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La situation des migrants irréguliers de passage par Maghnia est catastrophique. Un récent rapport du Réseau euro-méditerranéen des droits de l'Homme (REMDH) présente cette ville frontalière avec le Maroc comme un « décevant lieu de retour pour de nombreux migrants et réfugiés lorsqu'ils sont expulsés, ou dont ils repartent pour tenter de poursuivre leur itinéraire ».
Elaboré suite à deux missions de terrain à Maghnia et dans sa périphérie entre novembre 2012 et juin 2013, le rapport du REMDH s'est intéressé aux sévices infligés par les autorités algériennes, à l'accès, à l'assistance, aux conditions de vie, de travail et de santé, ainsi qu'à la situation particulièrement fragile des femmes et des mineurs.Selon les rédacteurs du rapport, les migrants installés à Maghnia et sa périphérie vivent de façon très précaire sur plusieurs plans : logements inadaptés, mauvaises conditions d'hygiène et difficultés d'accès à de véritables soins médicaux.
Pour certains migrants, le problème le plus urgent est celui du manque de logements adaptés. Plusieurs d'entre eux seraient prêts à payer pour une chambre dans une maison ou dans un hôtel en ville, mais les propriétaires les refusent au titre de leur statut de «clandestins»
Le REMDH a relevé que les habitants vivant hors de la ville manquent d'équipements et de confort élémentaire. La situation se précarise davantage à l'arrivée de l'hiver, car certaines communautés ne disposent pas de vêtements adaptés pour se protéger du froid, ni de réservoirs de combustible pour se chauffer ou cuisiner.
Les migrants installés dans les vallons des alentours de la ville vivent sous des tentes de fortune ou des abris naturels – essentiellement de petites grottes qui ont été déblayées par les migrants eux-mêmes. Les tentes sont faites de linge ou d'autres matériaux et sont souvent couvertes de sacs en plastique pour les protéger de la pluie.
Les conditions d'hygiène sont d'une façon générale très sommaires, puisque la plupart des migrants n'ont pas d'accès direct à l'eau, sauf dans les camps proches de la ville.
Les communautés migrantes situées dans la périphérie de Maghnia n'ont pas la possibilité de se rendre librement en ville pour s'y procurer de la nourriture ou des biens de première nécessité. Certains ont signalé qu'une petite boutique – tenue par un Algérien et sa famille – est commodément établie à quelques centaines de mètres des plus importants ghettos. Les migrants peuvent y acheter des pâtes, du riz, de la farine, du pain, de l'huile, de la sauce tomate, divers types de boissons et quelques autres produits. Ils peuvent aussi se procurer et remplir des bidons d'eau pour les besoins de leur campement. La boutique propose aussi un petit éventail d'articles d'hygiène (shampoing, gel douche) et quelques kits de premiers secours (désinfectant, sparadrap). On y trouve également des couvertures et des vêtements de seconde-main, le tout de très mauvaise qualité.
Concernant le volet emploi, même si le document du REMDH a relevé que l'emploi est relativement accessible, il constate que les conditions de travail restent extrêmement précaires et les employeurs se livrent régulièrement à des abus envers les travailleurs migrants. Cela se traduit par le refus de payer les salaires convenus et par la décision arbitraire de les baisser comme bon leur semble. Si les migrants protestent et se plaignent, les employeurs appellent ou menacent d'appeler la police.
En outre, conserver l'argent gagné s'avère être la tâche la plus ardue pour les migrants qui doivent se méfier de leurs employeurs, d'autres membres de la communauté migrante et surtout de la police.
Les contrôles policiers et les expulsions vers le Maroc sont également pointés par le rapport du REMDH. Selon ce dernier, ils sont en général exécutés par la police algérienne des frontières ou par la gendarmerie nationale souvent très tôt le matin. Ils peuvent avoir lieu toutes les semaines, en fonction de l'ampleur de l'opération et des forces de police mobilisées.
Les migrants et les réfugiés témoignent de deux types d'interventions de la part de la police. L'une est légère, menée habituellement par la police des frontières en petit effectif, et consiste à vérifier les identités, éventuellement à fouiller les migrants, à confisquer les objets de valeurs puis repartir. L'autre est beaucoup plus agressive et à plus grande échelle, généralement dirigée par la gendarmerie de Tlemcen avec jusqu'à 40 officiers et l'utilisation de pick-up 4x4. Elle aboutit fréquemment à des arrestations massives, à des fouilles approfondies, à des vols, éventuellement à des coups et à des expulsions. Cela effraie terriblement les migrants vivant dans les camps, les laissant dans un climat d'insécurité permanent.
Lors de ces raids, un certain nombre de Subsahariens ont rapporté que, à plusieurs occasions, la gendarmerie a littéralement assailli les camps et y a tout brûlé, des installations précaires aux effets personnels de ceux qui vivaient là.
Pourtant, le rapport a tenu à préciser que la situation des migrants subsahariens à Maghnia est loin d'être un problème local, c'est un exemple des flagrantes violations des droits de l'Homme exercées dans la zone euro-méditerranéenne à l'égard des migrants et des réfugiés.
Pour les rédacteurs du rapport, l'Algérie et le Maroc ne peuvent plus nier être au carrefour d'itinéraires migratoires majeurs et doivent assumer leur rôle de pays d'accueil pour les migrants et les réfugiés. L'UE est également concernée via sa coopération institutionnelle relative à la migration entre les deux rives de la Méditerranée qui risque d'affaiblir davantage la protection des migrants et des réfugiés présents dans la région.
21 Décembre 2013, Hassan Bentaleb
Source : Libération