samedi 30 novembre 2024 04:56

Le sort des enfants étrangers isolés en France

La France grelotte et s’inquiète sur son avenir économique. Dans tous les sens du terme, elle se calfeutre ; tournée sur elle-même, elle en oublie souvent de s’attacher à des problématiques sociales récurrentes. Le sort auquel sont voués les quelques 5 à 6 milliers jeunes qui arrivent quotidiennement de l’étranger pour y gagner leur vie et faire vivre leur famille n’intéresse guère. Ils préoccupent d’autant moins qu’ils ne posent pas de véritables problèmes d’ordre public.

Pour autant, depuis des années, les conseils généraux appellent l’attention de l’Etat sur la charge financière que représentent l’accueil et le suivi de ces jeunes, le temps de leur minorité, puis comme éventuellement comme jeunes adultes jusqu’à 21 ans.

Il a fallu que le conseil général de la Seine Saint-Denis décide en septembre 2011 de refuser de recevoir les jeunes confiés par les magistrats en violant ainsi délibérément la loi et qu’en réaction l’Etat devienne lui aussi tout aussi irrespectueux des décisions de justice, pour que le débat soit vraiment mis, un temps, sur la place publique. Les associations de militants ou de professionnels tentent bien d’entretenir la flamme en appelant plus que jamais à une réponse globale et cohérente qui associe dans l’intérêt des jeunes et aussi du pays, les responsabilités  publiques - Etat et collectivités locales – et privées.

Mais le dossier est sulfureux. Comment l’opinion publique va-t-elle réagir dans cette période de crise économique ? Ne va-t-on pas faire appel d’air à toute la misère du monde quand, déjà, les filières jouent de nos dispositions favorables aux enfants qui interdisent leur expulsion et les tiennent pour être en danger faute de parents présents sur le territoire ? Comment concilier nos réponses avec celles des autres pays européens confrontés aux mêmes difficultés, voire à plus grave (conf. l’Italie), sur une question qui vaut pour l’Europe, mais aussi pour l’Amérique du Nord, sinon pour l’Australie, quand les pays les plus pauvres ou en difficulté envoient leurs enfants vers les zones plus favorisées ? Bref, le sujet est infiniment politique et délicat à traiter. Un mot d’ordre est largement partagé chez les politiques depuis le début ders années 90 : il est urgent de ne pas se presser !

Rayon de soleil dans un ciel gris, Mme Taubira, très tôt alertée sur l’acuité des difficultés rencontrées par de nombreuses juridictions s’apprête après concertation avec l’Association des départements de France – une première sur le sujet – à offrir à chacun un cadre de référence à travers des instructions données au parquet.

Certes on peut tout de suite affirmer de ce que l’on en sait que tout ne sera pas résolu avec cette circulaire. Par exemple, la question controversée de la présence d’enfants dans les zones d’attente à leur arrivée de l’étranger sans être accompagnés restera pendante. Pour le moins un dispositif national sera adopté pour les jeunes personnes présentes en France dont on peut attendre qu’il leur offre plus de garanties, mais également qu’il clarifie les responsabilités des institutions et des professionnels de la protection de l’enfance aujourd’hui souvent déboussolés et dans l’insécurité comme ces fonctionnaires de la PJJ qui entendent leur directeur Jean-Louis Daumas affirmer haut et fort la responsabilité du ministère de la justice sur ce dossier, mais se voient interdire comme à Bobigny d’intervenir pour aider ces jeunes. Une fois de plus il est avéré que les étrangers rendent fous et nous poussent dans des contradictions extrêmes ! Il est temps d’en sortir pour redevenir nous-mêmes conformes aux valeurs et au cadre juridique qui nous gouvernent.

Voyons le bon côté des choses pour éclairer les conditions à réunir pour obtenir une avancée réelle.

Les instructions que s’apprête à signer la ministre présentent plusieurs avancées.

