lundi 25 novembre 2024 07:50

"Les Bridés" se produisent devant la justice américaine

La Cour suprême des Etats-Unis avance mercredi sur le terrain miné du vocabulaire considéré comme raciste, en examinant la validité de l'interdiction faite à un groupe de rock, "The Slants" ("Les Bridés"), de déposer officiellement son nom.

Cette affaire juridiquement pointue intéresse directement les Redskins ("Peaux rouges"), l'équipe de football américain de Washington, soumise aux mêmes restrictions en raison de son appellation connotée.
Les débats impliquent surtout le sacro-saint Premier amendement de la Constitution, celui qui protège la liberté d'expression, et le Bureau américain des brevets et marques commerciales (USPTO), considéré comme le plus important du monde. Les enjeux sont donc élevés.

Principalement connu dans les milieux alternatifs de la côte ouest des Etats-Unis, le groupe "The Slants" est une formation musicale composée de quatre Américains d'origines asiatiques.

Quand son fondateur, Simon Tam, a voulu faire enregistrer le nom du groupe à l'USPTO, il a essuyé un refus au motif que l'expression était désobligeante.

Le mot "slant", affirme l'avocat du Bureau des marques commerciales, "est un terme négatif faisant référence à la forme des yeux de personnes d'origine asiatique", qui est "utilisé depuis longtemps pour railler et se moquer d'une caractéristique physique".

L'artiste militant soutient au contraire que récupérer le terme de façon décalée permet d'en expurger la teneur raciste, comme les rappeurs noirs ont repris à leur compte le mot extrêmement péjoratif de "Nigger" ("nègre").

Au final, assure Simon Tam, "bridé" peut même servir à "se présenter de façon positive, en promouvant une prise de conscience et une fierté culturelles".

Les quatre garçons de Portland (Oregon), qui jouent ensemble depuis plus de 10 ans, aiment d'ailleurs brandir comme un étendard leurs racines ethniques. N'ont-ils pas sorti un "Album jaune", clin d'oeil au fameux "Album blanc" des Beatles ?

Simon Tam et ses compères sont notamment soutenus par l'ACLU, la grande association américaine de défense des libertés, et par l'US Chamber of Commerce, un lobby patronal.

On trouve aussi dans le camp des rockeurs l'organisation "Dykes on bikes" ("les Gouines à moto"), qui ont obtenu d'enregistrer leur nom après cinq ans de lutte devant les tribunaux. Ces motardes lesbiennes poursuivent actuellement leur combat pour obtenir un logo.

Le gouvernement américain, lui, défend officiellement la position de l'USPTO.

Il a toutefois émis des signaux contradictoires concernant "The Slants": le ministère de la Défense a envoyé le groupe jouer pour les troupes en Bosnie-Herzégovine et au Kosovo; et un titre des "Bridés" a été choisi par la Maison Blanche pour figurer dans une compilation contre les harcèlements parrainée par le président Barack Obama.

Avec ce dossier, la Cour suprême des Etats-Unis va en tout cas une nouvelle fois décider d'étendre ou de limiter les frontières de la liberté d'expression.

Ces dernières années, la haute cour a protégé au nom de ce principe le fait de brûler le drapeau américain, ou des vidéos montrant des individus écrasant des petits animaux par fétichisme sexuel.

A l'opposé, l'USPTO a débouté au nom du respect des musulmans un marchand de vin libanais qui voulait utiliser la marque "Khoran" et a refusé d'enregistrer "Porno Jesus", une initiative qui se présentait comme de la production pornographique avec des valeurs chrétiennes.

On connaîtra d'ici fin juin le sort des "Bridés", qui se surnomment "Le-Groupe-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom", en référence à Lord Voldemort de la saga Harry Potter.

Dans une vidéo publiée sur les réseaux sociaux, Simon Tam trouve ironique que l'audience devant la Cour suprême ait été programmée à l'avant-veille de l'intronisation de Donald Trump à la Maison Blanche.
"Nous doutons qu'il agira pour le bien du pays, surtout en termes de liberté de parole et de législation sur les marques", confie-t-il.

18/01/2017

Source : AFP

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