Trois jours après l'ouverture complète du marché du travail allemand aux Bulgares et aux Roumains, Angela Merkel et son partenaire social-démocrate tentent de calmer la polémique déclenchée par les conservateurs bavarois, qui craignent et stigmatisent cette immigration. Mercredi, le gouvernement de coalition de la chancelière conservatrice, réuni pour la première fois de l'année en conseil des ministres, se penchera sur d'éventuelles mesures plus sévères contre les supposées fraudes d'immigrés sur les prestations sociales.
« Je pense qu'il ne faut pas monter artificiellement en épingle ce problème », a estimé le vice-chancelier Sigmar Gabriel, dans un entretien samedi 4 janvier à Bild, journal le plus lu du pays. « Nous n'avons pas besoin de discriminations à l'emporte pièce contre les Bulgares et les Roumains, mais nous ne devons pas non plus ignorer les problèmes de certaines grandes villes allemandes face à l'immigration des pauvres », a aussi lancé M. Gabriel.
Et d'ajouter : « Ce dont nous n'avons vraiment pas besoin, ce sont des déclarations faites dans des buts électoraux. Ce n'est pas avec cela que l'on résout les problèmes d'immigration ». Deux scrutins sont en effet décisifs pour le parti conservateur bavarois (CSU), cette année, dans cette riche région du sud de l'Allemagne : les municipales en mars et les européennes en mai.
« HYSTÉRIE »
Or les conservateurs bavarois – le plus petit partenaire des trois partis de la coalition gouvernementale – ont fait de l'immigration leur cheval de bataille en vue de ces élections, se faisant le porte-voix d'un sentiment antieuropéen qui poind en Allemagne. Ils souhaitent la mise en place de barrières à l'immigration des ressortissants pauvres des pays d'Europe centrale, avec en ligne de mire les Roms, soupçonnés de vouloir profiter du système social allemand. Accusant les immigrés « profiteurs », ils ont récemment exigé une attitude plus sévère face aux éventuels fraudeurs, et lancé leur slogan : « Qui fraude, dégage ».
En réaction, le commissaire européen à l'emploi, le Hongrois Laszlo Andor, a mis en garde contre toute forme d'« hystérie » dans ce débat et rappelé la nécessité de « défendre absolument des droits fondamentaux comme la libre circulation », dans une interview au quotidien Die Welt parue samedi.
Les milieux économiques allemands se sont aussi inquiétés pour l'image de leur pays. Le directeur des Chambres de commerce et d'industrie allemande a ainsi souligné, dans le quotidien Neue Osnabrücker Zeitung, que l'Allemagne, pays vieillissant, « avait besoin dans les prochaines années d'au moins 1,5 million de travailleurs qualifiés étrangers pour maintenir sa croissance et garantir le système social » du pays. « Nous devons continuer à améliorer l'accueil des immigrés, c'est un devoir pour l'ensemble de la société », a-t-il affirmé.
UNE VAGUE D'IMMIGRATION PEU PROBABLE
Les arrivées de Bulgares et de Roumains, même si elles restent limitées par rapport à l'immigration totale en Allemagne, défraient régulièrement la chronique parce qu'elles sont concentrées dans certaines grandes villes, comme Berlin ou Duisbourg, et parce que nombre d'Allemands y voient une fraude aux prestations sociales. Toute famille avec enfants installée en Allemagne a le droit de percevoir des allocations familiales.
Depuis mercredi, Roumains et Bulgares peuvent travailler librement dans l'ensemble de l'Union européenne, sept ans après l'accession de leurs pays à l'UE, avec la levée des dernières restrictions dans neuf pays – Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, France, Grande-Bretagne, Luxembourg, Malte, et Pays-Bas.
Ils avaient auparavant accès, depuis 2008, à une liste de 150 métiers dans lesquels existent des difficultés de recrutement, liste élargie en 2012 à 291 professions (conduite d'engins agricoles, entretien d'espaces verts, boulangerie, coiffure…). Pour exercer une activité, les Roumains et les Bulgares devaient demander une carte de séjour et étaient soumis à une autorisation de travail, allégée pour ces métiers. Les Roumains et Bulgares ne partent donc pas de zéro, puisque la plupart des métiers du BTP et de l'agriculture, secteurs traditionnellement employeurs de main-d'oeuvre étrangère, pouvaient déjà accueillir ces travailleurs.
Pour nombre d'analystes, l'impact de ces mesures devrait être faible, également parce que les grandes vagues d'émigration ont déjà eu lieu, limitant le nombre de candidats au départ. Depuis la chute du communisme, environ trois millions de Roumains et un million de Bulgares ont émigré, pour leur très grande majorité en Espagne et en Italie. France et Grande-Bretagne ont aussi recruté des milliers de médecins et d'aides-soignantes.
2/1/2014, Cécile Boutelet
Source : LE MONDE