mardi 26 novembre 2024 13:26

Le désespoir des candidats à l'exil oubliés en Thaïlande

Préférant la mort à une expulsion vers sa Chine natale, Dong Junming a pris la mer sur un bateau de fortune pour une improbable odyssée vers la Nouvelle-Zélande. Il est l'un des nombreux candidats à l'exil qui se retrouvent en Thaïlande, plaque-tournante de l'immigration en Asie.

"J'étais désespéré et effrayé", explique cet homme de 52 ans interrogé par l'AFP après l'échec de sa fuite avec huit autres Chinois, la plupart membres comme lui du mouvement spirituel Falun Gong. Ce mouvement est interdit en Chine depuis 1999, quand 10.000 adeptes avaient encerclé le siège du parti communiste chinois à Pékin, la plus grande manifestation depuis Tiananmen en 1989.

Le 1er mars, Dong Junming a pris la mer non loin de la station balnéaire thaïlandaise de Pattaya. Mais face à une mer démontée, il n'est pas allé bien loin avec ses coéquipiers sans expérience de navigation: ils ont échoué sur une petite île où les forces de l'ordre thaïlandaises les ont découverts. Et quatre membres du groupe ont été placés en détention, dont un enfant, pour défaut de visa valide.

Leur avenir? Vraisemblablement un placement en centre de détention où des centaines de migrants attendent, certains pendant des années, dans des conditions critiquées par les ONG, l'éventuel sésame d'un pays les acceptant comme réfugiés.

Offres d'accueil au compte-gouttes

Car la Thaïlande ne reconnaît pas légalement le statut de réfugié et n'offre pas l'asile, comme de nombreux pays d'Asie.

Depuis l'arrivée au pouvoir en Thaïlande d'une junte militaire en 2014, les contrôles ont été renforcés, avec leur lot d'expulsions et de détentions dans des conditions insalubres.

Et après la découverte en mai 2015 de charniers de candidats à l'exil abandonnés dans la jungle par leurs passeurs, la junte a juré de rester inflexible. Avec des conséquences sur la vie de ceux qui continuent d'arriver chaque jour du Pakistan, de Birmanie ou de Chine, comme Dong Junming.

Le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (UNHCR) tente de trouver des pays acceptant d'accueillir ces milliers de migrants, mais les offres se font au compte-gouttes.

Les critiques émises par la communauté internationale n'y changent rien: depuis l'an dernier, Bangkok pratique les expulsions en masse, et les Chinois concernés se retrouvent dans une situation particulièrement précaire.

Parmi eux figurent en effet des dissidents ou des membres de minorités religieuses menacés d'emprisonnement une fois de retour en Chine. En juillet 2015, la Thaïlande a ainsi expulsé par avion plus de cent de Ouïghours, minorité musulmane qui se dit persécutée en Chine.

"Tout le monde doit respecter la loi thaïlandaise, y compris les demandeurs d'asile", tranche Nathathorn Prousoontorn, commissaire de la police de l'immigration, interrogé par l'AFP.

'Good guys in, bad guys out'

Il est l'ardent défenseur d'une nouvelle mesure qui s'inscrit dans une campagne de communication intitulée "Good guys in, bad guys out" ("les bons dedans, les méchants dehors") visant plus largement les étrangers qui séjournent en Thaïlande avec un visa expiré: cette mesure prévoit qu'un séjour illégal de moins d'un an entraîne une interdiction de séjour de cinq ans. Elle entre en vigueur ce dimanche.

Dans le cas des demandeurs d'asile, les chances d'être autorisé à attendre un transfert vers un pays tiers en dehors d'un centre de détention sont maigres.

Le coup est difficile à encaisser pour Lisa Zhang, une autre réfugiée chinoise adepte du Falun Gong dont le mari, en détention, était à bord du même bateau que Dong. "S'il est renvoyé en Chine, ce sera pire que la mort", explique-t-elle à l'AFP, au bord des larmes.

Jusqu'à son départ désespéré en mer, Dong avait joué le jeu de la demande classique de statut de réfugié. Mais alors qu'il était arrivé en 2014 avec un visa en règle, il n'avait toujours pas franchi deux ans plus tard l'étape du premier entretien avec l'UNHCR, débordé par 7.000 demandes à traiter.

"Nous ne pouvons pas aider tout le monde, nous devons donner la priorité aux personnes les plus vulnérables", explique Vivian Tan, porte-parole de l'UNHCR à Bangkok.

Depuis deux ans, avec toute sa famille, Dong avait mis sa vie en suspens: il était interdit de travailler en Thaïlande faute d'avoir le visa approprié et ses enfants étaient déscolarisés.

"Je me sens très seule", explique Amity, sa fille de 17 ans, qui passe ses journées dans le petit appartement qu'ils louent dans une banlieue lointaine de Bangkok.

Au total, les demandeurs d'asile en Thaïlande sont de plus de 50 nationalités, les Pakistanais - notamment chrétiens - formant le gros des troupes.

Ils sont confrontés à des procédures administratives labyrinthiques, dont certains se sortent au bout de quelques mois, quand d'autres attendent des années.

Seul 1% des candidats obtiennent finalement le statut de réfugiés dans un pays tiers.

Après deux ans à Bangkok, Lisa perd espoir. "Mon mari était prêt à risquer sa vie pour faire savoir ce qui se passe ici - que nous sommes oubliés par le monde", dit-elle.

20 mars 2016,Sally Mairs

Source : AFP

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