jeudi 26 décembre 2024 13:16

Mendicité, prostitution... L'Italie face au défi des enfants migrants

Chaque jour, 28 mineurs étrangers s'évanouissent dans la nature. Ils finissent souvent en gosses des rues. Matteo Renzi redoute le rejet par la population italienne.

Trois ans après le naufrage de Lampedusa qui fit 366 morts le 3 octobre 2013, un nombre record de migrants a débarqué lundi en Italie : 6.004 exactement. Entassés sur 39 rafiots partis des ports libyens, ils ont été sauvés par la marine militaire et les garde-côtes. Ce qui porte à 132.069 le nombre total de migrants arrivés dans la péninsule en 2016. Parmi eux, 18.564 mineurs isolés - 600 de ces jeunes candidats à l'émigration sont morts avant d'atteindre le rivage. Mais l'Italie ne sait pas quoi faire de ces enfants ou adolescents.

Récolte du raisin ou menus larcins

Dans la majorité des cas, les mineurs non accompagnés sont concentrés dans des centres siciliens. Mais le problème est qu'ils disparaissent. On évalue à 28 par jour ces jeunes qui délaissent subrepticement les structures d'accueil. Ce qui porte à 5.315, nous dit Marzia Masiello, de l'AIBI ("Amici dei bambini", Amis des enfants), le nombre d'enfants évanouis dans la nature.

Personne ne sait où ils finissent, mais avec un peu d'imagination, comme dit Marco Griffini, président de l'AIBI, on peut se faire une idée. Il y a ceux qui font la récolte du raisin ou des olives à 15 euros par jour et sous la férule de féroces "caporali" (les surveillants). Ceux qui se prostituent. Ceux qui sont embauchés comme masse de manœuvre par les clans mafiosi locaux. Ceux qui s'adonnent à la mendicité et deviennent des "bambini di strada", des gosses de la rue, comme on en voit dans les grandes villes telles que Rome ou Milan (ils ont généralement entre 3 et 5 ans). Ceux qui réussissent à survivre grâce à de menus larcins et de petites illégalités (ceux-là ont généralement plus de 12 ans).

Ils avaient pensé que l'Italie serait seulement un lieu de transit vers l'Europe du Nord, mais la fermeture des frontières avec la France, la Suisse, l'Autriche et la Croatie les a contraints à rester dans la Péninsule. Contre leur gré. Ils souffrent de dénutrition ou malnutrition, ils sont souvent malades, ils sont quelquefois analphabètes et en tout cas, il est rare qu'ils parlent la langue italienne. Car l'accueil, généralement généreux des péninsulaires, n'est pas toujours accompagné par des prises en charge du point de vue de l'éducation, de l'apprentissage de la langue ou de la formation pour un métier.

Battes de baseball

Il n'est pas rare que des mineurs non accompagnés attendent un an dans un centre d'accueil à se tourner les pouces. François, un jeune Gambien de 16 ans, est ainsi depuis quinze mois dans un centre sicilien en espérant obtenir le droit d'asile. Il raconte :

"Le premier mot italien que j'ai appris c'est : 'Attends!' Attendre quoi ? La bouffe. La pocket money quotidienne. La fiche téléphonique qui me permettra d'appeler ma famille."

Sans pouvoir jouer avec les copains. Sans pouvoir s'adonner à l'étude. Sans pouvoir exercer un début de métier. "C'est quand même dur", conclut-il. Les journaux, par ailleurs, commencent à signaler de petits épisodes d'intolérance : le 17 septembre, à San Cono, près de Catane, une rixe a opposé des jeunes et des migrants du centre d'accueil de San Michele di Ganzaria. La balle de baseball d'un jeune migrant ayant atterri par erreur sur la poussette du fils d'un boss local. Quatre ados égyptiens ont été en représailles assommés à coups de battes et ont fini à l'hôpital.

C'est ce que redoute le plus Matteo Renzi : le rejet par la population. Et ce dans l'indifférence d'une Europe qui sait se réunir, parler et même prendre des décisions mais se révèle incapable de les faire appliquer. Comment est-il possible, s'indigne Renzi, que la décision soit prise au niveau européen de répartir 160.000 migrants par quotas nationaux et que seulement un millier d'entre eux aient pu être intégrés dans les pays de l'Europe du Nord ?

Les désaccords sur les politiques migratoires sont la principale raison du ressentiment italien à l'égard de l'Europe et d'Angela Merkel en particulier. Pour se défouler, Matteo Renzi pense faire transférer devant le nouveau siège du Conseil de l'Europe la coque du navire chargé de migrants qui coula le 3 octobre 2013 et que les scaphandriers italiens ont récemment remontée à la surface.

Marcelle Padovani

Source : .nouvelobs.com

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