mardi 26 novembre 2024 05:27

La résistible ascension du Front national

Tandis que l'extrême droite achève sa réhabilitation dans l'espace politique, ses idées se sont enracinées dans l'opinion. Elles deviennent un bruit de fond auquel nous sommes en train de nous habituer. Pour reprendre la formule de Bertolt Brecht, cette ascension est cependant "résistible".

Le cœur de la pensée politique de l'extrême droite est la stigmatisation d'un ennemi intérieur que la Nation doit combattre en retrouvant son identité pour sortir du déclin. En France, sa dernière incarnation au pouvoir fut le régime de Vichy : les juifs, les francs-maçons et la classe politique républicaine étant tenus pour responsables de la débâcle de 1940, la France devait se redresser par la Révolution nationale et son triptyque "Travail, Famille, Patrie".

Du fait de son association d'alors avec l'extermination des juifs d'Europe, il lui aura ensuite fallu un demi-siècle pour retrouver une audience dans l'opinion, en remplaçant progressivement le juif par l'Arabe dans son canevas idéologique. Il lui reste cependant à estomper de la mémoire collective sa filiation pétainiste pour achever sa réhabilitation. Le récent retournement dialectique de Marine Le Pen, assimilant les prières de rue musulmanes à une occupation et son propre camp à la résistance, et sa stigmatisation de l'islam sous couvert de laïcité républicaine, sont à cet égard éloquents.

Parallèlement, les idées de l'extrême droite se sont enracinées dans l'opinion. Selon le baromètre politique français effectué par l'IFOP en 2007, un électeur sur deux estime qu'il y a trop d'immigrés en France, dont un tiers des électeurs de gauche, un électeur du centre sur deux et les deux tiers des électeurs de droite. Selon le panel électoral français effectué par la Sofres en 2002, un quart des électeurs croit à l'existence d'une hiérarchie des races, dont un électeur de gauche sur cinq, un quart des électeurs du centre et un tiers des électeurs de droite.

Par ailleurs, les trois quarts des électeurs ont une image négative de l'islam, dont sept électeurs de gauche sur dix, les trois quarts des électeurs du centre et quatre électeurs de droite sur cinq. Enfin, trois électeurs sur dix jugent que les juifs ont trop de pouvoir en France, dont un électeur de gauche sur cinq, trois électeurs du centre sur dix et un tiers des électeurs de droite.

LAISSER LE FN ENTRER DANS LE DÉBAT PUBLIC

Cette situation appelle une stratégie résolue de délepénisation, conduite avec sang-froid plutôt que dans un registre émotionnel. Paradoxalement, il faut d'abord laisser pleinement le Front national entrer dans le débat public : les deux tiers des sondés de 2007 n'ayant confiance ni dans la gauche ni dans la droite pour gouverner le pays, l'en tenir à l'écart lui offre le statut avantageux de parti antisystème.

Il faut ensuite déconstruire le mythe du péril immigré en mettant en avant des informations peu relayées : par exemple, selon l'étude dirigée en 2010 par Xavier Chojnicki pour le ministère des affaires sociales, le solde entre ce que l'Etat reçoit et verse aux immigrés est positif de 12,4 milliards d'euros en faveur de l'Etat. Il faut en outre assumer dans le débat public que compte tenu du vieillissement de sa population, la France a en fait besoin d'immigration pour que son système de retraites et d'Assurance-Maladie reste viable à long terme.

Il faut par ailleurs faire l'effort de démontrer l'inaptitude du Front national à gouverner : par exemple, son programme propose la suppression de l'impôt sur le revenu, qui représente un cinquième des ressources de l'Etat, et celle de la CSG, qui finance 17 % de la sécurité sociale. Enfin, il faut combattre vigoureusement les mouvements communautaristes et de fait antirépublicains, minoritaires parmi les immigrés mais qui permettent à l'extrême droite de stigmatiser l'ensemble de ces derniers.

Léopold Sédar Senghor disait que "les racistes sont des gens qui se trompent de colère". Réciproquement, ne nous trompons pas de riposte.

Thomas Guénolé, doctorant en science politique, secrétaire général du Club Jade (think-tank centriste)

14/1/2011

Source : Le Monde

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