jeudi 26 décembre 2024 20:22

Scènes de « chasse aux étrangers » au sud de l'Italie

Des heurts violents ont opposé, du jeudi 7 au samedi 9 janvier, la population de Rosarno, une petite ville de Calabre, aux migrants clandestins qui cueillent les agrumes

Trois jours de violence ont opposé immigrés, résidents et forces de l’ordre dans la petite ville de Rosarno, 15 000 habitants, située en Calabre. Jeudi, des Africains, travailleurs saisonniers, ont été visés par des tirs de fusils à air comprimé. Trois d’entre eux ont été légèrement blessés.

Entre faits et rumeurs, la colère a explosé. Par centaines, les migrants ont décidé de manifester dans les rues de Rosarno. Et la protestation a dégénéré en émeutes : incendie de voitures et de poubelles, bris de vitrines, déclenchant en retour une réaction violente des forces de l’ordre, mais aussi d’une partie des habitants de la commune qui s’en sont pris aux étrangers.

Le bilan est lourd : 53 blessés dont 21 parmi les immigrés, 18 parmi les policiers, et 14 parmi les résidents. Mais aussi 8 interpellations d’habitants dont une pour tentative d’homicide. Le retour à une paix précaire ne s’est fait qu’après leur exode forcé.

Travaux agricoles sous-payés

Ces étrangers sont originaires de l’Afrique noire, du Maghreb ou des pays de l’Est. Nombre d’entre eux sont « clandestins ». Ils sont venus à Rosarno, au cœur de la plaine de Gioa Tauro qui compte 1200 entreprises agricoles pour la récolte des mandarines et des oranges qui commence en décembre et s’achève en mars.

Cela implique pour eux de vivre au milieu des détritus et des rats. Ils dorment entassés dans des usines désaffectées, sans eau, sans électricité, sans sanitaires. Ils travaillent dix à quatorze heures par jour payées 25€, dont 5 prélevés par des soldats de la ’Ndrangheta, la mafia calabraise qui contrôle le marché des agrumes.

Cela fait bientôt 20 ans que les immigrés ont remplacé les Italiens qui refusent ces travaux agricoles sous-payés. « Un peu moins de 3000 » sont venus cette saison, selon un porte-parole du syndicat Cgil, Antonio Calogero, pour qui la réforme du système des aides communautaires à l’agriculture est à l’origine des heurts. « Les nouvelles règles sont entrées en vigueur, explique le syndicaliste. Elles prévoient une aide pour chaque hectare cultivé. Mais il est devenu plus rentable de laisser les agrumes pourrir sur les arbres ». Les migrants ont donc trouvé moins de travail, le climat s’est tendu.

La ’Ndrangheta a décidé que les rebelles devaient être chassés

« Les résidents de Rosarno voyaient les migrants traîner dans les rues. Et un vent de racisme a commencé à souffler. La ’Ndrangheta, qui contrôle le territoire, a fait le jeu de certains habitants », raconte Claudia Carloni, employée de la Chambre de commerce de Gioa Tauro.

En effet, comme le rappelle Don Pino De Masi, représentant de l’association anti-mafia Libera, les relations entre migrants et Rosarnesi , étaient plutôt bonnes, dans le passé. Les gestes de solidarité étaient concrets et multiples. « Le jour de l’Épiphanie, 100 bénévoles sont venus nettoyer l’ex-dépot alimentaire Opera et préparer un repas pour 800 immigrés. Depuis leur arrivée, des Rosarnesi se levaient à 5 heures du matin pour leur porter au moins une boisson chaude ».

Ces aides étaient organisées avec le soutien de Médecins Sans Frontière et de la Caritas. Elles ont été utiles, mais elles n’ont pas servi à briser le mur du silence qui entoure les conditions de vie inhumaines de ces migrants. « Ici, rien ne bouge sans le feu vert de la ’Ndrangheta » souligne Antonio Calogero. « Elle a décidé que les rebelles devaient être chassés, elle a gagné ».

Plusieurs centaines se sont enfuis

À Rome, samedi 9 janvier, le leader du parti centriste Udc Pierferdinando Casini déclarait : « l’État est mort en Calabre ! ». Pour le ministre de l’intérieur Roberto Maroni ces violences sont uniquement « le signe d’une trop grande tolérance envers les clandestins ». Pas de mea culpa, alors que le gouvernement italien sait bien, pourtant, que pour la seule Calabre, sur 20 000 ouvriers agricoles saisonniers employés en 2008, 6 400 étaient légalement autorisés.

Hier, les premiers travaux de démolition des bâtiments insalubres qui abritaient les immigrés ont commencé. Un millier d’entre eux ont été transférés dans des centres d’accueil et d’identification en Calabre et dans les Pouilles. Tandis que plusieurs centaines se sont enfuis en voiture ou en train.

« Comment pourrions-nous rester, sachant qu’une partie de la population de Rosarno dit qu’elle ne s’arrêtera pas tant que les Noirs ne seront pas chassés ? », s’interroge Abraham, passé à tabac vendredi par huit hommes. Dimanche 10 janvier, le ministre de l’intérieur italien indiquait que tous les migrants de Rosarno sans papiers, seront rapidement expulsés.

Source : La Croix

Google+ Google+