vendredi 27 décembre 2024 09:57

Migrants et Roms, le déshonneur de l'Europe

Deux livres sortis récemment nous rappellent le scandale de la politique migratoire en Europe. Là tout autant, voire plus que dans d’autres domaines politiques, il est laissé à voir combien la politique de l’Union Européenne n’est que le reflet des politiques nationales excessivement néolibérales.

Des politiques conservatrices, de droite, d’une droite complexée ou décomplexée, pour reprendre les expressions de Frederic Lordon, et ce donc pour le dire autrement quel que soit le parti au pouvoir, celui dit de gauche ou bien de droite. Evidemment celui qui se dit de gauche, parce qu’il fraye depuis longtemps avec toujours les mêmes centres de pouvoir (allant des écoles de formation, jusqu’aux pouvoirs industriels et financiers) n’a plus de gauche que le nom vidé de sa substance quand bien même il s’évertuerait comme un canard sans tête à gesticuler en se réclamant toujours de la social-démocratie ou de Jaurès. Ce grand corps, vidé de l’intérieur dont il ne reste désormais que l’enveloppe désincarnée - ou bien décapité, à vous de choisir selon l’image qui vous paraît se rapprocher le plus de la réalité - , et qui persiste ridiculement et tragiquement à toujours vouloir se qualifier de socialiste est bel et bien malade et sa faillite culturelle et intellectuelle est totale, il a donc renoncé, c’est désormais un fait acquis.

Frederic Lordon dans La malfaçon nous éclaire combien la gauche française est coupable (au sens moral et non Freudien, semble-t-il) de se laisser piller son âme et corpus idéologique par un Front National qu’on savait sans complexe mais dont la preuve de sa dangereuse inconstance idéologique nous a été une nouvelle fois apportée dans sa récente conversion à la dénonciation du pouvoir de la finance et du néoliberalisme. Conversion de plus parfaitement mensongère tant il peut être rapidement démontré que les thèses économiques – fragiles et douteuses – du FN n’apportent pas tant de griefs que cela envers le capital avec lequel il n’a nullement envie de se fâcher dès lors que celui-ci pourra continuer à mener en terre fasciste ses petites affaires (la libre-circulation des capitaux n’a pas grand-chose à voir avec celle des personnes, nous le savons bien).

Mais plus grave qu’un FN qui en reste encore au stade de l’agitation sans conséquence (sauf hélas pour les habitants d’une dizaine de communes désormais en France), Elisabeth Zucker dans A la recherche du droit du sol nous permet de comprendre combien le droit censé protéger le citoyen en respect des valeurs édictées déjà dès la révolution est en réalité manipulé par le législateur pour habiller des conservatismes toujours racistes et xénophobes.

Elisabeth Zucker nous rappelle combien nous manquons de faire tous ce que pourtant font avec constance les veilleuses[1] (citoyennes debout et portant le regard haut), c’est-à-dire regarder justement en face et connaître les parcours individuels de ces hommes et femmes qui se retrouvent un jour coincés comme des rats, forcés de constater, impuissants, l’éclatement de leur propre famille, réduits à la misère, rejetés et exclus sans aucun moyen de comprendre face à la répression institutionnelle implacable – s’appuyant justement sur les lois xénophobes d’état ou les vides qu’elles permettent opportunément -. Hélas nous le savons la politique migratoire depuis deux ans n’est que la continuation des politiques répressives mises en œuvre par Nicolas Sarkozy et ses successeurs zélés à la tête du ministère de l’intérieur. Que dire de la politique criminelle de l’Europe investissant en moyens pour rejeter les migrants et donc co-responsable de la mort de nombres d’entre eux. Cet océan de misère, de tragédies et de souffrance dure depuis des décennies, nous (le peuple Français, le peuple Européen, s’il existe), nous continuons de ne pas vouloir le voir en votant pour les partis majoritaires. Ces migrants et ces Roms nous sont donc invisibles à nos yeux et à ceux des médias dominants (à part quelques larmes versées lorsque certains épisodes deviennent décidemment trop visibles sans trop de conséquences sur les choix politiques et les actes).

Pour les voir, il faut les rencontrer, leur parler, leur apporter un peu d’aide et de soutien (pourquoi pas à travers les nombreuses associations de défense des droits des migrants, citons MigrEurop, RESF parmi les plus importantes).

Pour ceux qui n’ont pas fait cette expérience, commencez par lire dans le livre d’Elisabeth Zucker, l’histoire de Sickou Camara[2], déclaré Français depuis 33 ans par les autorités qui découvrent un jour qu’il avait fait sa demande de nationalité à 20 ans au lieu de 21 ans (l’âge légal de la majorité à l’époque en 1966) et qui pour cette erreur administrative entièrement imputable à l’administration de l’époque lui a purement et simplement, du jour au lendemain, retiré après des décennies de vie en Françe durant lesquelles il a travaillé, cotisé, acquitté ses impôts, voté. Combien de vies brisées comme celles de Sickou Camara, dont le capital et son nouvel allié, la « social-démocratie » s’accommodent fort bien. Il faut dire qu’elle a depuis quelques temps abandonné déjà les classes les plus pauvres et les plus précaires alors les migrants et les Roms …

Avoir la chance de rencontrer ses migrants et Roms dont le droit est bafoué pour mieux relativiser les « success stories » des grands patrons connus pour leur maitrise de « l’optimisation fiscale », c’est, oui, avoir envie de crier avec Frédéric Lordon : « Bernard Arnault ? Pas Français. Cahuzac ? Pas Français. Johnny et Depardieu qui se baladent dans le monde comme dans un self-service  à passeports ? Pas Français. Les Mamadou et les Mohammed qui triment dans des ateliers à sueur, font les boulots que personne ne veut faire et paient leurs impôts sont mille fois plus français que cette race des seigneurs. Le sang bleu évadé fiscal, dehors ! Passeport et bienvenue à tous les basanés installés sur le territoire, qui, eux, contribuent deux fois, par leur travail et leurs impôts, à la vie collective »

15 mai 2014, Roland Berthou

Source : mediapart.fr

 

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