lundi 25 novembre 2024 16:20

L'Europe face aux nationalismes

Où va l'Europe ? D'est en ouest, s'expriment les particularismes culturels, historiques et politiques. En mai, les élections législatives néerlandaises font du Parti pour la liberté, populiste, la troisième force politique du pays. En juin, le parti nationaliste hongrois, le Jobbik, fait une entrée spectaculaire au Parlement avec 16 % des voix, doublant son score aux européennes de juin 2009. En Scandinavie, la Suède suit le Danemark avec l'entrée d'un député d'extrême droite au Parlement. Quant à la Belgique, elle est plongée dans une crise sans précédent depuis la victoire des séparatistes flamands aux législatives de juin. Histoires différentes, certes. Mais les enjeux et les réactions de replis identitaires nationaux, régionaux, linguistiques, en deçà et au-delà des frontières territoriales, sont similaires.

En Europe centrale, les nationalismes offensifs ou défensifs sont à l'origine des tensions entre Etats voisins. Le désir de retour à la "magyarité", au rétablissement du lien entre peuple, territoire et nation qui avait été rompu par le traité de Trianon en 1920, a conduit le Parti conservateur - en compétition avec le Parti nationaliste - à mettre en place des lois sur la double nationalité attribuée aux minorités hongroises hors frontières. De peur que la minorité en question (environ 10 % de sa population) ne revendique son autonomie, le voisin slovaque n'a pas tardé à se défendre en mobilisant la vieille peur du "grand Hongrois".

Les Roumains à la recherche de la Grande Roumanie, la Bulgarie dans la lutte contre les minorités turques musulmanes et les Roms trouvent chacun le salut dans le discours nationaliste et la progression des partis populistes. A la définition et redéfinition de l'Autre - Tziganes, Roms, Maygars, Turcs... qui nourrissent explicitement les discours nationalistes - vient s'ajouter l'impuissance des politiques économiques à consolider les sentiments d'appartenance à des nations qui se voient comme exclusives. Quant à l'Union européenne, qui a conduit les pays de l'Est de la souveraineté retrouvée à la souveraineté partagée, elle est, à l'Est comme à l'Ouest, source d'ambiguïté et de paradoxe.

Les nationalismes constituent l'organisation de base dans l'Europe du XIXe siècle mais pas de la construction de l'Europe unie, bien au contraire. Certes, la signature du traité de Maastricht avait provoqué d'innombrables débats concernant les implications d'un nouvel espace politique sur les identités nationales, régionales, linguistiques, religieuses, et bien sûr sur l'identité européenne qui engloberait l'ensemble et la citoyenneté qui lui serait liée.

La question était triple : comment combiner l'idéologie universaliste des Etats-nations et le particularisme culturel et historique qui caractérise chacune des nations ; comment choisir entre les intérêts économiques et une volonté politique commune, et la souveraineté des Etats ; et comment articuler les appartenances plurielles et complexes des individus, des groupes, des nations pour arriver à construire une identité européenne, ou plutôt à susciter leur identification à une Europe unie.

Alors que le projet européen avait comme objectif premier le dépassement du "modèle nationaliste", l'Europe unie a surtout mobilisé des partis populistes et provoqué par endroits leur succès. En effet, le populisme a bien trouvé sa base sur une Europe sans frontières intérieures. Mais cet espace de libre circulation est aussi un espace transnational de solidarité, un espace de mobilisation et de revendication des intérêts et des identités.

Les résistances ont porté au premier plan sur les questions d'identité nationale et de souveraineté, exprimées par la protection des frontières territoriales d'un côté, par la présence des immigrés, et notamment de l'islam dans l'espace public, de l'autre. Cela s'accompagne d'un rappel "automatique" des principes de citoyenneté et de la compétence des Etats en matière d'immigration, transformée désormais en question de sécurité. Le tout se traduit par un populisme qui s'accroche à une représentation des identités nationales, linguistiques et territoriales. Le nationalisme constitue un grand défi pour l'Union européenne. En posant la question des minorités, de l'identité et de l'altérité, il remet en cause la capacité de l'Europe unie à conduire les Etats au-delà de leurs particularismes, à faire partager un avenir commun dans le respect des nations et des citoyens et à former une identité européenne.

Il est temps de voir émerger en Europe une nouvelle forme d'organisation politique qui rassemblerait toute la diversité culturelle et nationale qu'elle incarne et qui ferait du respect de cette diversité sa norme incontournable.

Si la nation, cette construction historique, s'appuie sur le mythe d'un passé commun, l'identité nationale, elle, est dynamique. Elle se définit et se redéfinit par rapport aux autres nations pour délimiter ses frontières territoriales et identitaires. Mais elle se redéfinit aussi par rapport aux attentes des groupes sociaux qui la composent. Les séparatistes flamands s'affirment en Belgique en plaçant la question linguistique et territoriale au coeur des projets de réforme de l'Etat fédéral. La demande de protection et de reconnaissance de la langue flamande depuis le XIXe siècle s'est traduite aujourd'hui par une victoire électorale, expression d'une frustration vis-à-vis de la Belgique francophone.

Mais de façon plus générale, loin de définir les frontières territoriales des Etats, le nationalisme tel qu'il s'exprime aujourd'hui dans différents pays membres de l'Union a choisi comme cible l'immigration, l'islam, le multiculturalisme et le spectre du communautarisme qui lui est lié, pour consolider les frontières d'identités qui se définissent comme nationales.

Accepté comme principe ou rejeté mais néanmoins appliqué dans les démocraties occidentales, le multiculturalisme est aujourd'hui au cœur des controverses comme cause et effet du rejet de l'Autre. Aux Pays-Bas, Geert Wilders a construit sa campagne autour du rejet de l'islam pour revendiquer le retour des valeurs néerlandaises. Déjà les assassinats de Pim Fortuyn et de Theo Van Gogh avaient généré un changement radical dans les politiques et l'opinion concernant les minorités. Désormais, la question du multiculturalisme est liée aux politiques d'immigration à cause d'une opinion sensible à l'intégration des nouveaux venus, notamment ceux des pays musulmans.

Source : Le Monde

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