vendredi 27 décembre 2024 19:31

La Flandre craint-elle l’immigration ?

Une société repliée sur elle-même ? Vraiment pas. A Anvers, ville du Belang, la Flandre fait, sans complexe, de l’ “inburgering”.

Au mur, des cartes du monde, de la Belgique et un plan d’Anvers. Une devise, aussi, écrite dans les deux langues : "Le travail ne se donne pas, le travail se gagne".

Nous sommes dans une école de la Prins Leopoldstraat, en plein cœur de Borgerhout, le quartier à dominante immigrée d’Anvers. Aujourd’hui, c’est Paty Kilozo qui officie. Etudiant congolais, il était venu en Belgique dans les années 90 avec l’intention de revenir au pays. De fil en aiguille, il s’est enraciné, et ce matin, il donne cours d’orientation sociale, en français, à une dizaine de migrants venus du Rwanda, du Sénégal, de Guinée ou du Niger.

Paty Kilozo explique l’architecture institutionnelle de la Belgique, ses communautés, ses transferts de compétence, sa décentralisation, ses ministres présidents, et même sa communauté germanophone. Il explique que les Wallons et les Flamands se sont disputés sur la question de la langue, mais que maintenant "la guerre, c’est sur l’argent". Il n’y va pas par le dos de la cuiller. "Les Flamands veulent obtenir la sécurité sociale. Votre chômage sera un jour payé par la Flandre. Si cela ne vous convient pas, vous pouvez aller à Charleroi. Il y a un train toutes les quinze minutes."

Vient le coup de grâce. "Si vous ne connaissez pas la langue", demande-t-il, "comment allez-vous communiquer avec les écoles de vos enfants ? Parler, c’est ouvrir les portes. La décision vous revient. C’est à prendre ou à laisser." Les élèves opinent de la tête.

Ce cours accéléré sur la Belgique, dans le langage direct d’un ex-immigré, fait partie de l’arsenal de la Flandre pour accueillir et intégrer les nouveaux migrants. Il s’inscrit dans le programme d’inburgering adopté par décret par la Flandre en 2004. Il n’a nul pareil en Wallonie, mais existe aussi aux Pays-Bas et, de plus en plus, dans d’autres pays d’Europe. L’idée est qu’il faut préparer les migrants à s’adapter aux sociétés dans lesquelles ils s’installent et leur donner une chance. Chaque année, près de 20000 nieuwkomers, immigrants légaux, s’installent en Flandre, soit la taille d’une commune comme Huy.

Que ce cours soit donné en français, avec l’argent de la ville d’Anvers et de la Flandre, peut paraître incongru aux francophones. Pourtant, c’est une décision mûrement réfléchie des autorités flamandes. "Les Flamands ont compris", explique Paty Kilozo, "que l’important, c’est que les gens comprennent le système dès leur arrivée en Belgique."

Au bureau d’accueil Inburgering d’Anvers, une quarantaine d’"accompagnateurs" accueillent les nouveaux venus dans une quinzaine de langues différentes, jusqu’au swahili. Ils l’appellent "la langue de contact". Soixante pourcent des premiers contacts se font en arabe, en anglais ou en français. Le bureau est situé Carnotstraat, toujours dans le district de Borgerhout, parmi des maisons de thé, des vendeurs de tissus, des restos marocains et des boutiques où le ravier de fraises ne dépasse pas les 1,20 euros.

Au premier étage, Sagna, 47 ans, patiente avec son épouse et son fils fraîchement arrivés du Sénégal dans le cadre d’un regroupement familial. Il ne tarit pas d’éloges sur l’inburgering, un programme nécessaire selon lui. "Cela fait longtemps que je suis ici. Zestien jaren ", dit-il dans un mélange de français et de néerlandais. "Si tu parles seulement le moedertaal, alors tu as des problèmes. Si tu viens en Belgique et que tu ne connais rien, tu es comme un mouton. Tu ne sais pas où tu es. Ici, on t’aide."

A Anvers, les participants au programme suivent environ 60 heures d’orientation sociale, 120 heures d’apprentissage du néerlandais et de 15 à 30 heures de cours d’orientation professionnelle. Ils signent au début du programme un " contrat" d’engagement et au bout du compte, ils reçoivent une "attestation d’intégration" prouvant qu’ils ont suivi le programme des autorités flamandes.

L’inburgering est obligatoire pour les primo arrivants venus d’un pays hors de l’UE, de Suisse ou de l’Espace économique européen, de même que pour ceux qui sont devenus Belges à l’étranger. De nombreuses exemptions existent, en particulier pour les personnes âgées de moins de 18 ans et de plus de 65 ans. "Le principe général est que tout le monde est obligé de suivre ces cours", explique Hassan Boujedaïn, le coordinateur général du bureau d’Anvers. "Les gens mariés à un Néerlandais ne sont pas obligés. En r e vanche, s’ils sont mariés à un Belge, ils le sont. En réalité, seuls 30 à 35 % des nouveaux arrivants sont obligés de suivre ce programme. L’obligation est un moyen, pas un but."