D’abord dans le fait d’exister. Depuis des années nous demandons que l’Etat assume son rôle de pilote sur ce dossier, encore récemment à M. Mercier, garde des Sceaux. En vain jusqu’ici. On en oublierait que nous sommes dans une République une et indivisible avec un Etat appelé à donner de la cohérence aux politiques territoriales surtout quand les enjeux sont nationaux. Or c’est bien la France, et pas tel département, qui accueillie ces jeunes ; c’est bien la France qui doit assumer leur départ ou  a intérêt à les intégrer au mieux s’ils sont doivent rester en France; c‘est bien la France patrie autoproclamée des droits de l’Homme qui rend des comptes à la communauté internationale ! Bref, décentralisation, oui ; incohérence et injustice dans l’application de la loi et l’accès aux droits, non. La future circulaire Taubira trahira un courage politique que ses prédécesseurs n’ont pas eu !

Deuxième point positif : elle réaffirmera le rôle conjoint et complémentaire de l’Etat et des collectivités locales, là encore comme nous y appelions avec le rapport Landrieu (2004) quand trop longtemps – M. Pasqua en tête rappelant en 1996 au conseil général de la Seine Saint Denis que touchant les royalties de Roissy il se devait d’assumer les enfants qui y arrivaient tous les jours !(1) – certains opposaient l’Etat et les conseils généraux. La responsabilité sur ces enfants est conjointe.

L’Etat est responsable car il surveille les frontières et délivre les titres de séjour ou fait réacheminer les étrangers indésirables ; il veille aux sans domicile fixe ; à travers la police et la justice, il supervise le dispositif de protection de l’enfance, voire il est en responsabilité pour les enfants en danger ou délinquants.

Les conseils généraux sont plus que jamais - loi du 5 avril 2007 - le chef de file de la protection de l’enfance : ils ont des compétences d’initiative pour venir en aide aux enfants en danger ou en risque de l’être ; ils sont prestataires de service jusqu’aux 18 ans du mineur de la justice, jusqu’à 21 ans ils peuvent répondre aux demandes des jeunes majeurs. Il s’agit donc en l’espèce de mettre à l’abri, d’observer et d’orienter puis de prendre en charge des mineurs en danger pour être sans famille présents en France qui cherche à échapper aux persécutions ou confits dans leur pays ou plus généralement viennent ici gagner leur vie. Des dispositions spécifiques, très politiques,  adoptées dans la loi du 5 avril 2007 dans un temps où la bataille de compétence faisait rage, visaient en mettant en avant les conseils généraux visaient à décharger l’Etat.

Or il est important pour les conseils généraux que l’Etat n’apparaisse pas comme se défaussant sur eux. Il est d’autant plus facile d’y répondre que déjà  l’Etat intervient pour ces mineurs (police, justice, financements de dispositif comme le Lieu d’accueil et d’orientation de Taverny de la Croix rouge Française ou le Centre d’accueil et d’orientation des mineurs demandeurs d’asile de France Terre d’asile. Les Conseils généraux souhaiteraient ici comme dans d’autres domaines qu’il en fasse plus. Ce débat financier et politique dépasse de loin les MIE ! Dans le contexte actuel, on peut craindre que les Conseils généraux ne trouvent pas dans les déclinaisons des instructions Taubira l’abondement attendu du Fond de péréquation aux départements à hauteur de leurs dépenses d’aide sociale à l’enfance consacrées aux enfants étrangers. Je rappellerai au passage que le budget national aggloméré de l’ASE est de 6 milliards 2 l’an quand ce fonds créé avec la loi de 2007 de quelques dizaines de millions d’euros ! On voit bien que la demande d’aide financière des départements pour réelle est symbolique pour bien marquer que l’Etat les entend et fait quelque chose

Troisième qualité du dispositif à venir : instaurer une répartition de la charge des MIE sur l’ensemble des départements de France, pas seulement sur ceux qui les accueillent en première intention pour être proches des frontières. Cela peut être une péréquation financière ou une répartition dans les accueils.

C’est là que le bât risque de blesser si, comme on l’entend, le ministère prend pour modele le dispositif adopté fin 2011 pour soulager la Seine Saint-Denis.

