mardi 26 novembre 2024 13:26

Migrants : l'accord Turquie-UE est-il applicable ?

A partir de ce dimanche soir, les personnes qui arrivent en Grèce peuvent théoriquement être renvoyées en Turquie. Dans la pratique, c'est plus compliqué.

La frontière entre la Grèce et la Turquie ferme officiellement dimanche soir, tant pour les immigrés économiques que pour les demandeurs d’asile. Tous ceux qui arrivent dans les îles grecques sont désormais censés être renvoyés manu militari vers les côtes turques, en vertu de l’accord conclu vendredi entre l’Union européenne et Ankara, accord qui met fin au droit d’asile en Europe, au moins temporairement. Mais ça, c’est la théorie.

Les renvois ont-ils commencé ?

Evidemment, non. «L’accord sur le renvoi des nouveaux arrivants sur les îles devrait, selon le texte, entrer en vigueur le 20 mars, mais un tel plan ne peut pas être mis en place en seulement vingt-quatre heures», a reconnu Giorgos Kyritsis, le coordinateur de la politique migratoire grecque. La Grèce, pays en faillite et à l’Etat déficient, a déjà montré qu’elle n’avait pas les moyens de contrôler ses frontières. Alors organiser aussi rapidement le renvoi systématique des arrivants, c’est tout simplement une tâche impossible.

«Il faudra des semaines, voire un miracle, pour que ces expulsions de masse se mettent en place», explique un diplomate. «Avec 1 000 demandes par jour, le bureau d’asile grec est totalement débordé. Alors avec 2 ou 3 000 par jour, il vaut mieux oublier», s’amuse un policier européen présent sur place.

C’est pour cela qu’une aide européenne est prévue : forces de police, officiers de protection du droit d’asile chargé de faire le tri, interprètes voire juges pour statuer sur les recours des déboutés du droit d’asile. Selon la Commission européenne, 4 000 agents devront être mobilisés, dont un millier de «personnels de sécurité et militaires» et environ 1 500 policiers grecs et européens.

Alors pourquoi avoir proclamé que l’accord de vendredi entrerait en vigueur ce dimanche ? «Pour éviter un temps de latence qui aurait conduit à un appel d’air», explique un fonctionnaire européen. A l’heure du Net, l’information va vite et beaucoup de candidats à l’immigration ou à l’asile se seraient précipités en Europe pour éviter de trouver porte close. D’ailleurs, plusieurs centaines de personnes ont gagné les îles grecques samedi, soulagées d’être arrivées avant le gong fatal. «L’effet d’annonce peut marcher. Depuis décembre, les Grecs placent à nouveau en centre de rétention les Algériens et les Marocains qui arrivent en Grèce, et le flux s’est brutalement tari», raconte un diplomate présent en Grèce.

Qui sera concerné par ces expulsions ?

Tous ceux arrivant à partir de ce dimanche soir. Les quelque 50 000 personnes coincées en Grèce (dont un cinquième à Idoménie, à la frontière macédonienne), à la suite de la fermeture de la route des Balkans, sont exclues de l’accord UE-Turquie, tout comme le million de migrants et de réfugiés se trouvant dans d’autres pays européens. Pour libérer de la place dans les îles du Dodécanèse, le gouvernement grec a entrepris d’évacuer vers le continent tous les migrants qui s’y trouvent encore. Leur sort sera tranché selon les anciennes règles, qui ne prévoient aucune automaticité du refus des demandes d’asile et aucun engagement de réadmission par les autorités turques.

Désormais, tous ceux qui arriveront seront accueillis dans l’un des cinq hotspots (centre d’accueil) situés à Lesvos, Leros, Chios, Samos et Kos. Pour l’instant, ils n’offrent que 6 000 places, mais 20 000 sont prévues au total. Si un étranger veut demander l’asile (presque personne ne le fait actuellement en Grèce, pour pouvoir continuer sa route), sa demande sera «examinée» sur-le-champ : s’il est passé par la Turquie (désormais «pays sûr») ou un pays de «premier asile» qui pourra lui offrir une «protection suffisante», sa demande sera automatiquement jugée «irrecevable» et il sera renvoyé en Turquie. Il pourra faire appel de cette décision devant un juge (par exemple en expliquant qu’en tant que Kurde, la Turquie n’est pas un pays sûr pour lui), qui tranchera sur place. Ceux qui ne demanderont pas l’asile (la moitié du flux actuel ne demande pas l’asile) seront immédiatement rembarqués. «Mais pour gagner quelques jours, tout le monde va demander l’asile, l’information circule vite», ironise un policier européen.

Techniquement, comment auront lieu ces expulsions ?

Frontex, l’agence européenne chargée de coordonner le contrôle des frontières extérieures de l’Union, a annoncé qu’elle allait mettre à disposition huit navires d’une capacité de 300 à 400 places. Ce qui est insuffisant au rythme actuel des arrivées (déjà 145 000 depuis début janvier, selon l’Organisation internationale pour les migrations). Le problème est que, pour l’instant, les Turcs n’ont désigné qu’un seul point de débarquement en face de l’île de Lesbos… En outre, «pour l’instant, rien n’est prévu en cas de résistance», soupire un policier européen. Les scènes de rembarquement risquent d’offrir quelques images brutales quand on voit ce qui se passe sur la route des Balkans.

20/3/2016, Jean Quatremer

Source : Libération

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