mercredi 27 novembre 2024 00:38

Réinstallé, le conseil des résidents étrangers peine à exister

Quand une poignée d’associations lance le Conseil des résidents étrangers (CRE) à Strasbourg en 1992, l’objectif est clair : lutter pour obtenir le droit de vote aux élections locales. François Mitterrand l’avait promis dès 1981, François Hollande aussi… Malgré ces désespoirs et autres déboires, le CRE résiste et s’engage dans une nouvelle mandature. L’occasion de dresser un bilan sur son champ des possibles.

Qui dit nouvelle mandature, dit nouvelle organisation, moins formelle, moins verticale. Finies les séances plénières dans la salle du conseil municipal de Strasbourg avec un bureau élu. Ce matin du samedi 6 février, les membres du conseil des résidents étrangers (CRE) se réunissent autour de petites tables, au premier étage du centre administratif. Une façon de privilégier le dialogue, et surtout de rappeler à chacun qu’il fait partie d’une instance « de pression, censée interroger le maire, les adjoints et toutes les instances de la République », comme le rappelle le maire de Strasbourg, Roland Ries, en début de séance. Interpeller, car le CRE n’a pas un rôle décisionnaire, mais consultatif, comme toutes les autres branches de la démocratie participative.

Les cinquante personnes tirées au sort pour faire partie du CRE 2015-2018 sont presque toutes là, pour représenter les quelques 30 000 étrangers de Strasbourg, soit 14 % des habitants de la ville. Hommes-femmes à parité, originaires de tous les continents et venant des différents quartiers. Quelques responsables d’associations constituent deux autres collèges afin de nourrir les échanges. Certaines commissions de l’ancien mandat ont été gardées : culture, communication, logement, personnes âgées immigrées. Un groupe de travail « Droits des femmes » a fait son apparition.

C’est le débat parlementaire de la veille sur la déchéance de nationalité qui échauffe les esprits. Pierre Greib, de la Cimade, a concocté une motion qu’il soumet à ses collègues.

« Proposer en droit pénal et dans la Constitution une distinction de fait entre citoyens basée sur leur origine nous apparaît comme une discrimination contraire aux droits fondamentaux. »

Après quelques modifications, le texte entier est approuvé. Tous votent pour qu’il soit envoyé aux députés et aux médias afin de faire connaître la position du CRE sur la question. Un premier moyen de pression que les membres utiliseront de nouveau, espère Pierre Greib :

« Nous sommes tous conscients que notre pouvoir est limité et que notre force réside dans les propositions. Le CRE doit être pour ces personnes qui n’ont pas la nationalité française un espace de valorisation et de formation à la citoyenneté. »

Beaucoup d’énergie pour quoi ?

Au menu des autres discussions : la charte du CRE. Avec ses collègues de table, Tenile Mascolo Gil suggère la mise en place d’un groupe de veille, chargé de relayer les idées politiques du conseil sans attendre la tenue de plénières tous les trois-quatre mois. Cette Brésilienne a rejoint la commission « lutte contre les discriminations » au milieu du précédent mandat. Elle tenait absolument à continuer les projets commencés les mois passés :

« Même si je viens avant tout pour défendre le droit de vote, c’est nécessaire de questionner la société sur notre présence, et nous donner de la voix. Si le chemin a été long à chaque fois, que nous avons dû apprendre à travailler ensemble, nous avons réussi à mettre en place de belles réalisations, des expositions photos par exemple. Dans “La ville en visages”, nous avons montré des portraits de personnes qui travaillent à Strasbourg, dont le métier est important. Dans “D’ailleurs citoyennes”, l’idée était de casser les stéréotypes. Moi j’ai posé à côté d’une femme noire qui a la nationalité française, et dans la légende, on demandait : qui suis-je ?, sous-entendant, qui est la Française, la noire ou la blanche ? »

Un rapport, une commission…

Tous les anciens qui ont voulu retenter l’aventure ne sont pas aussi enthousiastes. Quand les nouvelles référentes du groupe « Personnes âgées immigrées » présentent leurs intentions, la voix de Nourredine Khlikhal s’élève :

« Mais nous avons déjà fait ce que vous annoncez. On va rester sur un carrefour et on tourne autour ? »

De 2012 à 2015, ce Marocain a participé à la rédaction d’un rapport sur les problèmes que rencontrent les personnes âgées immigrées, et leurs attentes. Une commande de Roland Ries, ce qui a demandé à sept apprentis-enquêteurs beaucoup d’investissement.

« Avec le questionnaire que nous avons préparé, nous sommes allés à la rencontre des personnes concernées. Puis on se retrouvait une fois par semaine pour faire remonter les informations. Ça nous a pris beaucoup de soirées et des mois de travail, tout ça bénévolement. Je ne suis pas sûr que les élus auraient accepté de faire tout ça sans être payés. »

Que les membres veuillent retourner sur le terrain pour valider les hypothèses avancées dans le rapport le laisse pantois.