Jusqu’en 2009, les procureurs avaient la possibilité de poursuivre les contrevenants, sur une base pénale. Aucun ne le fit, considérant que ce n’était pas une priorité. Mais en 2009, les autorités flamandes ont adopté un nouveau décret remplaçant la sanction pénale par des sanctions administratives. Toute personne qui ne suit pas le programme d’inburgering peut donc écoper d’une amende de 100 à 150 euros. La Flandre est stricte, car ellle considère que l’inburgering est un investissement et un prérequis à l’intégration.

Hassan Boujedaïn, qui travaille dans l’accueil des immigrés à Anvers depuis de nombreuses années, estime que la Flandre cherche, à travers ces cours d’intégration, à trouver l’équilibre entre les droits et les devoirs des nouveaux arrivants et à les aider à se sentir bien et à l’aise dans leur nouveau quartier. L’inburgering n’a de sens, selon lui, que s’il est accompagné d’autres politiques, par exemple en matière d’habitat. "Il y a une très grande évolution dans la société", dit-il. "Quand on voit qu’il y a 6 000 nouveaux arrivants chaque année dans une ville de 400 000 habitants comme Anvers, ce n’est pas rien. C’est 60 000 personnes en dix ans. La fertilité des familles nouvellement arrivées est plus grande. Nous voyons aussi à Anvers la problématique des mariages arrangés, des immigrants venus de l’Espagne en crise ou des Pays-Bas où la législation est bien plus sévère. Nous devons pouvoir parler des problèmes sans crier au racisme."

Aux élections communales de 2006, le Vlaams Belang avait échoué de peu, avec 33,51 % des voix, à prendre le contrôle de la seconde ville de Belgique. Les socialistes, avec 35,28 % des voix, avaient dès lors constitué une alliance avec les partis démocratiques. Certains estiment que la majorité communale prospère sur le terrain de l’extrême droite, mais d’autres soulignent au contraire que Patrick Janssens, le bourgmestre socialiste, a réussi à battre le Vlaams Belang sur son terrain.

Mohamed Chakkar, le coordinateur de la Fédération des associations marocaines d’Anvers, fait partie de la première catégorie. Pour lui, les partis s’enhardissent dans la ville portuaire et développent une politique d’intimidation. Le foulard est interdit dans les écoles et les bâtiments de la ville. Surtout, la communauté immigrée subit de plein fouet le chômage. "Je suis d’accord pour condamner les abus du système social", dit-il, "mais il ne faut pas généraliser ces abus à tous les immigrés. Les échevins parlent d’allochtones et d’Anversois. La sémantique dit beaucoup... Cela fait trente ans que je vis à Anvers. Mon papa y avait un travail. A Borgerhout, aujourd’hui, il y a presque 40 pc de chômeurs. Près de 35 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. L’inburgering, c’est très bien. La Flandre s’est enfin dotée d’un système d’accueil. Mais sur le plan social, cela ne va pas."

Nous sommes allés voir Monica de Coninck, la présidente du CPAS et l’échevine des affaires sociales, pour tirer l’affaire au clair. C’est un tout autre discours que tient cette socialiste déterminée, en cinquième position sur la liste SP.A du Sénat. Elle reçoit dans un bel immeuble de la Lange Gasthuisstraat. "Moi", dit-elle, "je ne fais pas de différence entre les migrants et les gens qui sont nés à Anvers. Tout le monde doit avoir une chance. Je dis aux migrants: nous sommes prêts à vous aider mais vous, quels efforts pouvez-vous fournir ? L’inburgering est une sorte de contrat. Le plus important, c’est la langue. Car sans connaissance de la langue, vous ne pouvez pas a voir un travail, gagner de l’ar gent et vous occuper de vos enfants... Nous payons pour investir en vous."

Monica de Coninck a gagné sa réputation en réduisant de façon draconienne les dossiers d’assistance sociale, de 15000 lorsqu’elle devient la présidente du CPAS en 2001 à 8000 aujourd’hui. Sa politique est de chasser sans pitié les abus, pour aider ceux qui en ont vraiment besoin. Soixante pourcent de ses dossiers sont liés à l’immigration. La ville a innové en matière sociale, en lançant des programmes de maquillage pour mettre en valeur les femmes au chômage. Elle gère aussi quatre restaurants sociaux et un kotmadam pour les enfants d’immigrés souhaitant entreprendre des études supérieures.

"Nous avons été trop mous dans le secteur social en Flandre", dit l’échevine. "Mon souci est que le système de sécurité sociale n’explose pas et qu’il survive. Il faut que tous les gens qui ont des mains et des yeux travaillent. L’argent se gagne. Pour nos enfants, l’argent vient des murs, des Bancontact. Et la Belgique s’est fait la réputation d’un pays où on va à un guichet et on obtient de l’argent."

Anvers la cosmopolite, qui a grandi grâce à l’immigration et à son port, qui a ouvert son premier resto chinois en 1923, serait-elle en train de se raidir ? Ou au contraire, de se sauver ?

Source : Lalibre.be

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