vendredi 27 décembre 2024 03:42

L’interdiction de la burqa pourrait résister à l’épreuve du droit

Le constitutionnaliste Bertrand Mathieu estime que la formule trouvée par le gouvernement offre un fondement juridique solide à l’interdiction

Il fallut bien des efforts en 2004 pour parvenir à la bonne formule d’interdiction des signes religieux « ostensibles » à l’école. Le Conseil d’État, puis la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), n’avaient finalement rien trouvé à y redire. Le gouvernement a de nouveau pesé chaque mot pour justifier l’interdiction du port du voile intégral. Présentés mercredi 19 mai en conseil des ministres, les sept articles du projet de loi étaient moins attendus que « l’exposé des motifs » qui explicite les fondements de l’interdiction.

Comme il fallait s’y attendre, le respect de la laïcité – qui garantit la liberté d’expression religieuse – n’a pas été retenu. Celui de l’égalité entre l’homme et la femme est évoqué, mais de façon annexe. Au cœur de l’exposé des motifs se trouvent en revanche les notions d’ordre public et de dignité de la personne.

« La défense de l’ordre public ne se limite pas à la préservation de la tranquillité, de la salubrité ou de la sécurité. Elle permet également de prohiber des comportements qui iraient directement à l’encontre des règles essentielles au contrat social républicain qui fonde notre société », précise le texte.

Une conception « non matérielle de l’ordre public »

Pour le constitutionnaliste Bertrand Mathieu, il s’agit d’une conception « non matérielle de l’ordre public qui intègre le respect de certaines valeurs ». Le texte évoque en l’occurrence les « exigences fondamentales du vivre-ensemble », « l’idéal de fraternité » ou encore « l’exigence minimale de civilité ».

L’universitaire rappelle que cette conception de l’ordre public a déjà, dans le passé, permis de fonder le rejet de certaines pratiques biomédicales ou de la polygamie. En 1999, le Conseil constitutionnel s’était ainsi référé aux « fondements de l’ordre social » pour justifier la prohibition de l’inceste.

À cette défense de l’ordre public, le texte articule le respect de la dignité de la personne. Quand bien même elle serait volontaire ou acceptée, cette forme de « réclusion » qu’est la dissimulation du visage « constitue à l’évidence une atteinte au respect de la dignité de la personne ».

En 1995, le Conseil d’État avait validé la décision d’un maire d’interdire un spectacle de « lancer de nain » au nom du respect de la « dignité de la personne ». Mais cette jurisprudence restée marginale avait été jugée attentatoire aux libertés individuelles. La dignité, principe constitutionnel depuis 1994, est là pour protéger les citoyens contre d’éventuels abus des États et non l’inverse.

La loi devrait résister à l'examen du Conseil constitutionnel

Pourtant, Bertrand Mathieu souligne que, dans l’actuel projet de loi, la solidité de raisonnement tient au fait qu’une telle conception non matérielle de l’ordre public « ne renvoie pas à un ordre moral mais à des valeurs qui ont bien un ancrage constitutionnel ». Le fait de dissimuler son identité représente « une dégradation, une négation de la personne humaine à laquelle on peut s’opposer sans attenter aux libertés individuelles ».

Devant la mission d’information parlementaire, il avait d’ailleurs suggéré un argument qui est repris ici : la dignité concernée n’est pas seulement celle de la femme masquée, mais celle des « personnes qui partagent avec elle l’espace public et se voient traitées comme des personnes dont on doit se protéger par le refus de tout échange, même seulement visuel ».

Si l’on admet que la burqa porte atteinte à des valeurs républicaines, l’interdiction ne pouvait être que totale, et non pas limitée à certains espaces. Professeur à la Sorbonne, Bertrand Mathieu estime que, ainsi fondé, le projet de loi devrait résister à l’examen du Conseil constitutionnel. Spécialiste de la laïcité, le juriste Philippe Portier souligne pour sa part que le Conseil « prend également en considération la réception de la loi par la société ».

Six mois pour convaincre

De ce point de vue, les pouvoirs publics se donnent le temps de convaincre. Selon le projet du gouvernement, l’application de la loi sera précédée d’une période de médiation de six mois. Autrement dit, si la loi passe bien dans l’opinion et dans la pratique, la marge de manœuvre des sages sera plus limitée. Quant à la perspective d’un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), Bertrand Mathieu se veut également confiant.

Sur les affaires de voile islamique, la jurisprudence européenne s’est montrée plutôt respectueuse de la volonté des États. « Avant qu’un recours n’aboutisse devant la CEDH, d’autres pays que la Belgique et la France devraient avoir légiféré sur la burqa. Cela aura un impact », estime le professeur à la Sorbonne.

Source : La Croix

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