« Malheureusement, nous n’avons pas eu de retour sur le rapport, nous ne savons pas si les élus s’en sont emparés, et on va aller reposer des questions aux gens ? Nous avons déjà fourni des suggestions, maintenant il faut faire bouger les choses. Je ne regrette en rien ce que j’ai fait, car j’ai l’impression d’avoir contribué à quelque chose d’important. J’ai fait tout ce que je pouvais faire et j’ai beaucoup appris de la façon de penser des autres, mais il faut que ce rapport porte ses fruits, que des actes en sortent. Ce serait frustrant que ça n’aboutisse pas. »

Beaucoup de propositions, aucun engagement

Ce conseil a précédemment remporté quelques batailles concrètes pour limiter l’isolement des étrangers : l’édition d’un guide d’orientation pour les primo-arrivants, la présence d’un observateur du CRE lors de la commission d’attribution des logements sociaux, la mise en place d’un guichet unique pour faire une demande de logement à CUS Habitat, ou encore la possibilité de poser des paraboles sur des immeubles gérés par des bailleurs sociaux. Des membres de la commission culture se sont aussi déplacés à Paris pour visiter le Musée national de l’immigration, dans l’objectif de créer des espaces sur ce que les étrangers ont apporté à l’histoire de Strasbourg.

Mais l’intérêt accordé à des projets menés au long cours reste un mystère pour certains anciens membres. C’est une des raisons pour lesquelles Aranceli Valdez a quitté le CRE, après deux années comme référente de la commission « Égalités urbaines » et membre du bureau :

« Je voyais le CRE comme un lieu idéal pour réfléchir sur les politiques publiques vis-à-vis des étrangers, avec naïvement l’idée que ce que nous discutions aurait un effet de levier, mais je me suis rendu compte que c’était faux. »

Sa commission a notamment initié l’organisation d’une table-ronde en octobre 2013, avec pour thématique : « L’Égalité dans l’accès au logement : quelles politiques à Strasbourg ? »

« De cette table-ronde sont sorties beaucoup de propositions, mais aucun engagement n’a été pris par la suite. Aucun conseiller municipal ne nous a soutenus. C’est à se demander si le but n’était pas de remplir l’agenda avec un événement supplémentaire. Le CRE, c’est important parce qu’il regroupe les communautés, qui connaissent bien les problèmes des étrangers et c’est souvent elles qui ont les solutions, mais qui les écoute et quand vont être mises en place les mesures préconisées, c’est une autre question. »

 Des champs d’actions très limités par la Ville

Les rênes du CRE tenues par la Ville, c’est l’autre raison qui a poussé Aranceli à abandonner son mandat :

« C’était très bureaucratique. Dans la commission par exemple, on voulait vraiment faciliter l’attribution des logements aux étrangers, parce qu’ils souffrent beaucoup de discriminations à ce niveau. Mais, dès qu’on essayait d’aller plus loin dans les démarches, il fallait l’accord de la chargée de mission, ou on nous disait, ah non, ce n’est pas de notre ressort, c’est national. Et si quelqu’un commençait à critiquer un peu une mesure mise en place par la Ville, ce n’était pas bien vu non plus. On ne peut pas seulement être une vitrine de la diversité. Si les élus locaux croient en nos droits, notamment à l’accès à l’emploi, au logement, malgré les circonstances nationales défavorables au droit de vote, ils doivent nous soutenir. On ne doit pas rester un instrument politique qu’un parti ou un autre brandit à l’approche des élections municipales. »

En effet, le CRE a connu de nombreux soubresauts et premier du nom en France, avant de faire des petits dans d’autres villes, il a essuyé bien des plâtres au gré des alternances à la tête du conseil municipal.

Créé sous la gauche, dissout sous la droite

En 1992, la volonté de créer une telle instance est venue de la Coordination des associations de résidents étrangers, décidée à mener le combat pour le droit de vote des étrangers. Ces composantes étaient même allés jusqu’à menacer la Ville que les étrangers se mettent en grève, ne paient plus leurs impôts locaux, charge à l’État de régler la dette. Simo Tarazi, de l’Association des travailleurs maghrébins de France, se souvient :

« Nous étions très politisés à l’époque, finalement nous avons négocié avec le maire d’alors, Catherine Trautmann (PS), qui a été d’accord pour créer une instance para-municipale. Nous, on voulait qu’elle soit représentative, avec un droit de saisine du conseil municipal, mais rappelant que la loi ne le permettait pas, elle nous a concédé un rôle consultatif. Peut-être était-ce aussi une façon de canaliser nos revendications. »

En 2001, la mairie est passée à droite et le CRE a été balayé, avant d’être réinstauré par Roland Ries en 2009. En juin, malgré un débat houleux autour de la question du droit de vote des étrangers, les membres du conseil municipal ont voté pour la poursuite du CRE. Un budget de 20 000€ a aussi été réaccordé. L’objet étant de couvrir la venue d’invités pour des manifestations organisées par le conseil, la tenue d’expositions, les éventuelles sorties-découverte.

Pour la Tunisienne Amina Faari, qui, pendant ses études, a justement fait partie de cette commission entre 2009 et 2015, le CRE a besoin de plus d’autonomie.

