Aujourd’hui comme demain, les États européens seront confrontés aux défis des migrations. Guri Storaas, étudiante en master de Droits de l’Homme et Démocratisation à Venise, mais également fondatrice du mouvement « Migrants Matter » a accepté de partager son combat, sa lueur d’espoir sur des problématiques souvent mal comprises et amalgamées.
Stéphane Hessel – dans ouvrage Indignez-vous ! conseille « aux jeunes (de) regardez autour d’(eux), (pour qu’ils y trouvent) les thèmes qui justifient (l’)indignation - le traitement fait aux immigrés, aux sans-papiers, aux Roms.(…) ». Il poursuit en leur suggérant de faire émerger cette indignation : « Vous trouverez des situations concrètes qui vous amènent à donner cours à une action citoyenne forte ». Après plusieurs actions au sein même de leur master, quelques étudiants du master de Droit de l’Homme et Démocratisation de Venise ont décidé de se lever pour briser ce cercle de l’indifférence en cette période de Noël. Guri Storaas, fondatrice du mouvement « Migrants Matter », a accepté de nous révéler sa lueur d’espoir. En cette fin d’année 2013, elle a choisi la solidarité aux immigrés. Au cours de plusieurs réunions depuis début octobre 2013, une chanson a été reprise avec passion par plusieurs représentants européens lors des Europeans Development Days à Bruxelles. Le coup final de cette campagne de sensibilisation a été la marche silencieuse en cette fin décembre. Avec un seul espoir que les migrants aussi puissent vivre dans la dignité.
Journal International : Quel est le but d’une campagne de sensibilisation et pourquoi l’avoir dirigée en faveur des migrants ?
Guri Storaas : Cette mission de sensibilisation permet avant tout de regrouper des personnes engagées, afin de changer les politiques à travers différents moyens et afin de faire évoluer les conditions auxquelles peuvent être confrontées certaines personnes exclues de la société. Elle se concentre sur le secteur européen notamment, car les migrants sont certainement les cibles les plus faciles pour les États. Ils subissent les politiques imposées et injustes déniant les difficultés auxquelles ces hommes, ces femmes et ces enfants font face chaque jour. Ceux qui n’agissent pas en ayant pleinement conscience des discriminations subies soutiennent au fond indirectement les violations récurrentes transgressant la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948.
JI : Justement, votre campagne se dirige en faveur d’un certain groupe de migrants puisqu’elle vise à la ratification de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille de 1990, pourquoi avoir ciblé cette forme particulière d’immigration ?
G.S. : Tout d’abord, il faut savoir que cette convention est la seule qui internationalement a été créée pour les migrants ainsi ce n’est pas un thème réducteur que nous avons choisi, mais un texte d’appui officiel qui nous permet d’agir activement sur différentes formes d’immigration. Il est également vrai que le travail est une chose qui affecte particulièrement les étrangers, les rendant plus vulnérables que les autres, car bien souvent les familles se retrouvent séparées. De plus, les migrants sont loin d’être privilégiés. Ainsi, ils subissent un traitement excessivement injuste généralement les renfermant sur eux-mêmes. Aucun texte ne définit véritablement leur statut ni ne reconnait leur existence même. Souvent rejetés, seuls, les expulsions de plus en plus nombreuses planifiées dans les pays européens sont la preuve qu’aucune garantie de protection n’a été encore appliquée, voire établie. Ce que nous souhaitons, c’est porter un message au nom de tous les immigrés et en appuyant le projet de cette convention qui est loin de faire l’unanimité jusqu’à présent. Nous pourrions enfin nous assurer que les États aient à rendre des comptes sur les politiques mises en place, qu’ils aient enfin une responsabilité officielle lorsque ces personnes immigrant sur leurs terres se voient maltraitées.
JI : Pourquoi, selon vous, de nombreux états sont-ils septiques à l’idée de ratifier cette Convention et en quoi pensez-vous que votre mouvement puisse les aider à changer d’avis ?
G.S. : Lorsque les Nations Unies ont proposé ce traité, il n’a pas été très bien accueilli. Il a été adopté en 1990 et 13 ans après, en 2003, il a pu enfin entrer en vigueur, mais seulement grâce à 20 états signataires, ce qui est bien trop peu ! Cette Convention a le potentiel de promouvoir, au moins indirectement, le droit des immigrés, pour que leur protection soit garantie par la loi même. Malheureusement, même si elle a été acceptée légalement, elle n’est que trop peu mise en pratique.
Selon moi, les États refusent de coopérer, car la définition donnée à l’immigration ici est bien trop large et malheureusement, de nos jours, c’est une notion qui fait peur et qui doit être plus précise pour qu’on puisse l’accepter. Je suis persuadée que c’est notamment la peur qui paralyse les États jouant sur l’aspect de sécurité en l’opposant directement à l’immigration. Les stéréotypes que l’on entend chaque jour, particulièrement depuis la crise de 2008, sous-entendant que « plus les immigrés arrivent, plus les taxes pour la population seront importantes », que l’économie soit disant « s’écroulerait si nous accueillions trop d’étrangers » sont néfastes à l’égard de l’image de ces personnes.
