vendredi 27 décembre 2024 03:04

L’interdiction du niqab suscite de vrais débats chez les femmes politiques suisses

L’éventualité d’une interdiction du niqab – improprement appelé burqa – dans l’espace public ne fait pas l’unanimité parmi les femmes politiques et les féministes. La conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf s’est prononcée le dimanche 9 mai en faveur d’une telle interdiction dans l’hebdomadaire Sonntag pour des raisons de sécurité publique, mais peu de femmes politiques sont disposées à la suivre sur ce terrain.

Elle a derrière elle les femmes du PDC. Rosemarie Zapfl, ancienne conseillère nationale zurichoise PDC et actuelle présidente de la fédération faîtière d’organisations féminines «Alliance F», soutient également la décision du parlement argovien de demander une interdiction du niqab dans l’espace public helvétique.

Mais d’autres femmes politiques ne l’entendent pas de cette oreille. Ni les radicales, ni les socialistes, ni les Vertes, ni les femmes du Parti chrétien-social ne veulent d’une interdiction du niqab. Selon elles, le bannissement du voile intégral n’améliorera pas l’égalité entre les sexes, ni les droits des femmes. Au contraire, «les femmes concernées n’en seront que plus fortement isolées», affirment-elles dans un communiqué commun. Elles préfèrent invoquer «le dialogue», «l’intégration», la nécessité de ne pas stigmatiser ni discriminer. Les femmes UDC ne se sont pas associées à cette déclaration. Mais, dans la Neue Zürcher Zei­tung, Rita Gygax, leur présidente, déclare qu’une interdiction ne résoudra aucun problème. A l’instar des représentantes des autres partis, elle craint l’isolement des femmes concernées en cas de prohibition du voile intégral.

Dans une tribune publiée par la NZZ mercredi, deux historiennes alémaniques, Katrin Rieder et Elisabeth Joris, abondaient dans ce sens au nom des droits humains, invoquant le droit des femmes à l’autodétermination et celui du libre choix des vêtements. Elles dénonçaient l’instrumentalisation politique du débat à des fins anti-islamiques et racistes, et cela dans le but d’engranger des électeurs. Enfin, elles s’en prenaient à un «féminisme post-colonial», qui prétend libérer les musulmanes de leur oppression.

Curieusement, le débat porte peu, du moins chez les femmes, sur la signification et la symbolique de cette tenue, qui n’est exigée ni par le Coran, ni par la tradition islamique, et qui ne laisse entrevoir qu’une paire d’yeux à travers une fente minuscule. Seuls quelques hommes politiques de droite ont osé dire haut et fort que le niqab était «une prison pour les femmes», comme le président du PDC, Christophe Darbellay.

Qu’en pensent les féministes romandes? La Genevoise Mireille Vallette, auteure d’un livre sur les dangers de l’intégrisme islamique*, est «totalement favorable» à une législation interdisant le niqab. «C’est un vêtement indécent, qui signe la mort sociale des femmes, dit-elle. C’est un symbole au mieux extrêmement discriminatoire comme dans les Etats du Golfe, et au pire inhumain comme en Arabie saoudite et en Afghanistan. Il représente la volonté d’installer un apartheid des sexes dans tous les domaines. Dans la vision intégriste, les femmes doivent se couvrir – qu’il s’agisse d’ailleurs du foulard ou du niqab – afin de permettre aux hommes de maîtriser leurs pulsions sexuelles.»

Stéphanie Apothéloz, membre fondatrice de l’association Feminista basée à Lausanne, n’a pas encore d’avis tranché sur la question d’une interdiction. Mais, à l’instar de Mireille Vallette, elle remarque que les «seuls pays musulmans qui imposent le voile intégral sont des pays totalitaires qui ne laissent pas le choix aux femmes. Je doute qu’on puisse choisir de porter librement un tel vêtement, qui est le symbole de l’oppression des hommes sur les femmes.»

Tel est aussi l’avis de la féministe vaudoise Silvia Ricci Lempen, écrivaine et docteure en philosophie. «Je ne me fais aucune illusion sur la liberté de choix des femmes qui portent cette prison ambulante. Le niqab est une barbarie, une atteinte à l’intégrité physique et morale des femmes. C’est un mal qui doit être éradiqué. Cela dit, je suis contre une législation répressive, car je doute qu’un tel instrument soit le meilleur moyen d’éliminer le niqab. Je crois davantage aux vertus du dialogue, de l’éducation et du contact multiculturel. Mais je suis prête à changer d’avis si le dialogue ne donne pas de résultat, et si l’on me démontre l’efficacité d’une législation répressive.»

Tandis que Silvia Ricci Lempen et Stéphanie Apothéloz déplorent la récupération du débat par des partis «qui ne se souviennent de la nécessité de défendre les droits des femmes que lorsque c’est un argument électoral», comme le dit la première, Mireille Vallette place la cause des femmes au-dessus des manœuvres politiciennes. «Si la cause est juste, il m’est indifférent de savoir que la droite en tire des bénéfices. Le voile intégral est le symbole d’un radicalisme islamique qui menace la démocratie. Même s’il est minoritaire, il se développe. On n’entend que lui dans l’espace public. Et tant pis si une interdiction du niqab devait enfermer chez elles la petite minorité de femmes qui portent ce vêtement en Suisse.»

Source : Le Temps.ch

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