« Pour faire connaître le CRE, ce qui était nécessaire, nous éditions un journal et nous animions une émission de radio tous les quinze jours, pour parler de sujets d’actualité et de la place des étrangers, mais pendant toutes les périodes d’élections, nous n’avions pas le droit de poursuivre nos activités par exemple. Notre rôle, en tant qu’entité entre les étrangers et la Ville, est primordial, mais nous n’avons pas assez de liberté. On le savait dès le départ qu’on était dépendant de la mairie, mais souvent on s’est sentis coincés. C’est dommage vu la somme de travail qu’on a tous fourni. »

Le droit de vote des étrangers, l’éternel combat

En Europe, 16 pays ont accordé le droit de vote aux étrangers. Le Premier ministre (PS) Manuel Valls, le 3 novembre, a quant à lui enterré d’un revers de main la promesse n° 50 du candidat François Hollande.

Pourtant cette revendication continue de planer parmi les membres du CRE. Et à la fin de la motion votée lors de la séance de samedi, les participants ne manquent pas de la rappeler. D’après Haydar Kaybaki, représentant de l’Astu (Actions citoyennes interculturelles), et membre du CRE depuis ses débuts, on ne peut plus éviter la question du droit de vote.

« Elle est très forte en symbole surtout aujourd’hui. Si des jeunes voient que leurs parents sont ici depuis des années et qu’ils n’ont pas leur mot à dire, ils risquent de se détacher du pays. »

Peut-être que l’échéance de 2017 va permettre de ranimer leurs esprits. C’est en tout cas ce qu’espère Nourredine Khlikhal, aussi revenu au conseil pour mener ce combat.

« Quand je suis arrivée en 2012, c’était ma priorité. J’ai terminé la mandature sans voir cette mesure aboutir. Il faut que les parlementaires agissent. Pour ma part, ça fait 27 ans que je travaille en France, que je paie des impôts locaux, aussi pour faire vivre la Ville. Et même si j’obtiens la nationalité française d’ici là, je continuerai à défendre l’idée, car c’est une discrimination. »

Comment éviter l’impasse ?

Les mots devront néanmoins être accompagnées d’une forte mobilisation, pour ne pas finir dans une impasse comme le dernier mandat, qui avait certes conduit à la création du Conseil français de la citoyenneté de résidence (CoFraCiR), le réseau des CRE de France, mais n’avait pas su peser suffisamment. 16 des 20 CRE ont été supprimés en 2014, quand les municipalités ont viré de bord. A Strasbourg, seule une manifestation s’était tenue place d’Austerlitz, mais n’avait réuni que quelques personnes, se désole Amani Faari :

« A force de voir les promesses non tenues, je pense que les gens n’y croient plus trop, pourtant il le faut. »

Le groupe de veille politique qui s’est constitué à la fin de la séance de samedi a bien l’intention de défendre le droit de vote. A voir s’il aura lui l’audace de faire « pression », comme l’a dit le maire, et mener la lutte malgré la démission actuelle des pouvoirs nationaux.

Il pourra toujours puiser dans la fougue politique et les idées ingénieuses que ses prédécesseurs ont eues dans les années 90. A commencer par le bus de la citoyenneté qui avait circulé dans les quartiers de Strasbourg pour finir sur la place Kléber et organiser un vote fictif par les étrangers du conseil municipal. Une initiative qui avait trouvé un retentissement national.

« Chaque rapport sera étudié attentivement »

Sans oublier l’Appel de Strasbourg, lancé depuis le Conseil de l’Europe en 1999, incitant fortement les Etats membres à inclure tous les résidents étrangers à la vie locale. Depuis juin, Mine Günbay, adjointe au maire en charge de la démocratie locale, concède que le CRE s’est institutionnalisé mais veut y voir des signes positifs :

« Cette instance est très précieuse. Par exemple, des membres du CRE ont rejoint la commission plénière égalités hommes-femmes. Ils nous ont sensibilisés aux discriminations que les femmes étrangères subissent pour accéder aux cours de Français langue étrangère. Sans eux, nous n’aurions pas eu ces réflexions. La réunion de ce samedi me donne aussi beaucoup d’espoirs, tous les groupes ont déjà lancé des projets et les présentent d’une façon très déterminée. »

Mine Günbay reconnaît que certains sont désabusés, trouvent que ça ne va pas assez vite, mais d’après elle, il faut accepter de dépasser l’urgence politique :

« Chaque rapport va être étudié attentivement et approfondi pendant cette mandature. Notre but n’est surtout pas de faire du CRE un objet folklorique ou communautariste. Ces membres ont beaucoup d’outils à leur disposition pour faire pression, à eux de savoir jusqu’où ils veulent aller et nous les aiderons sans condition. »

Pour Mine Günbay, comme pour Roland Ries, l’obtention du droit de vote reste un « impératif catégorique » pour intégrer les étrangers dans la vie commune. La semaine dernière, Benoît Hamon (PS) et 35 autres députés ont déposé un amendement visant à introduire ce droit dans la Constitution. Rendez-vous en 2017 pour voir si cet élan aura trouvé un écho.

8 février 2016, Aline Fontaine

Source : rue89strasbourg.com

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