dimanche 24 novembre 2024 23:47

« Les Européens croient que tous les migrants veulent s’installer en Europe, c’est faux »

Pour Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au Centre d’études et de recherches internationales de Sciences-Po, spécialiste des questions migratoires, l’immigration peut être une chance pour l’Europe. Entretien

La Croix : Que représente, pour l’Europe, l’immigration venue du Sud de la Méditerranée ?

Catherine Wihtol de Wenden : Le monde se divise en espaces migratoires régionaux et, pour ce qui est de l’Europe, elle fonctionne depuis très longtemps avec la Méditerranée. Pour des raisons historiques, géographiques, sociales et culturelles, l’essentiel des migrants en Europe vient de la rive sud, de Syrie, d’Égypte, du Proche-Orient, de Turquie, du Maghreb…

Il y a une complémentarité entre le nord et le sud de la Méditerranée. Au nord, l’âge médian est de 40 ans et, au sud, de 25 ans. Au nord, plusieurs secteurs – garde des personnes âgées, construction, ramassage des fruits et légumes – constituent des niches qui correspondent à une offre de main-d’œuvre dans les pays du Sud, où la population est de plus en plus urbaine, scolarisée et, pour une partie d’entre elle, au chômage. Il y a une dépendance migratoire réciproque. Mais à ce système se superpose un système migratoire institutionnel qui est en contradiction avec la réalité. L’Europe se ferme au niveau de la Méditerranée, mais les besoins demeurent. Ainsi les migrants sont-ils conduits à venir en Europe dans des situations illégales.

Depuis quand l’Europe se ferme-t-elle ?

C. W. de W. : Cela varie selon les pays européens, mais la fermeture a débuté après le premier choc pétrolier, au milieu des années 1970. Cependant, le besoin de main-d’œuvre a persisté, notamment dans ce qu’on appelle les « trois D », c’est-à-dire les métiers dirty, difficult, dangerous (sales, difficiles, dangereux, NDLR).

Ces emplois ont été essentiellement pourvus par les sans-papiers. Les migrants ayant en effet continué à venir en Europe car la situation ne s’était pas améliorée dans leur pays d’origine, ils se sont retrouvés dans une situation illégale.

Comment expliquer la persistance du décalage entre les besoins et le système institutionnel ?

C. W. de W. : Il y a ce principe selon lequel l’Europe s’arrête à la Méditerranée, et que c’est à ce niveau qu’il faut renforcer les frontières extérieures. Derrière cela, il y a la peur de la jeunesse de la population, de son dynamisme démographique, alors qu’elle est en transition, de l’islam… Il y a aussi l’idée qu’il faut construire l’Europe à l’Est. L’ouverture à l’Est a eu pour conséquence de renforcer la fermeture au Sud. Les pays à l’Est de l’UE représentent peu de chose en termes d’immigration car ils se trouvent souvent dans une situation de déclin démographique, souvent assez avancé. Enfin, il y a l’idée, pas toujours fausse, que les migrants venus de l’Est font des allers-retours plutôt que de s’installer tandis que les migrants venus du Sud, la situation politique dans leur pays n’offrant souvent pas d’espoir, ont tendance à s’installer.

La fermeture des frontières a-t-elle entraîné l’illégalité ?

C. W. de W. : L’illégalité existait déjà auparavant. En 1968, l’Office national d’immigration, en France, ne contrôlait que 18 % des entrées, ce qui signifie que 82 % d’entre elles étaient illégales. Mais à l’époque, les régularisations étaient plus faciles. Beaucoup de migrants accueillis comme réfugiés, des Vietnamiens en 1975, des Chiliens en 1974, n’auraient toujours pas, aujourd’hui, le statut de réfugié car le système est devenu beaucoup plus sévère. Un tour de vis a été donné sur les critères de l’asile et du regroupement familial.

Les Européens ont-ils une réflexion tronquée sur le phénomène migratoire ?

C. W. de W. : Oui, ils croient que tout le monde veut s’installer en Europe, ce qui est complètement faux. Un Africain sur deux qui émigre, ne va pas vers l’Europe. Il va aux États-Unis, mais surtout vers les pays du Golfe, qui constituent la troisième destination migratoire au monde. Mais il ne s’agit pas d’ouvrir les frontières à tout le monde tout de suite. Il s’agit de les ouvrir à plus de catégories de personnes, ou de les ouvrir à un espace régional donné, comme aux pays riverains de la Méditerranée, au Sud, qui sont d’ailleurs dans une situation de transition démographique.

17/1/14, MARIANNE MEUNIER

Source : La Croix

 

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