mercredi 27 novembre 2024 19:35

L’accueil des mineurs isolés étrangers manque de moyens

À Paris et en Seine-Saint-Denis, les services de l’Aide sociale à l’enfance, saturés, ne parviennent plus à faire face à l’afflux de mineurs isolés

La scène se répète chaque jour place du Colonel-Fabien à Paris. Entre 40 et 50 adolescents étrangers se présentent dans l’espoir d’obtenir un toit pour la nuit. Et une grande partie d’entre eux ne sera pas mise à l’abri par manque de place. « Nous sommes obligés de nous occuper en priorité de ceux qui ont l’air les plus jeunes et les plus vulnérables, c’est un vrai déchirement pour les travailleurs sociaux, qui doivent en quelques minutes évaluer au mieux la situation », témoigne Pierre Henri, directeur général de France terre d’asile, organisation chargée de l’hébergement des mineurs isolés étrangers (MIE) dans la capitale.

Saturés, les services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) de la ville ne parviennent plus, quant à eux, à répondre à l’afflux de mineurs isolés étrangers. L’an dernier, les services de la ville avaient pris en charge 1 350 jeunes migrants. Depuis janvier 2011, 1 600 ont déjà été accueillis. Les budgets explosent : 40 millions d’euros en 2009, 70 millions en 2010. « L’État ne nous a remboursés que 179 808 € sur les 105 millions qu’il aurait dû verser. C’est une charge que nous ne pouvons plus assumer seuls sans compensation », estime Romain Lévy, adjoint à la protection de l’enfance.

La situation est tendue également en Seine-Saint-Denis, où de nombreux migrants arrivent via l’aéroport de Roissy. En 2010, le département a accueilli 943 mineurs étrangers à l’Aide sociale à l’enfance. Leur prise en charge a coûté 35 millions d’euros, soit 20 % du budget consacré à l’enfance. En 2011, ils pourraient être plus d’un millier si la tendance observée depuis janvier se poursuit.

Ultimatum à l’Etat

Face à ce constat, le président du conseil général Claude Bartolone a lancé à l’État un ultimatum. Il a annoncé au mois de juillet que sans une aide supplémentaire, il cessera d’accueillir de nouveaux jeunes à partir du 1er septembre. Ses services renverront systématiquement les mineurs vers les services de la Protection judiciaire de la jeunesse. Il entend par ailleurs saisir la justice administrative « pour obtenir une compensation financière de la prise en charge des mineurs isolés étrangers ». Et demande une répartition plus équilibrée entre les départements pour l’accueil de ces mineurs.

Dans le Calvados, c’est par le port de Caen-Ouistreham que débarquent les mineurs isolés étrangers, saturant les 80 hébergements disponibles et l’Aide sociale à l’enfance, qui traite en continu 120 dossiers. « Sans solidarité nationale, nous ne sommes plus en mesure d’ouvrir de nouvelles places, et nous devons organiser un filtrage des demandes », regrette Étienne Behaghel, directeur adjoint du service solidarité du département. Il avoue que depuis deux ans, l’ASE doit accélérer les fins de prise en charge des jeunes devenus majeurs dans le but de donner leur chance à d’autres.

Le manque de moyens porte avant tout préjudice aux grands adolescents qui ne possèdent pas de document administratif fiable attestant de leur année de naissance. Dans ce cas de figure assez fréquent, le parquet demande une expertise médicale pour déclarer le jeune mineur ou majeur. La pratique la plus courante est la détermination de l’âge osseux, réalisée notamment à partir d’une radio du poignet. Mais ce procédé qui date du début du siècle dernier, vivement critiqué par l’Académie nationale de médecine, a une marge d’erreur estimée à dix-huit mois. « Désormais, c’est la fourchette haute de l’estimation qui est prise en compte, et le jeune n’est pas pris en charge par la protection de l’enfance », constate Jean-Pierre Alaux, juriste en charge des mineurs au Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti).

Mineur ou majeur ?

La tâche est d’autant plus délicate que les services sociaux et juridiques ne sont pas cohérents dans leurs appréciations. « Un jeune peut très bien être déclaré majeur alors qu’il demande la protection de l’ASE, et considéré comme un mineur, avec demande de tutelle, lorsqu’il tente un recours au tribunal administratif contre le refus de sa prise en charge », poursuit-il.

La Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), consciente des limites des méthodes d’estimation de l’âge, a constitué un groupe de travail qui doit proposer des alternatives. Claude Roméo, membre de France terre d’asile et de ce comité de réflexion, prône l’utilisation d’une grille d’évaluation recoupant des informations sur le comportement, le parcours, la scolarité, et la famille du jeune. « À partir de ce document de cinq pages que nous avons élaboré, ce serait le rôle du travailleur social d’émettre l’idée qu’il s’agit d’un mineur ou d’un majeur. »

Didier Piard, directeur de l’action sociale à la Croix-Rouge française, demande quant à lui la mise en place d’un véritable statut pour les mineurs étrangers isolés. « Sans cela, il n’y aura pas de véritable recensement de cette population, donc pas de gestion rigoureuse, ni de clarification dans la répartition des financements. » Dans cet esprit, le rapport de la sénatrice UMP Isabelle Debré recommandait notamment, voilà plus d’un an, la mise en place d’un fond partagé entre les départements qui permette de soulager financièrement les territoires plus concernés par les flux migratoires. Pour l’heure, sa proposition est restée lettre morte.

30/8/2011, JEAN-BAPTISTE FRANÇOIS

Source : La Croix

Google+ Google+