jeudi 26 décembre 2024 20:00

«La migration de retour ne peut pas enclencher un processus de développement»

Entretien avec Jean-Christophe Dumont, économiste, expert en migrations internationales auprès de l’OCDE

Les chiffres récents montrent une forte aggravation du chômage dans de nombreux pays de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Quelle est la situation pour les travailleurs immigrés ?

Jean-Christophe Dumont : Ils sont plus touchés que la moyenne de la population par la détérioration conjoncturelle du marché de l’emploi. La crise a frappé durement des pays qui ont connu une forte migration ces dernières années, à l’image du Royaume-Uni, de l’Irlande, de l’Espagne, ou des États-Unis. Dans ces pays, beaucoup de migrants ont une faible ancienneté à l’intérieur d’une entreprise. Selon le principe du « dernier entré, premier sorti », ils sont plus exposés aux licenciements. Plus largement, le travailleur étranger est davantage soumis aux contrats précaires, voire à une certaine discrimination en matière de licenciement.

La crise a-t-elle un impact sur les politiques migratoires des pays touchés ?

Plusieurs États de l’OCDE ont pris des mesures pour restreindre l’accès des travailleurs étrangers à leur territoire. L’Espagne, l’Italie et la Corée du Sud ont réduit leur quota d’immigration de travail, parfois à zéro. Le Royaume-Uni et le Canada, entre autres, ont renforcé les contraintes pour renouveler les permis temporaires. La Suède a pris une décision à contre-courant en levant toutes les barrières à l’immigration de travail, pourvu que le candidat soit muni d’une offre d’emploi en bonne et due forme. Au-delà des mesures gouvernementales, le principal frein à l’immigration demeure la baisse des besoins en main-d’œuvre des entreprises de l’OCDE. En Irlande, les permis de travail hors pays membres de l’Union européenne ont ainsi été divisés par trois.

En quoi la récession pèse-t-elle sur les flux migratoires des travailleurs ?

On observe une baisse significative des mouvements de travailleurs dans les zones de libre circulation. À l’intérieur de l’Union européenne, par exemple, les flux migratoires ont chuté de près de 57 % au Royaume-Uni entre le deuxième trimestre de 2008 et de 2009. En Espagne, le nombre de Roumains a diminué sensiblement. Une fois chez lui, le travailleur roumain garde la possibilité de repartir vers son pays d’accueil, ce qui encourage à l’intérieur de l’espace européen une certaine mobilité.

Le phénomène est beaucoup moins visible chez les immigrés issus de pays extra-européens qui ont boudé les programmes d’aide au retour. En Espagne, 140 000 étrangers frappés par un licenciement se sont vu offrir la possibilité de rentrer dans leur pays d’origine tout en bénéficiant des allocations de chômage. Ils sont à peine 10 000 à avoir accepté. En République tchèque, l’aide au retour a bénéficié à 5 000 personnes, principalement des Mongols et des Vietnamiens. Quant aux retours spontanés, ils sont difficiles à mesurer, mais sont probablement peu affectés par la crise. D’une manière générale, on n’a pas constaté de retour massif de travailleurs.

La crise ne devrait-elle pas pourtant les inciter à regagner leur pays d’origine ?

On peut en douter. Primo, la récession affecte aussi les nations en développement. Secundo, la migration demeure, le plus souvent, un objectif à long terme. Elle s’inscrit dans un projet de vie. Une des motivations premières du migrant est d’offrir un avenir meilleur à sa famille, une situation plus sûre aux enfants, un accès au système scolaire performant. Rentrer au pays, c’est perdre cet objectif.


De plus, le candidat au retour s’expose à un départ définitif de son pays d’accueil : les titres de séjour dans les années à venir vont être de plus en plus difficiles à obtenir. Enfin, certains ont investi de l’argent dans l’immobilier, notamment en Espagne. Avec l’effondrement du marché, ce n’est pas le bon moment pour vendre. Quant à ceux dont le visa s’arrête, ils sont sûrement plus nombreux à prolonger leur séjour en situation irrégulière durant une période de récession, là encore, par peur de ne pouvoir jamais revenir.

Observe-t-on une chute des transferts financiers des travailleurs immigrés vers les pays en développement ou émergents ?

Ils ont diminué de 6 % sur l’ensemble de l’année 2009 par rapport à 2008, d’après la dernière estimation de la Banque mondiale. Les transferts ont baissé de moins de 2 % en Asie, 3 % en Afrique, 10 % en Amérique latine et 15 % en Europe. Cette diminution pourrait s’avérer plus importante que prévu. Le montant record de 338 milliards de dollars (235 milliards d’euros) de 2008 ne sera pas égalé avant plusieurs années et les pays en développement vont devoir vivre avec moins de transfert.

Le retour des immigrés peut-il profiter à leur pays d’origine ?

Quand les travailleurs rentrent contraints ou forcés, sans avoir mûri leur projet, il ne faut pas s’attendre à un impact significatif. À l’inverse, un immigré bien préparé qui veut investir dans un État où la situation économique s’est améliorée, comme cela a pu être le cas en Inde ou en Chine, accompagnera la croissance. En définitive, la migration de retour n’a pas un impact suffisant pour enclencher un processus de développement. Elle peut stimuler l’activité d’un pays lorsque les conditions économiques sont déjà favorables. Son apport demeure marginal d’un point de vue macroéconomique, malgré les réussites individuelles. 

Source : La Croix

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