La première place obtenue par le Front national en France a marqué les élections européennes bien au-delà des frontières de l'Hexagone dimanche, mais le vote protestataire et anti-européen a progressé dans beaucoup d'autres pays touchés par l'austérité et un chômage élevé.
En Grande-Bretagne, le Parti de l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP) de Nigel Farage, qui prône une sortie immédiate de l'UE, a lui aussi bouleversé l'échiquier politique et s'oriente vers sa première victoire à une élection nationale. ( )
En France, où une réunion de crise s'est tenue lundi matin à l'Elysée autour de François Hollande, le Premier ministre, Manuel Valls, a estimé que la victoire du FN, crédité de 26% des voix - cinq points de plus que l'UMP et 12 de plus que le Parti socialiste -, était "un choc, un séisme (...) pour la France et pour l'Europe". ( )
Pour Marine Le Pen, la présidente du FN, "le peuple a parlé haut et clair (...) Il ne veut plus être dirigé du dehors, se soumettre à des lois qu'il n'a pas votées, ni obéir à des commissaires qui ne se sont pas soumis à la légitimité du suffrage universel."
Une participation faible (43,1% à l'échelle de l'Union) a favorisé dans bon nombre d'Etats membres les partis d'extrême droite et de la gauche radicale, même si en Allemagne, en Italie et en Espagne, les partis au pouvoir l'ont emporté.
Si les eurosceptiques semblent en passe de doubler leur nombre de sièges au Parlement européen, ils n'empêcheront pas la droite et la gauche social-démocrate de conserver le contrôle de l'assemblée.
Sur la base des dernières projections officielles, le Parti populaire européen (PPE), où siègent notamment les députés européens de l'UMP française, de la CDU allemande et du Parti populaire espagnol, arrive en tête avec 212 des 751 sièges du futur Parlement.
"Le PPE est en train de gagner les élections européennes. Et il revendique donc la présidence de la Commission européenne", a déclaré sur son compte Twitter Jean-Claude Juncker, le candidat du bloc pour la présidence de l'exécutif communautaire.
QUEL PROFIL POUR LA FUTURE COMMISSION ?
L'ex-président de l'Eurogroupe et ancien Premier ministre luxembourgeois a également souligné que le conseil européen devrait respecter l'issue des élections au moment de désigner le successeur de José Manuel Barroso à la présidence de la Commission.
"Si les dirigeants ne respectent pas le principe selon lequel ils doivent choisir un des candidats, c'est leur problème", a-t-il dit.
Les chefs d'Etat et de gouvernement des Vingt-Huit se réuniront pour un dîner informel mardi soir à Bruxelles pour tirer les premières conséquences de ce scrutin continental et engager des discussions sur le profil de la future Commission.
Le Parti socialiste européen (PSE) est quant à lui crédité de 186 sièges. Son candidat à la succession de Barroso, l'Allemand Martin Schulz, a déploré "une sale journée pour l'Union européenne quand un parti avec un programme raciste, xénophobe et antisémite obtient 24 à 25% des voix en France".
"Mais ces électeurs ne sont pas des extrémistes, ils ont perdu confiance, ils ont perdu espoir", a-t-il dit.
Le président du Parlement européen sortant a également refusé de concéder sa défaite. "Une chose est claire: le PPE va perdre 60 sièges au Parlement. Et une seconde chose est aussi claire: sans accord avec l'aile socialiste et démocrate du Parlement, aucune majorité n'est possible."
L'alliance hétérogène des eurosceptiques et des europhobes obtiendrait dans son ensemble jusqu'à 141 élus mais se présente en ordre dispersé. Or, pour constituer un groupe politique au Parlement, il faut réunir un nombre minimal de 25 députés issus d'au moins sept pays de l'Union.
Dans une interview accordée vendredi à Reuters, Nigel Farage, le président de l'UKIP, a exclu de former une alliance avec le Front national. "Je ne veux pas être impoli envers Marine Le Pen, ce n'est pas nécessaire, mais je ne pense pas que son parti fasse partie de notre famille politique", a-t-il dit.
Le FN, qui travaille depuis plusieurs années avec le FP? autrichien, le Vlaams Belang flamand, les Démocrates suédois, et discute avec le PVV néerlandais, estime pour sa part que la porte de l'UKIP n'est pas fermée.
"Sa position est tactique. Son objectif est d'avoir un groupe et d'en être à la tête. S'il n'y arrive pas, peut-être qu'il changera d'avis", disait Marine Le Pen de Nigel Farage dans une interview accordée à Reuters à deux semaines du scrutin. ( )
Suivent l'Alliance des démocrates et libéraux (ADLE), projetée à 70 sièges et dont le chef de file pan-européen, l'ex-Premier ministre belge Guy Verhofstadt, mettant en exergue le recul du PPE et du PSE, a insisté sur "la nécessité de négociation élargie avec le troisième groupe".
Les écologistes emmenés par le tandem formé par l'Allemande Ska Keller et le Français José Bové devraient disposer de 55 élus et la gauche radicale européenne ralliée derrière le Grec Alexis Tsipras de 43 députés.
UN PARTI ANTI-IMMIGRATION EN TETE AU DANEMARK
Compte tenu de ces résultats, les retombées politiques de ces élections pourraient se faire ressentir plus fortement au niveau national qu'à l'échelle de l'Union, en incitant certains partis conservateurs à infléchir leur ligne vers la droite et à mettre l'accent sur leur politique d'immigration.
Au Danemark, le Parti populaire, ouvertement anti-immigrés, devrait arriver en tête avec 23% des suffrages et en Hongrie, le mouvement d'extrême droite Jobbik, accusé de racisme et d'antisémitisme, se classe en deuxième position avec 15%.
A l'aune de ces performances, le PVV (Parti pour la liberté) néerlandais, le parti anti-islam et eurosceptique de Geert Wilders, allié potentiel du FN français au PE, peut être déçu: il a raté la première marche du podium, son objectif, en se classant derrière les chrétiens-démocrates.
En Allemagne, l'AfD, un mouvement créé l'an dernier qui milite pour l'abandon de l'euro, a remporté ses premiers sièges de députés avec environ 6,5% des voix. Mais il reste loin de la CDU-CSU d'Angela Merkel, créditée de 36%, et des sociaux-démocrates du SPD, à 27,5%.
En Italie, le Parti démocrate (PD) du président du Conseil Matteo Renzi triomphe avec un peu plus de 40% des voix selon des projections de la Rai, reléguant le Mouvement 5 Etoiles de Beppe Grillo à près de vingt points (23,1%). ( )
En Grèce, c'est un parti de gauche bien plus radical, Syriza, qui est donné en tête avec 26,7% des voix, reléguant la Nouvelle démocratie du Premier ministre Antonis Samaras à 22,8%.
Ce résultat peut évidemment s'expliquer par les conséquences de la politique d'austérité mise en oeuvre par Athènes sous la férule de la "troïka" (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international).
Pour autant, le gouvernement Samaras, qui ne dispose que de deux sièges de majorité au Parlement national, affichait sa confiance dimanche soir.
Le scrutin grec a aussi été marqué par les 9,3% attribués au parti extrémiste Aube dorée.
26 mai 2014
Source : Reuters