les flux migratoires. L'UE peut-elle se penser autrement qu'en forteresse assiégée ? La réponse de géographes.

Considérée par Marine Le Pen comme une "prison des peuples", ou encore comme "la source de la plupart de nos maux" ; ressentie par de nombreux citoyens comme un tissu de contraintes sans contreparties, l'Union européenne n'en demeure pas moins très attractive pour le reste du monde. Qu'il s'agisse des populations qualifiées des continents asiatiques et américains, ou des populations des pays voisins en quête d'avenir. 

Comment l'Europe répond-elle à ces espoirs ? Par la peur et le replis principalement, quand elle aurait tout à gagner à penser en terme de "mobilités" plutôt que "d'immigration", à mettre en place une porosité sous contrôle. Une telle approche lui permettrait par exemple d'ajuster avec souplesse ses déséquilibres démographiques. Démonstration avec les chercheurs du Collège international des sciences du territoire (Cist) et du Réseau interdisciplinaire pour l'aménagement du territoire (UMS Riate) (1). 

L'Europe est-elle attractive ?

Une Europe attractive pour les étudiants des grands pays émergents

"Dans quels pays souhaiteriez-vous vivre ? Dans quels autres ne souhaiteriez-vous pas vivre ?" Cette question a été posée en 2009 à des étudiants du monde entier par les chercheurs du projet "EuroBroadMap". Elle  permet de s’interroger sur le degré d’attraction qu’exercent les villes et pays d’Europe sur une main d’œuvre qualifiée dont les entreprises européennes ont de plus en plus besoin.

Lorsque l’on examine les réponses d’étudiants de grands pays émergents (Brésil, Russie, Inde, Chine), on peut dire que l’Europe de l’ouest était encore en 2009 le pôle mondial le plus attractif dans les représentations du monde des étudiants. 

Mais cette image positive de l’Europe est fragile car elle repose en partie sur des clichés ou des stéréotypes. Beaucoup d’étudiants chinois et indiens perçoivent en effet l’Europe comme un lieu de loisir raffiné plutôt qu’une puissance économique ou une autorité morale. Cette image positive se dégrade encore plus lorsqu’il est question de migrations et de frontières. Pour beaucoup d’étudiants étrangers, l’Europe est perçue aussi comme une vieille puissance déclinante, frileusement repliée sur elle-même. Quitte à tenter sa chance, autant le faire dans des pays neufs et ouverts à l’immigration tels que le Canada et  l’Australie ! 

L'Europe forteresse : plus de morts, moins d’avenir

La migration est un droit reconnu par divers textes internationaux, y compris par la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen de 1948 qui annonce dans son article 13 que "toute personne est libre de quitter son pays". Pourtant, depuis le milieu des années 1970, l’Union européenne s’est lancée dans la mise en place d’une politique de limitation de l’immigration qu’elle n’a eu de cesse de durcir depuis.

A chaque fois qu'un point de passage était fermé (détroit de Gibraltar, îles Canaries, Lampedusa...), les flux migratoires se sont déviés vers d’autres routes souvent plus périlleuses et plus longues. Avec le déploiement financier, technique, juridique et géopolitique que nécessitent la mise en œuvre des dispositifs de contrôle, le trajet vers l’Europe est devenu plus cher et plus meurtrier. Au total, plus de 23.000 personnes sont mortes depuis le début des années 2000 en tentant d’entrer illégalement dans l’Union européenne.

L'enfermement des migrants

> L’Europe des camps de rétention tisse sa toile

Depuis la première convention signée en 1985, l’espace Schengen se construit comme un espace de libre circulation des personnes à travers l’Europe. Il compte aujourd’hui 26 pays. Mais si la libre circulation est désormais un acquis pour les Européens, le droit de traverser les frontières induit simultanément un durcissement des contrôles sur les frontières extérieures. C’est le revers de la médaille, il faut "protéger" la forteresse.

Or la frontière européenne n’est pas figée telle une ligne tracée sur une carte. Ce qui n’était au départ qu’une réponse administrative improvisée, l’enfermement des migrants, est devenu aujourd’hui le cœur des politiques migratoires européennes. Depuis  2003, les "camps" sont en effet devenus un des instruments privilégiés de gestion des migrants.

Loin de se concentrer dans les États Schengen, la politique d’enfermement des étrangers se propage bien au-delà des frontières de l’UE, dans les pays de son voisinage. Progressivement, l’Europe tisse ta toile. Elle externalise ses contrôles migratoires et dessine une nouvelle frontière, invisible et réticulaire. Environ 600.000 étrangers seraient maintenus en rétention chaque année. 

L’Europe vieillissante doit-elle craindre un appel d’air migratoire ? 

> La croissance démographique 2000-2010 dans l’Europe et ses voisinages

La carte de l’évolution démographique pourrait faire peur : oui les pays du voisinage méditerranéen de l’Europe – et plus au Sud les pays d’Afrique sub-saharienne – connaissent une forte progression démographique. Mais deux arguments calment ces peurs.

D’une part le vrai problème démographique dans la région est la dépopulation de l’Europe centrale et orientale : la question de savoir pourquoi on n’y fait plus d’enfants devrait interroger davantage. D’autre part les pays sud-méditerranéens sont entrés à leur tour, et très rapidement, dans la transition démographique : on fait désormais moins d’enfants à Tunis qu’à Lyon. Ils vont donc avoir besoin de leurs jeunes actifs pour financer leur vieillissement.

Ces pays ont moins besoin d’entraves à la mobilité que d’un vrai partenariat de co-développement avec l’Europe. Il y a un demi-milliards d’habitants dans nos voisinages au sens large, soit une région d’un milliard d’habitants au total : de quoi peser sur la scène mondiale – si l’on sait bâtir ce partenariat. ,

Source : .nouvelobs.com

 

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