Je pense également que le fait qu’aucun groupe spécifique ne se soit battu au nom des migrants a également joué en la défaveur de ce projet. Malheureusement, nous ne sommes que de petits groupes défendant des intérêts totalement différents si l’on regarde au premier abord, car il est vrai que l’hétérogénéité migrante peut créer quelques tensions. Pourtant, au fond, nous recherchons tous le même but : que les immigrés bénéficient d’une protection adéquate, qu’eux aussi puissent profiter des droits « définis pour tous » (Ndlr, DUDH 1948). C’est pourquoi, à notre échelon, nous devons parler, nous devons nous mobiliser afin de changer quelques mentalités, afin de cibler l’aspect positif de l’immigration, de le partager et de sensibiliser l’opinion sur le bénéfice de cette nouvelle forme de multiculturalisme.
JI : Quelles sont les actions qui ont pu ou peuvent aider votre campagne à se développer et à se faire connaitre davantage ?
G.S. : Nous avons la chance d’avoir 50 étudiants de notre promotion motivés et passionnés pour démarrer notre projet. Par la suite, chacun de nous a eu un rôle spécifique dans la mise en place de la campagne. Par ailleurs, une action toute simple telle que celle initiée aux European Development Days regroupant quelques personnes criant, et frappant des mains dans les couloirs de Bruxelles entre deux conférences, leur volonté de convaincre les états membres de l’Union européenne de ratifier la convention a eu un impact très positif. Nous avons pu rencontrer quelques politiciens qui suivent notre projet de très près et le supportent et c’est un appui non négligeable à l’échelle européenne. Les réseaux sont très importants pour porter notre message.
Nous discutons également beaucoup avec les personnes autour de nous pour leur faire prendre conscience de l’importance de ce projet, débattons également avec eux parfois, nous sommes ouverts aux débats. Nous sommes une sorte de mouvement non-lucratif qui souhaite intégrer tout un chacun dans son combat. Nous sommes des membres de la société civile ayant décidé de se battre pour une cause que l’on trouve noble. Si nous nous mobilisons en faveur de processus légaux c’est parce que ce sont eux qui régissent par la suite nos vies, nous sommes les citoyens du monde, nous votons donc nous avons le droit de manifester au nom de ce qui nous parait juste. Trop souvent, les politiciens oublient que nous leur avons accordé notre confiance en les élisant, il est nécessaire via ce genre d’actions de leur remettre un coup de pression. Notre groupe facebook invite à la discussion instantanée et aux soutiens surtout par n’importe qui souhaitant partager son opinion sur notre mouvement. Notre blog est notre liberté d’expression, notre façon de développer sur ce qui nous indigne, sur nos actions, mais surtout sur ce à quoi l’on croit : partager nos valeurs en parlant de l’immigration.
Nous avons développé quelques partenariats avec notre université tout d’abord, mais aussi avec la PICUM (Platform for International Cooperation on Undocumented Migrants) et des ONG se battant pour les droits des sans-papiers. Par la suite lors du festival des droits de l’Homme de Venise se focalisant cette année sur l’identité, nous avons eu l’honneur de rencontrer autour d’une table ronde Mr. Jacopo Molina, conseiller du parti démocrate de Venise nous donnant la position italienne concernant les questions migratoires. Tout en réfléchissant, autour de quelques films tels que « Mare Chiuso » ou « Closed Sea », à la politique italienne et aux diverses condamnations que l’Italie a reçu par la Cour européenne des Droits de l’Homme suite à des violations très graves. Nous avons eu aussi notre mot à dire en traversant Venise le 18 décembre 2013, Journée internationale des migrants où, je pense, nous avons pour ainsi dire touché les âmes de certains.
JI : Comment est-ce qu’un mouvement étudiant pourrait influencer la politique et faire changer les choses ? Pensez-vous que cette journée récente puisse avoir de l’influence par la suite ?
G.S. : Vous savez, je sais que les campagnes de sensibilisation peuvent prendre du temps, j’ai eu des expériences totalement différentes en Afrique et en Norvège quand nous défilions à cause de l’impact du changement climatique. Nous avons également mobilisé du monde, organisé des activités diverses, récolté des signatures et même fait un tour en caravane avec au moins 180 personnes pour convaincre des milliers de gens de nous rejoindre. Et cela a marché, ce n’était pas toujours évident, mais nous sommes allés à la rencontre de la population, car après tout dans la politique c’est d’eux dont il s’agit non ? Avoir la foi est essentielle. Je ne dis pas que notre mouvement universitaire aura autant d’impact que celui qui m’a valu un long voyage, mais tellement humain avec 200 000 signatures récoltées et des concerts au nom de notre cause du Kenya à l’Afrique du Sud, mais je crois que c’est maintenant ou jamais. Un mouvement tel que celui-ci se fait au jour le jour, se vit et se construit dès à présent même si le chemin est long.
Ce jour-là, nous avons défilé avec une quarantaine de personnes en marchant silencieusement en rang, certains portaient des masques représentant les états se voilaient la face en ne ratifiant pas, d’autres têtes baissées montraient leur désarroi face au manque de coopération puis des lettres avec une lueur d’espoir dans les yeux de chacun se démasquant et retrouvant le sourire apparaissait s’adressant directement aux États membres de l’Union Européenne. On pouvait alors apercevoir ce message impératif en anglais « EU, Ratify Migrants Convention ! » avant que les élèves ne se mettent à chanter et distribuer des dépliants pour que l’Union Européenne aille enfin de l’avant surtout après la polémique de Lampedusa. Nous avons eu un impact relativement positif et beaucoup d’intrigués nous ont écouté, apprécié notre engagement donc je suppose que notre campagne au nom des migrants a eu son cadeau de Noël : elle n’a laissé personne indifférent.
27/12/2013, Florence Carrot
Source : lejournalinternational.fr