lundi 25 novembre 2024 16:51

Inhumation des immigrés : quand la mort devient signe d'intégration

Faute de lieux d'inhumation, les musul­mans conti­nuent dans leur écra­sante majo­rité de rapa­trier leurs morts dans le pays d'origine alors que l'enterrement en France appa­raît de plus en plus comme le signe d'une inté­gra­tion réussie.

Quelque 80% des défunts ori­gi­naires du Maghreb sont enter­rés dans leur pays, selon une esti­ma­tion d'Atmane Aggoun, cher­cheur au Centre natio­nal de la Recherche scien­ti­fique, qui se base sur les laissez-passer mor­tuaires déli­vrés par les préfectures.

Parmi eux, il n'y pas uni­que­ment des immi­grés de la pre­mière géné­ra­tion mais aussi des jeunes nés en France, notam­ment décé­dés de mort vio­lente, a noté le socio­logue Yassine Chaïb.

Grâce à la force du lien com­mu­nau­taire, les familles dému­nies sont aidées pour offrir ce der­nier voyage, syno­nyme d'une dette sociale de celui qui a pro­mis le retour. Des sans-domicile fixe et des sans-papiers sont ainsi rapa­triés. Les immi­grés d'un même vil­lage par­ti­cipent sou­vent à une coti­sa­tion spé­cia­le­ment dédiée.

Pays de tra­di­tion laïque, la France a auto­risé par décret pré­si­den­tiel la réa­li­sa­tion d'un cime­tière musul­man de quatre hec­tares en 1937. Il a été construit à Bobigny (Seine-Saint-Denis), près de l'hôpital franco-musulman (Avicenne).

Elle compte égale­ment quelque 85 car­rés musul­mans, essen­tiel­le­ment en Île-de-France. Il en fau­drait entre 600 et 700, selon Atmane Aggoun. L'offre est "lar­ge­ment insuf­fi­sante", confirme le pré­sident du Conseil fran­çais du Culte musul­man (CFCM), Mohamed Moussaoui.

Du point de vue de la tra­di­tion coranique, rien n'oblige un croyant à élire sa der­nière demeure dans un pays musul­man, mais seule­ment dans un cime­tière où est res­pecté le rite funé­raire qui veut notam­ment que la tête du mort soit tour­née vers La Mecque.

"La règle veut que les défunts musul­mans soient enter­rés dans un cime­tière musul­man, ce qui explique le sou­hait de la majo­rité des familles de les rapa­trier dans le pays d'origine", selon la Grande mos­quée de Paris.

Le désir de recueille­ment a cepen­dant sus­cité une reven­di­ca­tion de car­rés musul­mans même si la peur de l'exhumation est décou­ra­geante puisqu'il s'agit désor­mais de conces­sions à durée déterminée.

Pour les musul­mans, la tombe est la demeure éter­nelle. Le corps est ense­veli à même le sol pour qu'il puisse se mélan­ger plus rapi­de­ment à la terre qui l'a engen­dré, dif­fi­culté sup­plé­men­taire en France où le cer­cueil est obligatoire.

"Faire souche en France néces­site une tombe pour l'éternité", observe Yassine Chaïb, selon lequel une conces­sion tem­po­raire signi­fie pour l?immigré "le pro­lon­ge­ment d'un pro­vi­soire qui dure".

L'aménagement de car­rés musul­mans "est la preuve que la terre de France s?est sacra­li­sée et que l?on est là pour long­temps", ajoute-t-il.

"Aujourd'hui, soutient-il, de plus en plus d'immigrés disent : +Mon pays, c?est mes enfants+, nés en France et pensent qu'en se fai­sant enter­rer dans ce pays, ils y font souche".

Selon Atmane Aggoun, ce sont sur­tout les immi­grés ayant eu une "car­rière conti­nue" en France qui veulent y être inhu­més. "Ils veulent don­ner des racines à leurs enfants et à leurs petits-enfants. C'est un droit du sol ren­versé", explique-t-il.

"S'intégrer c'est aussi exis­ter en tant que mort. L'intégration passe avant tout par la dés­in­té­gra­tion du corps ici, en France", estime le chercheur.

Pour répondre à la demande croissante de car­rés, Yassine Chaïb recom­mande aux maires de pas se conduire en "théo­lo­giens" en négo­ciant avec des asso­cia­tions reli­gieuses, mais en "géo­mètres" puisqu'il s'agit d'une "ques­tion d'aménagement urbain".

Faute de place et face à l'interdiction de la cré­ma­tion par l'islam, le CFCM songe aux ossuaires, a déclaré à l'AFP Mohamed Moussaoui.

Source : AFP

Google+ Google+