On doit certes approuver le souci de ne pas mettre ne place une filière spécifique « enfants étrangers » pour ces jeunes qui ont vocation pour beaucoup à devenir des enfants de France. On doit prendre en compte leurs spécificités à l’arrivée  la non-maîtrise de la langue, des parcours souvent durs, une séparation familiale lourde, le changement de société et de mode de vie, les interrogations sur l’avenir, etc.). Tous les établissements ne peuvent pas réunir les personnels pour répondre à ces originalités. Pour autant il faut faire attention à ne pas créer de structures lourdes n’accueillant que ces enfants. On risque de constituer des ghettos avec des jeux communautaires comme ce fut le cas à Sangatte. A l’inverse on sait que les premiers problèmes gérés ces jeunes demandeurs d’école et de travail sont les leaders positifs des structures qui les accueillent.

On approuvera donc l’idée d’une mobilisation nationale avec ce qu’elle permet au plan institutionnel et financier : une répartition sur tous les départements de France qu’ils accueillent ou non des enfants.

Reste que l’expérience de ces quasi derniers 18 mois appelle à des observations qui doivent être prises en compte car derrière le dossier il y a un enfant.

1° Il faut que les Conseils généraux, par-delà l’accord négocié avec l’ADF, jouent vraiment le jeu et veille à ce que leurs services le jouent également. Combien de mineurs précipités ces deniers mois dans les conseils généraux récalcitrants en paient encore le prix ? Au mieux ils ont été hébergés, mais leur situation n’a pas été traitée. Ils sont sans papiers à leur majorité. Le jour de leur majorité ils ont été laissés à livrés à eux –mêmes et voués à la rue. Expulsables ils devront se cacher. On a mis en place une machine à clandestins.

D'autres départements, purement et simplement, refusent de jouer le jeu et violent toujours la loi en ne n’appliquant pas les décisions de justice. Ainsi actuellement six jeunes sont à la PMIE de Bobigny depuis plusieurs mois quand ils devraient sur ordre du parquet de Bobigny être accueillis dans tel département de la proche banlieue de Paris. Ils attendent à l’hôtel que la situation se décante. Hors l’horloge tourne pour leur socialisation ; leur régularisation. Les 18 ans les guettent. Quelle protection leur est réellement apportée ?

2) On doit s’interroger sur le fait que les parquets soient demain les gestionnaires de ce dispositif à l’image aujourd’hui du parquet de Bobigny pour la Seine Saint-Denis. La suggestion de la cellule nationale le procureur du lieu de la « découverte » fera accompagner les jeunes munis d’une ordonnance vers l’établissement retenu où il sera remis. Qui expliquera au jeune les termes de sa situation notamment qu’un droit au séjour ne lui est pas acquis, que l’ASE s’arrêtera  possiblement à 18 ans et qu’en tous cas il leur faut être autonome avant 21 ans. Qui leur expliquera l’éventuelle perspective d’une délégation d’autorité parentale ou les limites d’une demande d’asile. Va-t-on continuer à les gérer comme de paquets qu’on dépose dans des foyers quand depuis des années nous avions le souci que les jeunes de France accueillis s ne soient plus placés comme des objets ? Un juge doit les recevoir éventuellement avec un administrateur ad hoc. D’abord un juge des enfants pour veiller à leur protection physique, puis un JAF pour leur protection juridique

3) Pour ceux qui seront refoulés du dispositif pour être tenus pour majeurs ou ne relevant pas du département qui les informera et sous quelle forme des recours ouverts ? Quels avocats seront accessibles pour leur faire rendre justice s’ils ont raison ? On aimerait être rassuré.

Autant d’interrogations auxquelles nous n’avons pas encore réponse, mais essentielles pour rester véritablement dans le droit commun comme le souhaite, à juste titre, le ministère de la justice. En effet il ne faudrait pas que les réponses apportée aux enfants étrangers isolés nous fassent régresser et débouchent sur une caricature de justice qui prendrait ses distances du contradictoire, de la défense et des recours pour n’être qu’une justice caution d'une gestion administrative d'un dossier patate chaude.

(1)   Charles Pasqua : « Les avantages liés à l’implantation d’un aéroport international compensent largement les inconvénients de l’accueil des mineurs étrangers » in Claude Roméo, Les départements et les mineurs étrangers, JDJ 285, mai 2009

24/2/2013, JP Rosenczveig

Source : Le Monde

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