mercredi 27 novembre 2024 14:57

Les femmes de ménage marocaines intéressent les affaires étrangères

Les Marocaines ne  seront plus autorisées à travailler en Arabie Saoudite comme employées de maison.  Décision en a été prise par le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération et elle prendra effet à partir du 7 décembre prochain. Le département de Salaheddine Mezouar a justifié sa décision par le fait qu’il veut épargner aux Marocaines de vivre des « situations compliquées » sous les cieux saoudiens.

Cependant, la circulaire reste muette sur plusieurs questions. D’abord, comment définir les  « situations compliquées »  et quelle est leur nature ? Le communiqué du ministère fait-il allusion aux nombreuses accusations de servitude et d’exaction, lancées par des bonnes de nationalité marocaine ? Existe-t-il des données chiffrées confirmant ces violations ? En fait, aucune étude ou statistiques officielles ou non officielles n’ont confirmé ou infirmé ces accusations malgré les récits des prétendues victimes qui font le buzz sur le net et les réseaux sociaux. Et personne ne sait si ces atteintes sont monnaie courante ou s’il s’agit de cas isolés. Selon des statistiques datant de 2012 et émanant des services du ministère des Affaires étrangères marocain, l’effectif des MRE résidant en Arabie Saoudite s’élève  à 35.724 personnes dont 15.153 femmes, soit  42,41%.   Pourtant, ces chiffres ne révèlent rien sur leurs activités professionnelles puisque la main-d’œuvre marocaine ne se limite pas uniquement au travail domestique. Ces femmes seraient également recrutées comme infirmières ou  baby-sitters.  
Ensuite, pourquoi cette décision n’a pas été prise auparavant alors que nombreuses sont les domestiques marocaines qui n’ont pas cessé de répéter qu’elles sont victimes de servitude et d’exactions? Ceci d’autant plus que l’Arabie Saoudite a fait l’objet de critiques de la part de plusieurs pays qui l’accusent d’exploiter et de violenter leurs ressortissantes qui travaillent en tant que bonnes. C’est le cas pour les Philippines et l’Indonésie, principaux pourvoyeurs de Riyad en main-d’œuvre domestique, qui ont interdit l’envoi de bonnes vers l’Arabie Saoudite en 2011. Pis, les Marocaines qui travaillent dans ce pays font  l’objet depuis 2013 d’une campagne de dénigrement notamment de  la part des Saoudiennes. Le cliché de « sorcière» marocaine  qui serait une « voleuse d’hommes mariés » est omniprésent dans les médias et sur les réseaux sociaux.  Certains articles et comptes Twitter ou Facebook n’ont pas hésité à parler d’ « invasion » des domestiques marocaines. Même la page média de Yahoo s’est laissée séduire par ces stéréotypes et est même allée jusqu’à conférer un caractère pseudo-scientifique à ces assertions en précisant qu’en 2012, 600 actes de mariage ont été conclus entre des Marocaines et des Saoudiens dont 18 ont provoqué la dislocation de plusieurs familles saoudiennes suite au départ de  maris. 

Enfin,  cette décision a-t-elle été prise en concertation avec les ministères des Marocains résidant à l’étranger et des Affaires de la migration et celui de l’Emploi et des Affaires sociales ou s’agit-il d’une décision unilatérale? La prise d’une telle mesure  n’est-elle pas illégale puisqu’elle porte atteinte à la liberté de circulation et au libre choix du travail comme le stipule l’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme? En fait, le Maroc a signé plusieurs accords organisant l’entrée de la main-d’œuvre en Arabie Saoudite et le suivi de leur application est du ressort des départements d’Anis Birou et de son collègue Abdeslam Seddiki qui n’ont pas réussi jusqu’à présent à améliorer la situation de la main-d’œuvre marocaine dans les pays du Golfe où le système de la Kafala (parrainage) porte atteinte aux droits de l’émigré qui se trouve contraint de se mettre sous la protection de son Kafil; lequel se porte garant de lui et répond, en lieu et place, à toute question relevant de la loi et du droit. Dans ces contrées, l’embauche directe n’est pas de nature à formaliser la relation de travail entre l’employeur et son employé. Ce qui laisse la porte grande ouverte à des situations allant jusqu’à la traite, notamment pour les femmes. 

La question de la main-d’œuvre marocaine dans les pays du Golfe restera donc tabou parce que  peu de responsables osent s’aventurer à la remettre en question.

27 Novembre 2015, Hassan Bentaleb

Source : Libération

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