samedi 30 novembre 2024 01:39

Libye: la longue marche des travailleurs illégaux subsahariens

Les Africains subsahariens continuent d'arriver en masse en Libye pour travailler. Pourtant, les noirs sont toujours considérés comme des anciens mercenaires à la solde de Kadhafi.

Rouleaux de peinture aux manches démesurés, tuyauteries en tout genre ou encore marteaux piqueurs, une partie de l’autoroute qui mène du centre-ville aux quartiers huppés de l’ouest ressemble à une quincaillerie à ciel ouvert.

Il s’agit, en fait, d’une foire aux journaliers clandestins. Chaque matin, une centaine de travailleurs, presque tous originaires de l’Afrique subsaharienne, s’installent avec leur outil de travail en guise de panneaux publicitaires.

«Je suis arrivé enLibye, il y a deux ans. A cause du gouvernement, il n’y a pas de travail au Nigeria. La Libye est un pays riche, il y encore de l’argent. Tous les jours, on vient ici et on attend qu’une voiture s’arrête. Moi, je suis peintre en bâtiment. Alors, je viens avec mon pinceau. Je suis prêt à travailler immédiatement», détaille Layel, un Nigérian de 30 ans.

Trottoir, attente et prix négocié à la va-vite à travers la vitre ouverte d’une voiture, le rituel de ces journaliers diffère peu d’un jour à l’autre.

Ces travailleurs illégaux sont victimes de nombreuses vexations, et pire. Le dernier rapport d’Amnesty International sur les migrants en Libye, paru en novembre 2012, débute ainsi:

«Dans un environnement caractérisé par le non-droit, le racisme et la xénophobie, les immigrés clandestins risquent en permanence d’être exploités, d’être détenus arbitrairement pendant une période indéfinie et dans des conditions difficiles, et d’être victimes de coups, s’apparentant dans certains cas à des actes de torture.»

«Ils nous traitent comme des esclaves»

Racisme, clandestinité et coups. John, connaît bien ce triptyque maudit. Pourtant le Nigérian trentenaire n’est arrivé qu’après la fin de la révolution.

«En tant que noirs, ils [les employeurs libyens] nous traitent comme des esclaves. Sur les chantiers, ils nous battent pour des erreurs que nous n’avons pas commises. Certains nous font même payer le trajet retour après la fin de la journée!»

Les clients sont essentiellement de riches particuliers qui veulent faire des travaux chez eux. C’est pourquoi les journaliers se massent en nombre sur les ronds-points et autoroutes stratégiques, passages obligés entre le centre-ville et les maisons luxueuses en banlieue de Tripoli.

Outre les Africains illégaux, on croise également des Egyptiens ou des Tunisiens pauvres en quête d’argent. Malgré le partage de la même misère sociale, pas question de se mélanger:

«Les Africains d’un côté, les Arabes de l’autre», précise un passant.

Avant la révolution, l’immigration subsaharienne était utilisée comme une arme politique par Kadhafi vis-à-vis des gouvernements européens. En effet, pour certains de ces Africains, la Libye n’était qu’une étape vers l’Europe.

L’ancien guide ouvrait ou fermait le robinet migratoire au gré de ses relations avec l’Occident. Kadhafi n’est plus, mais les raisons de l’immigration des Africains du Ghana, du Nigeria, du Niger ou encore du Tchad sont les mêmes: pauvreté et insécurité.

Et la Libye, avant comme après la révolution, continue de représenter un eldorado financier.

Une journée complète de travail peut rapporter jusqu’à 50 dinars (environ 30 euros), mais ces journées se font rares depuis la fin de la révolution, car beaucoup de chantiers restent au point mort.

Le revenu moyen mensuel des Libyens était d’environ 200 dinars (environ 121 euros) juste avant la révolution.

Icham a 28 ans, dont deux ans et demi passés en Libye. Il est venu pour gagner rapidement de l’argent. Ce qu’il a fait (il refuse de dire combien il a économisé).

«Ici, j’ai appris à travailler le plastique. Maintenant, je veux rentrer chez moi, au Niger, pour travailler», précise-t-il.

A ses côtés, casquette de cuir vissée sur la tête, Tailer, qui vient d’arriver, a un autre rêve: l’Amérique.

«D’ici un an, je veux pouvoir aller là-bas. Je ne suis pas marié, je n’ai pas d’enfant, je suis libre.»

«Un carrefour pour la migration illégale»

C’est pour ses rêves de fortune et d’ailleurs, qu’aujourd’hui, les migrants continuent de traverser les frontières poreuses au sud de la Libye malgré les tentatives de bouclage des autorités.

«La Libye est un passage historique de migration entre l’Europe et l’Afrique. Dans le sud du pays, il y a des milliers de kilomètres de désert très difficile à contrôler, et ils [les travailleurs irréguliers] peuvent être amenés facilement par des passeurs. Avant, il y avait environ 60 centres de migrants, maintenant c’est difficile à chiffrer parce qu’il n’y a pas de statistiques. Dans certains centres officiels que nous avons pu visiter, nous avons noté qu’il y a une surpopulation», témoigne Maurizio Santicola, le responsable de l’Organisation mondiale sur les migrations (OIM) en Libye.

Se retrouver dans un de ces centres est la hantise des travailleurs. Dès qu’une voiture de police ralentit devant un regroupement de journaliers, ces derniers se dispersent rapidement.

Mais, dans la plupart des cas, les chauffeurs des véhicules rouge et blanc continuent leur route, indifférents. Et même s’il y a arrestation, les forces de l’ordre ne les remettent pas automatiquement aux autorités compétentes.

«Parfois, les policiers nous obligent à travailler pour eux gratuitement pendant une semaine avant de nous relâcher», confie Peter, un Ghanéen.

Centres de détention: l’insupportable attente

Le centre de Touycha, à 30 minutes de Tripoli, accueille les travailleurs illégaux en instance de retour dans leur pays. Le centre se divise en plusieurs hangars avec chacun une petite cours où les migrants peuvent sortir à tout moment.

En été, les«prisonniers» ont le choix: suer dans le hangar au toit en tôle ondulée ou dehors, en plein soleil, avec quasiment aucune ombre disponible.

«Nous faisons du mieux que nous pouvons avec l’argent qu’on nous donne», admet le chef du camp. Les détenus ne se plaignent ni de mauvais traitement ni du manque de nourriture mais de l’absence totale d’information.

L’un d’entre eux s’exaspère:

«Nous voulons savoir ce qu’ils vont faire de nous. Certains sont là depuis près d’un an. S’ils veulent nous renvoyer chez nous, qu’ils le fassent, mais rapidement.»

Afin de revenir au plus vite. Et d’attendre la voiture qui voudra bien s’arrêter.

7/2/2013, Mathieu Galtier

Source : Slate Afrique

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