lundi 25 novembre 2024 05:35

La migration est un avertissement lancé à la société

Selon les estimations, une personne sur sept dans le monde prend un jour ou l’autre le chemin de l’exil. Nombreux sont ceux qui n’arrivent jamais à destination ou sont accueillis dans l’hostilité.

Un rapport que je reçois deux fois par semaine relate une histoire tragique. Celle du nombre de migrants décédés – parce que les bateaux dans lesquels ils sont entassés par des passeurs sombrent en mer, parce qu’ils sont morts d’épuisement dans le désert ou, pire encore, parce que ceux qui les gardent en captivité – comme en Libye – les dépouillent de tout avant de les assassiner et de les enterrer dans des charniers.

Parfois, ils meurent loin de leur famille. D’autres fois, celle-ci est à leurs côtés, ou pas loin derrière. En 65 ans d’existence, l’Organisation internationale pour les migrations a accumulé de solides connaissances sur la question. Nous savons que, chaque fois que des migrants trouvent la mort au cours des voyages périlleux qu’ils entreprennent, nombre d’entre eux auraient pu échapper à leur sort s’ils avaient été informés des risques qu’ils couraient ou des possibilités d’une vie meilleure plus près de chez eux.

La pauvreté extrême, le changement climatique, des économies brisées et corrompues – caractérisées par d’énormes inégalités de revenus, un taux de chômage élevé chez les jeunes et une absence de perspectives – mettent en danger la vie de millions d’hommes, de femmes et d’enfants et les obligent à migrer. A cela s’ajoutent huit conflits à grande échelle dans diverses régions du globe, qui provoquent des déplacements internes et externes.

L’OIM, l’organisme des Nations Unies chargé des migrations, estime aujourd’hui qu’une personne sur sept dans le monde est un migrant – c’est-à-dire quelqu’un qui vit, travaille ou fonde une famille ailleurs que dans son lieu de résidence habituelle.

Douze décès par jour

Aussi nombreuses que soient toutes ces personnes, qui tentent tout simplement de vivre, trop de migrants meurent.

Le rapport que je reçois deux fois par semaine est établi par le Projet de l’OIM sur les migrants portés disparus, qui s’emploie à identifier tous les migrants morts, portés disparus ou « disparus » dont les déplacements ont pu être suivis par le personnel de l’Organisation dans les 165 pays où elle est présente. En 2016, pour la troisième année consécutive, le nombre de décès de migrants dépassera les 5.000.

Depuis trois ans, un peu plus d’une douzaine de migrants en moyenne meurent chaque jour. Autrement dit, un homme, une femme ou un enfant meurt toutes les deux heures. Ils sont autant à avoir péri chaque jour, cette année, en mer Méditerranée, le tronçon funeste d’une route qui relie la Libye à l’Italie.

Des centaines d’autres ont trouvé la mort, cette année, en traversant l’Afrique du Nord ou en se rendant au Moyen-Orient depuis l’Afrique de l’Est. Près de six cents migrants ont péri en tentant de gagner les Etats-Unis depuis l’Amérique latine et les Caraïbes. A ce jour, 6.226 personnes ont perdu la vie sur ces routes migratoires en 2016. Encore ne s’agit-il là que des décès connus. Bien d’autres ne sont pas comptabilisés.

Un accueil glacial

Nous devons examiner attentivement ce nombre effroyable de morts, ainsi que l’accueil glacial qui, de plus en plus, est réservé aux migrants. La migration, un phénomène qui ne date pas d’hier, est le fait de familles qui, souvent, empruntent aujourd’hui la même voie que, des décennies plus tôt, nos parents et nos grands-parents.

Exprimer du chagrin, de l’horreur ou de la culpabilité n’a plus aucun sens. Il nous faut admettre que la migration est bien la tendance de fond de notre époque. Une tendance qui a mobilisé l’attention de l’opinion sur ce phénomène et a placé la migration en tête des priorités de tous les gouvernements.

Les images d’innombrables migrants sur les routes ou secourus en mer, qui alimentent des politiques outrancières, ne disent pas tout. L’augmentation du nombre de morts enregistrés au Sahara, en Méditerranée, dans les Caraïbes ou en Amérique latine, par exemple, doit être considérée comme un premier avertissement de ce qui nous attend, alors que des pressions démographiques, politiques et sociales, qui débouchent souvent sur des conflits, poussent de plus en plus de personnes à migrer.

Modifier l’image négative

Malgré les apparences et les biais médiatiques, la migration n’est pas nécessairement synonyme de chaos ou d’invasion. Il ne s’agit pas d’un fléau menaçant, s’apprêtant à contaminer notre culture. La campagne « ENSEMBLE », lancée en septembre dernier par le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, lors du Sommet des Nations Unies pour les réfugiés et les migrants, a pour objectif de parvenir à un monde ouvert à la diversité en modifiant l’image négative des réfugiés et des migrants, ainsi que les attitudes délétères à leur encontre.

Les bouleversements qui secouent nos politiques, loin de nous affoler, devraient nous inciter à nous préparer. Nous devons façonner l’avenir au lieu de l’ignorer, en acceptant le caractère inévitable de la migration, en modifiant l’idée que se fait le public des migrants et en veillant à mieux les intégrer dans nos sociétés.

On assiste aujourd’hui à une véritable révolution démographique, qu’il nous appartient de gérer dans l’intérêt général. La plupart des migrants veulent tout simplement qu’on leur donne une chance, même temporaire – par exemple, un visa de courte durée pour suivre des études ou effectuer des travaux agricoles – afin qu’ils puissent améliorer la vie de leur famille restée au pays.

En bénéficiant d’un soutien adéquat, ceux qui restent apporteront une contribution, économique ou culturelle, à toute société dans laquelle ils s’installent. Il importe de nouer des partenariats entre les migrants, les communautés d’accueil et les gouvernements, afin de stimuler les avantages qu’offre leur présence dans le pays.

19 décembre 2016, William Lacy Swing

Source : lesoir.be

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